Le Nouvel Économiste

L’Égypte, grande perdantep des relations entre Israël et les Émirats arabes unis

Son statut d’interlocut­eur privilégié entre le monde arabe et l’État hébreu est pour l’instant suspendu

- MAELSTRÖM MOYEN-ORIENTAL, ARDAVAN AMIR-ASLANI

Cela faisait 26 ans qu’aucun rapprochem­ent israélo-arabe n’avait eu lieu, depuis la reconnaiss­ance d’Israël par son voisin jordanien en 1994. Si de nombreuses analyses saluèrent la signature de l’accord de normalisat­ion des relations entre Israël et les Émirats arabes unis comme “historique”, d’autres se sont rapidement montrées plus circonspec­tes. Certes, Abdel Fattah Al-Sissi, le président égyptien, avait d’emblée salué cet accord réalisé sous l’égide des États-Unis, tweetant ainsi que “s’il permettait d’arrêter l’annexion des territoire­s palestinie­ns par Israël” et “d’assurer la prospérité et la stabilité de la région”, ce rapprochem­ent se justifiait. Mais Benjamin Netanyahu avait immédiatem­ent rectifié la déclaratio­n des Émirats, expliquant que l’annexion de la Cisjordani­e était simplement “reportée”.

L’Égypte considère ce nouveau rapprochem­ent israélo-arabe comme une confirmati­on du ppouvoir ggrandissa­nt des Émirats, forts d’une diplomatie efficace et de vastes ressources financière­s à même de susciter de tels développem­ents stratégiqu­es.

Nombreux sont ainsi les pays arabes à contester le rapprochem­ent entre les Émirats et Israël, qui vise bien davantage à initier un front uni contre les ambitions régionales de l’Iran qu’à préserver les Palestinie­ns d’une annexion inique. La communicat­ion des Émirats a eu beau comparer leur “coup” diplomatiq­ue au geste d’Anouar El-Sadate, qui avait scellé la paix avec Israël en 1979, ni la presse égyptienne, ni même les éditoriali­stes les plus proches du pouvoir égyptien, n’ont daigné commenter ce rapprochem­ent réalisé sans concertati­on avec le monde arabe ni consensus (contrairem­ent à ce que le “plan Abdallah” de 2002 prévoyait), et dès lors majoritair­ement considéré dans le pays comme un affront. Le Parlement égyptien ne s’est pas davantage exprimé, lui qui d’ordinaire soutient toutes les initiative­s émiraties portées contre les intérêts du Qatar ou de la Turquie.

Ce mutisme de la part de la sphère médiatico-politique, qui contraste avec les intenses critiques exprimées sur les réseaux sociaux, n’a pourtant rien de surprenant. Car plus qu’aucun autre pays de la région, l’Égypte a toutes les raisons de considérer d’un très mauvais oeil cette reconnexio­n diplomatiq­ue qui risque de l’isoler et de lui faire de l’ombre.

Depuis les accords historique­s de Camp David signés en 1978 où elle fut le premier pays arabe à reconnaîtr­e l’existence d’Israël, l’Égypte s’était imposée comme l’interlocut­eur privilégié entre le monde arabe et l’État hébreu. Inquiète depuis plusieurs années face à la montée en puissance des pays arabes du golfe Persique, l’Égypte considère donc ce nouveau rapprochem­ent israélo-arabe comme une menace directe pour sa propre influence, et une confirmati­on du pouvoir grandissan­t des Émirats, forts d’une diplomatie efficace et de vastes ressources financière­s à même de susciter de tels développem­ents stratégiqu­es.

L’accord israélo-émirati exclut l’Egypte

De longue date, la relation entre l’Égypte et les Émirats se nourrit de frustratio­ns car, bien qu’alliée aux Émirats dans leur haine mutuelle des Frères musulmans et leur opposition à la Turquie, qui se manifeste notamment sur le théâtre libyen, l’Égypte en est surtout dépendante financière­ment. Les derniers événements ne feront qu’approfondi­r ce ressentime­nt. L’accord israélo-émirati prévoit, outre l’ouverture d’ambassades respective­s et de liaisons aériennes, d’importante­s collaborat­ions dans les domaines touristiqu­es, universita­ires, et surtout scientifiq­ues, notamment autour de la recherche sur le Covid-19, soit autant de perspectiv­es financière­s et commercial­es qui excluent l’Égypte. C’est même son prestige en tant qu’autorité religieuse au sein du monde musulman qui a été atteint, puisque les Émirats devraient oeuvrer à l’organisati­on des visites de la mosquée Al-Aqsa à Jérusalem.

La négociatio­n de cet accord souligne le manque de crédit diplomatiq­ue dont semble jouir Abdel Fattah Al-Sissi et le peu de cas qu’en fait Mohammed Ben Zayed, prince héritier d’Abou Dhabi. Face à une élite égyptienne qui reste soit très imprégnée par le panarabism­e de Nasser – et donc faroucheme­nt opposée à toute normalisat­ion avec Israël – soit prônant au contraire un rapprochem­ent mesuré et stratégiqu­e – partant du principe que la négation de l’État hébreu n’a finalement jamais menacé son existence – le président égyptien apparaît désormais comme un dirigeant décrédibil­isé qui n’a pas su anticiper ni faire l’Histoire, contrairem­ent à son illustre prédécesse­ur.

Coopératio­n Egypte-Israël, tout n’est pas perdu

Néanmoins, en raison de l’historicit­é de leur relation, la coopératio­n entre l’Égypte et Israël devrait rester prédominan­te en matière de lutte contre le terrorisme – notamment dans le Sinaï – mais aussi de partenaria­ts énergétiqu­es, avec la constructi­on du gazoduc EastMed en Méditerran­ée orientale. Dans l’optique de faire oublier ses propres difficulté­s diplomatiq­ues, tant face à la Turquie dans le dossier libyen et méditerran­éen, que face à l’Éthiopie avec la constructi­on du barrage de la Renaissanc­e, l’Égypte aurait tout intérêt à réaffirmer sa position au Proche-Orient et à oeuvrer auprès des États-Unis pour une reprise du dialogue entre Israël et l’Autorité palestinie­nne, Le Caire ayant conservé un rôle crucial en tant que médiateur entre l’État hébreu et le Hamas à Gaza. Retrouver un rôle diplomatiq­ue ne se fera sans doute pas sans contrepart­ie, et on peut attendre des Américains qu’ils exigent du Caire qu’il abandonne sa politique ambiguë à l’égard d’Israël et renforce au contraire sa coopératio­n avec l’État hébreu. Il s’agit là d’un choix entre l’isolement régional et, in fine, économique – ce que l’Égypte ne peut guère se permettre à l’heure actuelle – ou une implicatio­n politique de nouveau à la hauteur de son prestige au Moyen-Orient, chacun de ces deux choix pouvant engager son avenir.

 ??  ?? Le président égyptien Abdel Fattah Al-Sissi apparaît désormais comme un dirigeant décrédibil­isé qui n’a pas su anticiper ni faire l’Histoire,
contrairem­ent à son illustre prédécesse­ur Nasser.
Le président égyptien Abdel Fattah Al-Sissi apparaît désormais comme un dirigeant décrédibil­isé qui n’a pas su anticiper ni faire l’Histoire, contrairem­ent à son illustre prédécesse­ur Nasser.

Newspapers in French

Newspapers from France