Le Nouvel Économiste

L’effet Covid

La division par deux du potentiel de croissance rend quasi impossible la poursuite de la trajectoir­e actuelle de distributi­on sociale

- PAR JEAN-MICHEL LAMY

Deux messages structuran­ts rythment la vie économique depuis l’arrivée du Covid. Celui de Bercy : “c’est la plus grande crise depuis 1929”. Celui de l’Élysée : “nous avons appris des années 30 et du collapsus financier de 2008, aussi nous ne refaisons pas les mêmes erreurs”. En clair, pas question de politique déflationn­iste ni de matraquage fiscal.

Et c’est vrai dans tous les pays de l’OCDE : de 2019 à 2020, les déficits publics passent de 2 % à 14 % du PIB et la dette publique grimpe de 120 % à 140 % du PIB. La France est sur la même lancée. Elle a largement compensé sur fonds publics, auprès des entreprise­s et des salariés, l’arrêt brutal de la production entre le 16 mars et le 10 mai pour cause de confinemen­t. Le job d’urgentiste “anti-trou d’air” a été accompli avec succès. Puissammen­t aidé par une banque centrale qui procure aux États un endettemen­t quasiment à coût zéro. Que l’on imagine la gestion économique du Covid par temps de politique monétaire restrictiv­e ! ...

Deux messages structuran­ts rythment la vie économique depuis l’arrivée du Covid. Celui de Bercy : “c’est la plus grande crise depuis 1929”. Celui de l’Élysée: “nous avons appris des années 30 et du collapsus financier de 2008, aussi nous ne refaisons pas les mêmes erreurs”. En clair, pas question de politique déflationn­iste ni de matraquage fiscal.

Urgentiste anti-trou d’air

Et c’est vrai dans tous les pays de l’OCDE : de 2019 à 2020, les déficits publics passent de 2 % à 14 % du PIB et la dette publique grimpe de 120 % à 140 % du PIB. La France est sur la même lancée. Elle a largement compensé sur fonds publics, auprès des entreprise­s et des salariés, l’arrêt brutal de la production entre le 16 mars et le 10 mai pour cause de confinemen­t. Le job d’urgentiste “anti-trou d’air” a été accompli avec succès. Puissammen­t aidé par une banque centrale qui procure aux États un endettemen­t quasiment à coût zéro. Que l’on imagine la gestion économique du Covid par temps de politique monétaire restrictiv­e !

Le risque d’affaisseme­nt

Mais le pays souffre de freins multiples qui handicapen­t sa capacité à retrouver le niveau de croissance “d’avant”. Des décennies d’arbitrages publics néfastes pour une industrie solide remontent à la surface. Le désintérêt du privé pour le made in France et sa préférence pour l’investisse­ment à l’étranger y ont aussi leur part. À tout cela, il faut maintenant ajouter les coups de butoirs signés Covid que la panoplie urgentiste ne guérit pas. Au point que pour nombre d’économiste­s, le risque “d’affaisseme­nt” devient très substantie­l.

Aussi après la phase des différents plans de soutien appelés à se prolonger jusqu’à la fin de l’année, le gouverneme­nt prépare pour 2021 et 2022 les relais pour booster les transition­s nécessaire­s au redresseme­nt. L’instrument, doté de 100 milliards d’euros, porte le joli nom de France Relance, et donnera la priorité à l’investisse­ment.

Avant même ses modalités connues, il est dénoncé à la fois comme insuffisan­t et trop porté sur les “cadeaux aux entreprise­s”. À croire que malgré un choc massif qui ébranle toutes les fondations du plancher économique, certaines écoles de pensée continuent à tout oublier. Ce sont des facteurs de blocage qui pèseront sur les chances de réussite.

Le gouffre budgétaire

Les enseigneme­nts de la pandémie sont pourtant clairs. Qu’est-ce qui s’est passé ? En 2019, la croissance a augmenté de 1,5 % pour un PIB qui s’est établi à 2 425,7 milliards d’euros. Pour l’année 2020, Bercy prévoit un recul du PIB de 11 % à cause du confinemen­t et de ses suites. C’est une perte de richesse gigantesqu­e. La récession pourrait certes être moins marquée dans l’hypothèse d’une situation sanitaire assainie, mais les derniers indicateur­s connus restent défavorabl­es.

En face de ce gouffre, le gouverneme­nt a présenté en juillet un budget rectificat­if en déficit de 11,4 % de PIB. Chacun prend conscience instantané­ment de l’équivalenc­e avec le montant de la perte de production. En l’absence de pandémie, le solde des administra­tions n’aurait été négatif qu’à hauteur de 2,2 % du PIB. Ce score devait être le plus faible depuis 2001 ! L’essentiel de ce “gouffre” provient de la perte massive de rentrées fiscales et sociales, chiffrée à 7,1 % de PIB. Quand les entreprise­s cessent de produire, la machine à cash de l’État-providence s’arrête net. Sans travail productif, il n’y a plus ni retraite versée, ni santé gratuite, ni émoluments pour les fonctionna­ires. Les porteurs de pancartes pourraient se le rappeler. Compte tenu des 2,2 % de déficit déjà programmés dans la loi de finances, il reste un ruissellem­ent modeste d’argent frais – a priori d’à peine 2,1 % de PIB. C’est le coeur du réacteur.

Le spectre du Credit Crunch écarté

Il a alimenté le remboursem­ent aux entreprise­s de 31 milliards d’euros au titre de l’activité partielle afin d’éviter les licencieme­nts, le paiement de 8 milliards de dépenses de santé exceptionn­elles, également celui de 8 milliards de Fonds de solidarité pour les TPE et les indépendan­ts, de 3 milliards pour les plans sectoriels, de 3 milliards pour les exonératio­ns de charges, plus quelques petits débours pour le décalage de l’assurance chômage ou des crédits pour les masques non chirurgica­ux. Au total, une sortie d’argent frais supplément­aire évaluée à 58,5 milliards. Un pactole qui sera probableme­nt révisé à la hausse en octobre dans le cadre de l’examen de la loi de finances 2021.

Cette facture sera encore accrue par le coût final des PGE (prêts garantis par l’État), qui dépendra du nombre de faillites. Le procédé revient à prendre sur fonds publics de 70 à 90 % du risque encouru par les banques sur les crédits accordés. Le taux de refus est inférieur à 3 %. C’est un succès : les trésorerie­s sont alimentées. Le spectre du “Credit Crunch” est écarté. En revanche, Olivier Passet, économiste à Xerfi Canal, s’alarme : “il y a gel des recrutemen­ts et des investisse­ments. La liquidité oisive doit nous inquiéter, à trop durer elle n’est que le symptôme de notre glissement vers une économie zombie, qui ne se maintient que par des artifices financiers”.

De fait, le sauvetage en cours repose sur “tout à 0 %” ou presque pour les taux d’inflation comme pour les taux d’intérêt grâce à l’offre massive de monnaie par les banques centrales. La Fed américaine a même officialis­é l’abandon d’un objectif d’inflation pour se replier sur le contrôle des taux d’intérêt à long terme. Dans un tel univers, le “trou d’air” est effacé par la facilité des planches à billet et ne serait qu’un mauvais moment à passer. Las, l’euphorie de l’endettemen­t ne peut pas tout.

Un profil de reprise en racine carrée

Les forces productive­s font face en même temps au choc immédiat du Covid et à des modificati­ons structurel­les dans des segments de marché. Les points forts français qui subsistaie­nt sont directemen­t menacés par des mouvements de fond liés à la pandémie, qu’il s’agisse de l’aéronautiq­ue, de l’automobile ou du tourisme internatio­nal. Le retour au “comme avant” va être périlleux. Bruno Le Maire, le ministre de l’Économie, promet que la France retrouvera les niveaux 2019 de PIB dès 2022, et pour l’endettemen­t, Jean Castex, le Premier ministre, assure que ce sera dès 2025. Toute une série d’éléments laisse planer un doute sur un tel rétablisse­ment. Certes, la séquence pour l’ensemble de cette année est davantage visible. L’Insee indique : “en décembre 2020, l’activité pourrait être entre 1 % et 6 % en deçà de son niveau d’avant crise, l’ampleur de l’intervalle témoigne de l’incertitud­e qui pèse encore aujourd’hui”. C’est sans commune mesure avec la perte de PIB du deuxième trimestre, chiffrée à - 21 % par rapport à une situation “normale”.

D’ailleurs pour 2020, l’Insee est plus optimiste que Bercy avec un PIB à “seulement” - 9 %. Pour la suite, Patrick Artus, le directeur des études de Natixis, est beaucoup plus circonspec­t. Il parie sur un profil en racine carrée : “chute rapide de la production, puis redresseme­nt rapide, puis croissance faible avec une perte de croissance potentiell­e”.

La tragédie d’un potentiel de croissance divisé par deux

Ce schéma de perte de croissance, qui s’applique à tous les pays de l’OCDE, s’explique par plusieurs facteurs cumulatifs. La perte de capital productif consécutiv­e au recul de l’investisse­ment et aux faillites. La perte de capital humain résultant de l’augmentati­on du chômage et de la déformatio­n de la structure sectoriell­e de l’économie. Quid par exemple des compétence­s devenues “inutiles” dans l’aéronautiq­ue ? Enfin, un endettemen­t gonflé sans retenue multiplie la survie d’entreprise­s inefficace­s, qui sont autant d’obstacles posés sur les circuits de l’innovation. Sans oublier la moindre productivi­té du travail lié aux nouvelles normes sanitaires ! De plus, les divergence­s entre secteurs explosent. Le “technologi­que” enfonce tout. La reprise sera ultradarwi­nienne, ni en U ou en L mais en K, symbole de la disruption. Le rattrapage attendu après le creux de 2020 ne doit pas faire illusion. La Lettre de juillet de Rexecode prévoit pour la France un rebond de 7,8 % en 2021, puis de 2,8 % en 2022, mais la convergenc­e vers “un potentiel de croissance affaibli de l’ordre de 0,8 % par an”. Si ce pronostic s’avère exact, c’est une tragédie. Ce serait une division par deux du “potentiel” tricolore, et la quasiimpos­sibilité de poursuivre sur la trajectoir­e actuelle de distributi­on sociale.

Le défi des prochains mois

Pour sa part, la revue ‘Commentair­e d’automne’, qui propose un inventaire prospectif global, parle de “La période de tous les dangers”. Malgré quelques bonnes nouvelles comme le plan commun de relance de 750 milliards d’euros de l’UE, la revue Commentair­e relève que les tensions entre États gagnent tous les domaines : “les flux internatio­naux de capitaux ont chuté à des niveaux historique­ment bas; le commerce internatio­nal ne redémarre pas ; les frontières restent closes”.

Dans ‘La lettre Éco’ du Cercle de l’Épargne, Philippe Crevel enfonce le clou : “le défi des prochains mois est le relèvement de la croissance potentiell­e, ce qui passe par une augmentati­on du nombre de personnes au travail et des gains de productivi­té”. Autrement dit, le Covid torpille les PIB mais il ne change pas les règles de base d’une associatio­n capitaltra­vail efficace. À France Relance de savoir relever ce défi.

Il faut maintenant ajouter les coups de buttoirs signés Covid que la panoplie urgentiste ne guérit pas. Au point que pour nombre d’économiste­s, le risque “d’affaisseme­nt” devient très substantie­l

 ??  ?? Le pays souffre de freins multiples qui handicapen­t sa capacité à retrouver le niveau
de croissance “d’avant”.
Le pays souffre de freins multiples qui handicapen­t sa capacité à retrouver le niveau de croissance “d’avant”.
 ??  ?? Bruno Le Maire promet que la France retrouvera les niveaux 2019 de PIB dès 2022, et pour l’endettemen­t, Jean Castex, assure que ce sera dès 2025. Toute une série
d’éléments laisse planer un doute sur un tel rétablisse­ment.
Bruno Le Maire promet que la France retrouvera les niveaux 2019 de PIB dès 2022, et pour l’endettemen­t, Jean Castex, assure que ce sera dès 2025. Toute une série d’éléments laisse planer un doute sur un tel rétablisse­ment.

Newspapers in French

Newspapers from France