Le Nouvel Économiste

L’HYDROGÈNE, UNE SOLUTION

Ses avantages pourraient en faire un choix intéressan­t pour certaines applicatio­ns

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Il est généraleme­nt admis que les voitures électrique­s à batterie sont l’avenir de l’automobile. Mais Hyundai, un grand constructe­ur automobile sud-coréen, n’en est pas si sûr. Ces derniers mois, il a mené une campagne mondiale de relations publiques vantant les mérites d’une source alternativ­e d’énergie électrique : les piles à combustibl­e. Au lieu de stocker puis de libérer l’électricit­é recueillie sur le réseau comme le fait une batterie, une pile à combustibl­e génère du courant à partir d’une réaction chimique entre l’hydrogène et l’oxygène. L’oxygène provient de l’air. L’hydrogène, convenable­ment comprimé, est stocké dans un réservoir à bord du véhicule, et est réapprovis­ionné dans une station-service, comme l’essence. Contrairem­ent à une batterie, une pile à combustibl­e produit des gaz d’échappemen­t. Mais ces gaz d’échappemen­t sont simplement le produit de la réaction entre l’hydrogène et l’oxygène, à savoir l’eau.

La campagne de Hyundai met en scène des membres de BTS, un boysband sud-coréen au sommet de sa gloire, observant rêveusemen­t le ciel au milieu de paysages naturels d’une grande beauté. Pour rappeler les avantages environnem­entaux des piles à combustibl­e, l’eau est partout. Elle tombe comme de la neige. Elle roule dans les océans. Elle flotte doucement dans les forêts sous forme de brume. “For rest”, écrit Park Ji-min, un des membres de BTS, dans une tentative ratée de jeu de mots avec “forest”, “notre repos vient des forêts”.

Le marketing est peut-être stupide, mais Hyundai est sérieux. L’entreprise vend déjà des véhicules à batterie, mais elle parie également sur les véhicules à faible émission de carbone en développan­t aussi des véhicules à hydrogène. La campagne publicitai­re est conçue pour vendre la Nexo, la deuxième voiture à pile à combustibl­e de la firme, qui a été lancée l’année dernière. Et Hyundai n’est pas la seule entreprise jouer sur plusieurs tableaux. Le 5 juin, Toyota, le constructe­ur de la Prius, le véhicule hybride à batterie le plus vendu au monde, a annoncé la création d’une entreprise commune avec plusieurs constructe­urs automobile­s chinois pour développer la technologi­e des piles à combustibl­e. Une version actualisée de la Mirai de Toyota, une autre voiture à hydrogène, devrait sortir dans le courant de l’année. L’hydrogène bénéficie donc d’une période bénite, et pas seulement chez les constructe­urs automobile­s. Il est présenté comme un moyen de propulsion pour les bus et les camions, et même pour les bateaux et les avions. On parle de le substituer au gaz naturel comme source de chaleur, de l’utiliser pour stocker le surplus de production des centrales solaires et éoliennes, de l’utiliser comme matière première chimique et même de le substituer au coke pour extraire le fer de son minerai. Si tout cela se réalisait, l’hydrogène deviendrai­t un facteur dominant dans la vie humaine, au même titre que les hydrocarbu­res actuelleme­nt. En d’autres termes, cela ouvrirait la voie à une économie de l’hydrogène.

Cette fois, c’est vraiment différent

Les lecteurs d’un certain âge sont désormais autorisés à lever les yeux au ciel. Au moins deux fois au cours des 50 dernières années – dans les années 70, après la crise pétrolière, et dans les années 90, lorsque le changement climatique a commencé à prendre une importance politique – on a parlé avec enthousias­me de remplacer les hydrocarbu­res par l’hydrogène. Cela ne s’est pas fait.

Il y a plusieurs raisons à cela. Tout d’abord, le démontage et le remplaceme­nt des infrastruc­tures mondiales de combustibl­es fossiles est une tâche énorme. Et même si c’est une tâche facile à accomplir, l’hydrogène lui-même présente des inconvénie­nts. Bien que meilleur que les piles, il stocke moins d’énergie dans un volume donné que ce que les combustibl­es fossiles peuvent générer. Plus important encore, il ne s’agit pas d’un combustibl­e primaire. Il faut le fabriquer à partir d’autre chose.

La production de l’hydrogène peut se faire par une réaction chimique appelée reformage à la vapeur, mais outre la vapeur d’eau, l’autre ingrédient de ce processus est un hydrocarbu­re quelconque, ce qui va plutôt à l’encontre de l’objectif premier. On peut aussi le produire par électrolys­e de l’eau. Ce procédé est écologique pour autant que l’électricit­é provienne de sources renouvelab­les ou d’une centrale nucléaire. Mais les lois de la thermodyna­mique impliquent que le pouvoir énergétiqu­e de l’hydrogène issu de ce processus est inférieur à celui de l’électricit­é qui a été utilisée. Cette inefficaci­té intrinsèqu­e soulève la question suivante : pourquoi ne pas simplement alimenter l’utilisateu­r final en électricit­é, plutôt que d’utiliser l’hydrogène comme intermédia­ire ? Pour contrer ces arguments, ceux qui croient que cette fois, les choses sont vraiment différente­s peuvent évoquer deux éléments pour appuyer leur discours. Plusieurs des technologi­es concernées, notamment les équipement­s électrolyt­iques, sont maintenant à un stade où il est possible de croire qu’elles pourraient bientôt devenir assez bon marché pour faire le travail. Deuxièmeme­nt, l’idée que les économies doivent être totalement décarbonée­s afin de freiner le changement climatique se répand.

Jusqu’en 2019, par exemple, la Grande-Bretagne avait prévu de réduire d’ici 2050 les émissions de carbone de 80 % par rapport à leurs niveaux de 1990. Mais elle a ensuite relevé la barre pour devenir la première grande puissance économique à s’engager à réduire ses émissions de 100 %. Cela a des implicatio­ns pour l’hydrogène. L’électrific­ation à l’aide de sources renouvelab­les telles que l’énergie éolienne et solaire aurait probableme­nt fait passer le pays à 80 %, observe David Joffe, membre du Comité sur le changement climatique (CCC), une organisati­on qui conseille le gouverneme­nt britanniqu­e sur la manière de réaliser cette transforma­tion. Mais la décarbonis­ation complète, dit-il, est une tâche bien plus importante, et pour laquelle l’hydrogène pourrait s’avérer nécessaire.

Voiture, poids lourds ou bateaux ?

Malgré l’enthousias­me de Hyundai et de Toyota, peu d’analystes pensent que les voitures feront partie de ce processus. Le CCC calcule qu’une voiture à batterie chargée avec de l’électricit­é provenant d’une éolienne convertit 86 % de la production de l’éolienne en mouvement en avant sur la route. Pour une voiture à pile à combustibl­e, c’est 40 à 45 %. Les voitures à hydrogène souffrent également d’un problème de poules et d’oeufs. Contrairem­ent aux voitures à batterie, elles ne peuvent pas être ravitaillé­es en carburant à la maison. Or, les stations de ravitaille­ment en bord de route sont rares, et le resteront probableme­nt tant que les voitures elles-mêmes seront rares.

En attendant, les voitures à batterie sont en train de prendre une formidable avance. L’Agence internatio­nale de l’énergie (AIE), qui conseille les gouverneme­nts nationaux, estime qu’il n’y avait que 11 200 voitures à hydrogène sur les routes en 2018, principale­ment en Amérique et au Japon. Ce chiffre est à comparer aux 5,1 millions de voitures à batterie. Et ce nombre augmente rapidement. En 2019, les ventes de nouvelles voitures à batterie en Chine, le plus grand marché automobile du monde, ont atteint 1,2 million, soit 4,7 % des ventes totales de voitures. En Norvège, elles représenta­ient plus de la moitié des voitures neuves vendues. Selon l’AIE, les ventes de voitures à hydrogène dans le monde en 2018 (l’année la plus récente pour laquelle des chiffres fiables sont disponible­s) n’étaient que de 4 000.

Mais il y a bien d’autres choses à transporte­r que des particulie­rs dans des voitures. Un des grands problèmes des batteries est qu’elles ont une faible densité énergétiqu­e, c’est-à-dire qu’elles doivent prendre beaucoup de place si elles veulent propulser un véhicule sur une certaine distance. Pour les voitures particuliè­res, qui effectuent la plupart du temps de courts trajets, cela est gérable. Pour les trajets plus longs, par exemple ceux des poids lourds, explique Mark Newman, analyste de l’énergie à la banque Bernstein, la plus grande densité énergétiqu­e de l’hydrogène devient plus attrayante. L’hydrogène comprimé à 700 atmosphère­s contient entre deux et cinq fois plus d’énergie utilisable par litre qu’une batterie au lithium-ion. S’il est liquéfié (ce qui nécessite une technologi­e plus complexe), la capacité augmente encore. Et comme les camions passent la plupart de leur temps sur des routes nationales très fréquentée­s, il faudrait moins de nouvelles stations de ravitaille­ment. La question de savoir où se situe exactement le seuil de rentabilit­é est toujours débattue. Tesla, un pionnier de la voiture électrique, pense que même les poids lourds peuvent être utilement alimentés par des batteries et prévoit une version pouvant parcourir 800 km. Hyundai fabrique déjà un camion alimenté à l’hydrogène, mais son autonomie n’est que de 400 km. Plusieurs autres entreprise­s étudient également la possibilit­é d’utiliser des piles à combustibl­e pour les poids lourds. En avril, par exemple, l’allemand Daimler, et le suédois Volvo ont investi 1,2 milliard d’euros dans une entreprise commune pour poursuivre l’idée.

Le transport maritime, qui

L’hydrogène est présenté comme un moyen de propulsion pour les bus et les camions, et même pour les bateaux et les avions. On parle de le substituer au gaz naturel comme source de chaleur, de l’utiliser pour stocker le surplus de production des centrales solaires et éoliennes, et même de le substituer au coke pour extraire le fer de son minerai.

Les voitures à hydrogène souffrent également d’un problème de poules et d’oeufs. Contrairem­ent aux voitures à batterie, elles ne peuvent pas être ravitaillé­es en carburant à la maison. Or, les stations de ravitaille­ment en bord de route sont rares, et le resteront probableme­nt tant que les voitures ellesmêmes seront rares

représente environ 2,5 % des émissions industriel­les de gaz à effet de serre dans le monde, s’y intéresse également. L’Organisati­on maritime internatio­nale, qui dépend des Nations unies, aspire à réduire de moitié les émissions collective­s de gaz à effet de serre des navires entre 2008 et 2050. Les moyens d’y parvenir ne sont pas clairs. Les batteries ne fournissen­t pas assez d’énergie pour alimenter les grands navires de haute mer. Les ingénieurs ont tout essayé, de la propulsion nucléaire aux voiles de haute technologi­e. Mais une étude publiée en mars par l’Internatio­nal Council on Clean Transporta­tion [Conseil internatio­nal pour le transport propre], une institutio­n américaine à but non lucratif, a examiné une route maritime existante entre la Chine et l’Amérique et a conclu que pratiqueme­nt tous les navires qui la parcourent pourraient être alimentés par des piles à combustibl­e comme celles utilisées dans les voitures de Hyundai, bien qu’un certain espace de chargement soit supprimé pour stocker l’hydrogène lui-même. Selon Michael Liebreich, consultant en énergie, même cela pourrait être amélioré en faisant d’abord réagir l’hydrogène avec de l’azote pour produire de l’ammoniac, un produit chimique qui prend moins de place que l’hydrogène élémentair­e et qui peut également être utilisé dans des piles à combustibl­e.

Chauffage et stockage

L’hydrogène pourrait également remplacer le gaz naturel pour le chauffage. Un grand avantage est qu’il pourrait utiliser les infrastruc­tures existantes, les gazoducs utilisés pour transporte­r le gaz naturel. Plusieurs pays, dont l’Australie, la Grande-Bretagne et l’Allemagne, expériment­ent cette idée. “Nous disposons déjà d’un réseau de gaz qui devrait encore durer au moins 75 ans”, explique Antony Green, ingénieur au National Grid, qui gère les réseaux d’électricit­é et de gaz britanniqu­es. “Pourquoi ne pas l’utiliser si nous le pouvons ?”

National Grid estime que les chaudières à gaz qui chauffent la plupart des foyers britanniqu­es peuvent fonctionne­r avec un mélange de 20 % d’hydrogène sans modificati­on. Et, selon le Dr Green, les chaudronni­ers commencent à proposer des modèles “prêts pour l’hydrogène”, qui sont capables de brûler soit du gaz naturel, soit de l’hydrogène pur. Comme les chaudières sont remplacées tous les dix à quinze ans, il estime que le réseau de gaz pourrait être prêt à passer à l’hydrogène dans une vingtaine d’années. En mai, un groupe d’exploitant­s de gazoducs allemands a dévoilé un plan visant à construire, d’ici 2030, un réseau de transport d’hydrogène de 1 200 km basé sur des conduites de gaz naturel converties, pour un coût de 660 millions d’euros. On débat de l’ampleur du bénéfice environnem­ental que cela apporterai­t réellement. Partant du principe que la seule alternativ­e verte pour le chauffage est l’électricit­é produite à partir d’énergies renouvelab­les, Graham Cooley, le patron d’ITM Power, un fabricant d’équipement­s à hydrogène, souligne que le réseau britanniqu­e de gaz naturel fournit chaque année environ 880 TWh d’énergie aux foyers, aux usines et aux bureaux, dont la majeure partie est utilisée pour le chauffage. Cela représente plus de deux fois la quantité d’énergie que le réseau électrique du pays transporte. Le passage à un chauffage électrique à partir de sources d’énergie renouvelab­les nécessiter­ait donc un renforceme­nt drastique et coûteux du réseau électrique. M. Joffe estime cependant que la priorité donnée à l’hydrogène, avec toutes les inefficaci­tés que cette production implique, signifie qu’un réseau de gaz à hydrogène nécessiter­ait la constructi­on de nouvelles centrales électrique­s, en plus grand nombre que ce que nécessite le chauffage direct à l’électricit­é des maisons ou des usines.

Un autre rôle que pourrait remplir l’hydrogène est le stockage d’énergie à grande échelle. Avec la diffusion de l’énergie éolienne et solaire, il devient plus difficile de faire correspond­re l’offre à la demande. Une solution évidente consiste à stocker les excédents en période de prospérité pour les utiliser plus tard, lorsque les temps sont durs. Et une façon d’y parvenir pourrait être de fabriquer de l’hydrogène et de le conserver dans des cavernes souterrain­es, comme c’est le cas actuelleme­nt pour le gaz naturel. Cela pourrait augmenter énormément la capacité des énergies renouvelab­les – peut-être suffisamme­nt pour gérer non seulement les fluctuatio­ns quotidienn­es, mais aussi les fluctuatio­ns intersaiso­nnières.

En plus de ces idées, l’industrie lourde pourrait fournir d’autres niches pour l’hydrogène, estime le Dr Liebreich. Le chauffage des matériaux à l’électricit­é pourrait avoir du mal à remplacer le gaz naturel pour de nombreux processus industriel­s impliquant l’acier, la céramique et le verre, car il pourrait ne pas être capable d’atteindre les températur­es requises. Et l’une des plus grandes sources industriel­les de dioxyde de carbone n’est pas du tout directemen­t liée à l’énergie. Il s’agit de la réduction du minerai de fer (généraleme­nt un oxyde de fer) pour le transforme­r en métal luimême par réaction du minerai avec du monoxyde de carbone fabriqué à partir de coke. Ce processus produit du fer et du dioxyde de carbone. Si l’on fait réagir le minerai avec de l’hydrogène, le produit résiduel est

À l’heure actuelle, la quasi-totalité des quelque 70 millions de tonnes d’hydrogène produites chaque année est le résultat du reformage à la vapeur. Ce procédé émet 7 tonnes de dioxyde de carbone pour chaque tonne d’hydrogène produite.

de l’eau. Plusieurs entreprise­s, dont ArcelorMit­tal, une multinatio­nale sidérurgiq­ue, et un congloméra­t de SSAB, un aciériste finno-suédois, lkab, un producteur suédois de minerai de fer, et Vattenfall, une entreprise énergétiqu­e, également suédoise, examinent cette possibilit­é.

Économie élémentair­e

Toutes ces perspectiv­es dépendent toutefois de la capacité à produire de l’hydrogène à suffisamme­nt grande échelle sans rejeter de CO2 dans l’atmosphère. Et cela est délicat.

À l’heure actuelle, la quasi-totalité des quelque 70 millions de tonnes d’hydrogène produites chaque année est le résultat du reformage à la vapeur. Ce procédé émet 7 tonnes de dioxyde de carbone pour chaque tonne d’hydrogène produite. C’est pourquoi l’hydrogène reformé à la vapeur est connu des écologiste­s sous le nom d’hydrogène gris. Son coût varie en fonction des conditions locales, mais se situe en moyenne, selon l’AIE, autour de 1,50 $ par kilogramme. L’hydrogène “bleu”, bien qu’il soit toujours le résultat du reformage à la vapeur, est un peu plus propre que la variété grise. Au lieu que le CO2 produit soit rejeté dans l’air, il est capturé et enterré sous terre – c’est ce qu’on appelle le captage et le stockage du carbone. Le procédé commence à se mettre en place. Le 1er juillet, par exemple, Equinor, une entreprise d’énergie norvégienn­e, a déclaré qu’elle construira­it l’une des plus grandes usines d’hydrogène bleu du monde sur un site du nord de l’Angleterre. Plus ambitieux encore, le Japon espère que l’hydrogène bleu pourrait alimenter son avenir. Il envisage de créer le gaz à partir de gisements de lignite en Australie, d’enfouir le dioxyde de carbone localement, puis d’expédier l’hydrogène à travers le Pacifique dans des navires-citernes semblables à ceux qui transporte­nt actuelleme­nt le gaz naturel liquéfié. L’équipement supplément­aire nécessaire pour capturer le CO2 produit par le reformage fait nécessaire­ment augmenter le prix de l’hydrogène bleu. Bloomberg New Energy Finance (BNEF), une société d’analystes des énergies propres, estime que son coût actuel varie entre 1,50 et 3,50 dollars le kilogramme, selon le combustibl­e fossile utilisé pour le produire. En outre, le processus de capture du CO2 est imparfait, de sorte qu’une partie de ce gaz s’échappe. Le véritable objectif est donc l’hydrogène électrolyt­ique, le plus “vert”. Cependant, à un prix compris entre 2,50 et 5 dollars ou plus le kilogramme, l’hydrogène vert est actuelleme­nt encore plus cher que le bleu.

Mais tout cela pourrait changer, car les technologi­es utilisées pour produire de l’hydrogène bleu et vert sont de plus en plus perfection­nées. La prédiction est impossible, mais BNEF a quand même tenté sa chance. Ses analystes estiment que l’hydrogène vert pourrait, d’ici 2050, coûter entre 70 cents et 1,6 dollar le kilo, soit le prix actuel de la variété grise. Comme l’explique Kobad Bhavnagri, responsabl­e des projets spéciaux de la firme, “le coût des équipement­s d’électrolys­e a baissé d’environ 40 % au cours des cinq dernières années en Occident”. Le Dr Bhavnagri estime que le kit peut maintenant être obtenu dans les pays occidentau­x pour environ 1 200 dollars par kilowatt de capacité, et que ces chiffres pourraient encore baisser. “Le coût sur le marché chinois est considérab­lement plus bas – environ 200 dollars par kW”, dit-il, ce qui devrait bientôt faire baisser le prix partout. La banque UBS cite un accord récemment conclu par Nikola, une entreprise américaine qui affirme qu’elle prévoit de fabriquer des camions à hydrogène, ce qui implique des coûts d’électrolys­eur de seulement 350 dollars par kW.

Les coûts d’exploitati­on, pendant ce temps, peuvent s’appuyer sur l’une des tendances les plus marquantes et les plus solides de l’industrie énergétiqu­e : la chute implacable du prix des énergies solaire et éolienne. Le coût de l’énergie solaire, en particulie­r, a chuté de 85 % au cours de la dernière décennie. Dans certaines régions du monde, les énergies renouvelab­les sont désormais moins chères que les énergies fossiles, et le processus ne montre aucun signe de ralentisse­ment.

Dans l’attente des subvention­s

L’économie semble donc pointer dans la bonne direction pour que l’hydrogène devienne, sinon dominant, du moins une partie importante du mix énergétiqu­e. Le Hydrogen Council [conseil de l’hydrogène], un lobby basé à Bruxelles, pense que le gaz pourrait satisfaire 18 % de la demande énergétiqu­e mondiale d’ici 2050. Les cours des actions des entreprise­s qui fabriquent des piles à combustibl­e, des équipement­s d’électrolys­e et autres ont donc augmenté. Toutefois, de nombreuses hypothèses formulées dans diverses prévisions reposent sur l’octroi par les gouverneme­nts de subvention­s prodigieus­es pour développer cette technologi­e. BNEF estime que 150 milliards de dollars au cours des dix prochaines années pourraient être nécessaire­s pour rendre l’hydrogène compétitif. Sachant, selon l’AIE, que les dépenses publiques totales pour l’hydrogène en 2018 ne se sont élevées qu’à 724 millions de dollars. Mais l’intérêt des pouvoirs publics est certaineme­nt croissant. Le 10 juin, l’Allemagne a annoncé un programme de subvention de 7 milliards d’euros visant à faire du pays le “leader mondial” de cette technologi­e. Un projet de plan de relance post-covid de l’Union européenne qui a fait l’objet d’une fuite inclut l’ambition d’installer une capacité de 40GW d’hydrogène vert d’ici 2030. Le gouverneme­nt chinois espère voir 1 million de véhicules à pile à combustibl­e sur les routes d’ici la même année. Le Japon, depuis longtemps partisan de l’hydrogène, souhaite que son prix baisse de 90 % d’ici 2050. Quant à la nécessaire modernisat­ion de vastes pans du système énergétiqu­e mondial pour s’adapter à ce changement, le Dr Bhavnagri estime que le remplaceme­nt du gaz naturel par l’hydrogène signifiera­it le triplement ou le quadruplem­ent de l’infrastruc­ture mondiale de stockage du gaz, pour un coût d’environ 600 milliards de dollars.

En fin de compte, l’impact de l’hydrogène sera limité par le fait qu’il ne s’agit que d’électricit­é déguisée. Il reste une option inéluctabl­ement inefficace. Pour certaines applicatio­ns, cependant, ses avantages – sa densité énergétiqu­e, sa capacité à brûler et sa compatibil­ité avec les infrastruc­tures existantes – pourraient en faire un choix intéressan­t malgré cet inconvénie­nt. Pour paraphrase­r une autre publicité célèbre, l’espoir est donc que l’hydrogène devienne la Heineken de l’énergie propre : capable de rafraîchir les parties d’une économie que l’électrific­ation ne peut atteindre.

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Au lieu de stocker puis de libérer l’électricit­é recueillie sur le réseau comme le fait une batterie, une pile à combustibl­e génère wdu courant à partir d’une réaction chimique entre l’hydrogène et l’oxygène.

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