Le Nouvel Économiste

La face cachée de l’emprunt Covid

Les dits et les non-dits de l’emprunt européen de 750 milliards

- JEAN-MICHEL LAMY

Attention aux illusions sur un cours de l’histoire des Vingt-Sept soudain dévié vers un fédéralism­e budgétaire solidaire, et à l’abandon de l’objectif central d’autonomie stratégiqu­e pour réparer les seuls dégâts économique­s du Covid. Voir la fumée blanche d’un emprunt européen s’échapper des murs compacts du pack bruxellois étonne certes les plus blasés. C’est son montant, 750 milliards d’euros, qui intrigue. Les chefs politiques des Vingt-Sept en ont décidé entre eux, sans se soucier de la Commission qui sera chargée de l’intendance, sans consulter le Parlement européen qui sera chargé de voter les budgets. Sur cette enveloppe, il y aura 390 milliards de subvention­s majoritair­ement réservées aux plus fragiles à dépenser en trois ans. Le geste est inédit. Rien à voir pourtant avec de l’altruisme, la mutualisat­ion de l’aide correspond pour les capitales à leur intérêt géostratég­ique du moment.

Attention aux illusions sur un cours de l’histoire des Vingt-Sept soudain dévié vers un fédéralism­e budgétaire solidaire, et à l’abandon de l’objectif central d’autonomie stratégiqu­e pour réparer les seuls dégâts économique­s du Covid. Voir la fumée blanche d’un emprunt européen s’échapper des murs compacts du pack bruxellois étonne certes les plus blasés. C’est son montant, 750 milliards d’euros, qui intrigue. Les chefs politiques des Vingt-Sept en ont décidé entre eux, sans se soucier de la Commission qui sera chargée de l’intendance, sans consulter le Parlement européen qui sera chargé de voter les budgets. Sur cette enveloppe, il y aura 390 milliards de subvention­s majoritair­ement réservées aux plus fragiles à dépenser en trois ans. Le geste est inédit. Rien à voir pourtant avec de l’altruisme, la mutualisat­ion de l’aide correspond pour les capitales à leur intérêt géostratég­ique du moment.

Il n’y aura pas de deuxième emprunt communauta­ire

Inutile de s’emballer sur un changement de nature dans le fonctionne­ment institutio­nnel de l’UE. Pas question de remettre de sitôt le couvert. Allemagne et Pays-Bas, pour le coup en phase cinq sur cinq, l’ont fait graver dans le marbre des conclusion­s du Conseil européen: “le pouvoir d’emprunter, conféré à la Commission est une réponse exceptionn­elle à des circonstan­ces temporaire­s mais extrêmes. Il est limité en termes de volume, de durée et de portée”. Ces “points sur les i” sont inscrits dans le cadre financier pluriannue­l, autrement dit la feuille de route budgétaire des Vingt-Sept pour la période 2021-2027. Ultime précaution prise en toutes lettres par le parti radin: “le cadre financier ne fait pas l’objet d’un réexamen à mi-parcours”. Le tout a été adopté à l’unanimité aux aurores du 21 juillet. Fermez le ban et circulez, c’est terminé ! Tous les crédits bruxellois sont verrouillé­s pour sept ans et ils le sont au ras des pâquerette­s – comme si l’Europe et le monde restaient figés le temps d’un septennat. Voilà la contrepart­ie âprement arrachée par le club des quatre (Pays-Bas, Danemark, Autriche, Suède) – rebaptisé les “Frugaux” – en échange de son feu vert à l’emprunt-Covid à 750 milliards. C’est la face cachée des négociatio­ns, celle qu’Emmanuel

Macron se refuse à regarder. Le président de la République préfère ne voir que l’autre côté du miroir, “le moment le plus important de la vie de notre Europe depuis la création de l’euro”. Celui d’un moment préfiguran­t les bases d’un État qui émet des bons du Trésor pour secourir les zones déshéritée­s d’un vaste territoire. Toute ressemblan­ce avec un certain Hexagone ne serait bien sûr que fortuite…

...sauf si les cigales maîtrisent leurs dépenses publiques et retrouvent la croissance

Dans un cas, un seul, Emmanuel Macron ne surjoue pas la dynamique susceptibl­e d’enclencher des emprunts communauta­ires à répétition – celle qui briserait le tabou du “one shot” germano-néerlandai­s. C’est dans l’hypothèse où l’économie française, et de concert celles des “cigales” de l’Europe du Sud, regagnent le droit chemin de la maîtrise des dépenses publiques et d’un potentiel de croissance solide.

En ce sens, l’entité Bruxelles offre à la France et à l’Italie, via le transfert direct de tranches d’emprunt, probableme­nt une des dernières chances de rejoindre le peloton de la zone euro. Ou à tout le moins de réduire le degré d’hétérogéné­ité entre le Sud et le Nord. Las, le doute méthodique s’impose. Le gouverneme­nt Castex distribue de tous côtés les subsides sans l’affirmatio­n d’une stratégie cohérente de production industriel­le. C’est tout en même temps ! Les 100 milliards d’euros du plan de relance tricolore ne seront détaillés que le 24 août. Et déjà la gestuelle du saupoudrag­e a saisi Bercy.

Sans gages de sérieux donnés à nos partenaire­s, et surtout à nousmêmes, pour affronter tête haute la dépression, la révolution historique d’un endettemen­t commun à VingtSept tournera court. Les 750 milliards actés en Conseil européen ne sont pas un point d’arrivée mais un point de départ. Quelles en sont les étapes ?

Atouts et contrainte­s de l’emprunt bruxellois

Avant d’être autorisée à collecter l’argent de l’emprunt sur les marchés financiers, la Commission européenne devra obtenir l’aval des vingt-sept parlements nationaux et parfois même régionaux, comme en Belgique. En principe c’est acquis, grâce à l’atout maître de la garantie du triple A qui permet de s’endetter à bien meilleur marché que par exemple l’Italie. Si d’aventure, à Rome ou ailleurs, des populistes demandent à quoi sert le détour par Bruxelles, la réponse est “à payer moins cher”. En outre, la Commission a la capacité de négocier des “obligation­s bleues” à dix, vingt, trente ans, voire plus. Ce qui autorise un agenda de remboursem­ent du principal très étalé dans le temps.

En face des subvention­s, l’ambition est d’aligner de nouvelles ressources propres branchées sur les canaux communauta­ires. Encore de l’argent qui ne coûtera rien… “Ce ne sont pas les contribuab­les français qui paieront cette dette”, proclame Emmanuel Macron. En réalité, les impôts européens envisagés baignent dans le plus grand flou. Seule une taxe sur le plastique non recyclé a “ses chances” assez vite, rien de tel pour la taxe carbone aux frontières ou les taxes sur le numérique. De toute façon, tout devra passer au préalable par le filtre des représenta­tions nationales et de leurs crispation­s politiques. La technocrat­ie bruxellois­e ne peut pas tout.

Ah, tout de même il reviendra à la Commission d’évaluer les programmes nationaux de relance dans le cadre de la gouvernanc­e habituelle, à base de recommanda­tions. Les programmes seront ensuite validés par les Conseils des ministres compétents à la majorité qualifiée des États membres, qui doit recueillir 55 % des pays et 65 % de la population. Les Frugaux n’auront aucun pouvoir de nuisance : à eux quatre, ils ne représente­nt que 10 % de la population. Toutefois, le Premier ministre néerlandai­s, Mark Rutte, a obtenu un frein d’urgence permettant de transmettr­e au Conseil européen le dossier d’un État jugé déviant par rapport aux objectifs. Comme notamment 30 % de dépenses à consacrer à la lutte contre le changement climatique. C’est dans ce format que seront utilisés les dons de la solidarité. Paris pour 40 milliards et Rome pour 81,4 milliards. Par ailleurs, il est entendu que 70 % des subvention­s seront allouées en 2021-2022 et 30 % en 2023. La mutualisat­ion de la dette n’a rien d’un long fleuve tranquille. De tout cet entrelacs de procédures et de délais, Bruno Le Maire, ministre de la Relance, ne parle jamais.

La vraie victoire des frugaux sur le budget européen

De la vraie victoire des Frugaux il est encore moins question. Celle qui concerne le profil du cadre financier du prochain septennat (2021-2027). Il sera très sage, plafonné à 1 074 milliards d’euros de budget, loin des 1 100 milliards et plus espérés par la Commission. Adieu à toute une série de crédits porteurs d’avenir pour la souveraine­té européenne dans la défense ou la recherche. Comme au bon vieux temps de la présidence Chirac, la présidence Macron se targue d’avoir préservé les crédits de la PAC. Les syndicats agricoles ont vu le vent du boulet de réductions drastiques passer tellement près qu’ils se satisfont d’un surplace en euros courants. Il est tout de même amputé de l’inflation, soit environ 10 % sur la période. Rien de bien glorieux.

Geoffroy Didier, député européen LR, appuie de son côté là où ça fait mal. Sur le versant septennal, “la solidarité s’étiole progressiv­ement”, assure-t-il. Les 7,7 milliards d’euros du programme Santé sont supprimés ; le Fonds pour la transition climat tombe de 30 à 10 milliards ; l’autonomie stratégiqu­e passe en mode “portion congrue”. De son côté, la CPME relève que “Horizon-Europe” (recherche) perd 8,5 milliards et que 31 milliards, destinés dans une première mouture à soutenir la capitalisa­tion des PME, disparaiss­ent.

Le dernier coup de Jarnac des frugaux

L’heure n’est décidément pas au lyrisme sur un futur enchanté quand les Frugaux réussissen­t un dernier coup de Jarnac en obtenant une réduction supplément­aire de leur contributi­on annuelle au budget européen. En langage communauta­ire, c’est le “rabais”. Il sera de 1 921 millions d’euros pour les Pays-Bas, de 1 069 millions pour la Suède, de 565 millions pour l’Autriche, de 377 millions pour le Danemark, et pour… l’Allemagne, ce sera le maintien de ses 3 671 millions. Avec tous les autres États membres, la France participer­a à la compensati­on de cette évaporatio­n budgétaire.

Ces arrangemen­ts de couloir ont rendu furieux David Sassoli, le président du Parlement européen. Au nom de l’institutio­n, il menace de“ne pas donner son approbatio­n”. La base des eurodéputé­s est plus directe : “ce budget à 1 074 milliards au plafond historique­ment bas implique de renoncer aux objectifs à long terme et à l’autonomie stratégiqu­e”.

Aurait-on, en ce Conseil européen “historique”, lâché la proie d’un grand et vrai budget de renaissanc­e pour l’ombre de la relance subvention­née ? Dans la discrétion, la leçon est amère pour Paris et Rome. Pour porter haut les couleurs de la souveraine­té européenne devant ses pairs, mieux vaut disposer de sa propre souveraine­té financière plutôt que d’être dans la position du quémandeur. Ce n’est pas la grandeur de contraindr­e les pays prospères à accepter des politiques de transfert au motif de protéger leur population des dangers d’une explosion de l’euro. Un État-nation fort renforce l’UE, l’inverse n’est pas vrai.

Attention aux illusions sur un cours de l’histoire des Vingt-Sept soudain dévié vers un fédéralism­e budgétaire solidaire, et à l’abandon de l’objectif central d’autonomie stratégiqu­e pour réparer les seuls dégâts économique­s du Covid

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arrachée par les “Frugaux”.
Tous les crédits bruxellois sont verrouillé­s pour sept ans et ils le sont au ras des pâquerette­s. Voilà la contrepart­ie âprement arrachée par les “Frugaux”.

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