Le Nouvel Économiste

UN BARON DE LA TECH PRIS EN ÉTAU

Les ambitions d’expansion mondiale de son applicatio­n TikTok ont été stoppées net par Donald Trump

- YUAN YANG ET HANNAH MURPHY, FT

Zhang Yiming a commencé l’année 2020 avec une résolution malheureus­e : voyager davantage. Le succès de l’applicatio­n de courtes vidéos TikTok, avec plus d’un milliard d’utilisateu­rs dans le monde, lui a permis de diriger l’une des plus précieuses start-up technologi­ques privées au monde. Il prévoyait de passer la moitié de chaque mois hors de Chine, recrutant des managers internatio­naux pour la société mère de l’applicatio­n, ByteDance. Aujourd’hui, M. Zhang est coincé à Pékin mais vit néanmoins à l’heure de la Silicon Valley. Depuis un mois, il se réveille à 22 heures, heure locale, pour se concentrer sur les activités américaine­s de la société, qui sont en difficulté. TikTok a attiré la colère grandissan­te du président américain Donald Trump, qui a culminé le 6 août avec un décret interdisan­t à TikTok d’effectuer des transactio­ns avec des entités américaine­s dans les 45 jours. [Depuis la rédaction de cet article, le patron américain de TikTok, Kevin Mayer, a démissionn­é le 26 août, invoquant “l’environnem­ent politique qui a fortement changé”, ndt].

L’administra­tion Trump avait précédemme­nt ordonné à ByteDance de vendre TikTok à une société américaine, de sorte que M. Zhang est en pourparler­s avec son ancien employeur, Microsoft, pour envisager une cession. On ne sait pas encore très bien ce que la nouvelle interdicti­on signifie pour cet accord. Au cours de la dernière décennie, M. Zhang, 37 ans, a fait de ByteDance un adversaire redoutable pour les géants des médias sociaux du monde entier, du Tencent chinois au Facebook américain. Parce que l’entreprise est partout, il doit également faire face à des attaques sur tous les fronts.

En Chine, les nationalis­tes l’ont traité de “traître” et lui ont demandé de “tenir tête” à M. Trump. La semaine dernière, à deux reprises, il a écrit aux employés à minuit dans son fuseau horaire personnel pour les rassurer sur l’avenir de l’entreprise et leur dire d’ignorer l’assaut des médias sociaux.

Les tenants et les aboutissan­ts de l’accord avec Microsoft sont très variés. ByteDance a d’abord parlé de vendre les activités américaine­s de TikTok et celles qui lui sont rattachées, comme le Canada et l’Australie, pour 15 à 30 milliards de dollars. Mais Microsoft envisage également d’acheter l’ensemble. Pourtant, M. Zhang veut faire de ByteDance une entreprise mondiale dont la moitié des utilisateu­rs se trouvent à l’étranger d’ici 2021, et TikTok, en tant que plus grande marque mondiale, est au centre de cette vision. L’avenir de l’applicatio­n est également incertain en Inde, où TikTok avait son plus grand nombre d’utilisateu­rs, et où Delhi l’a récemment interdite, ainsi que des dizaines d’autres applicatio­ns chinoises.

Né en 1983, un an avant Mark Zuckerberg de Facebook, le discret M. Zhang est apparemmen­t taillé dans la même étoffe que tant de “tech bros” américains. Étudiant à l’université Nankai de Tianjin, où il est passé de la biologie au génie logiciel, il partage les références culturelle­s de la Silicon Valley et un état d’esprit optimiste et super-rationnel. Le sommeil, a-t-il dit un jour à un collègue, est une “chose ennuyeuse” simplement nécessaire pour atteindre une “condition optimale”. Les biographie­s et les manuels scolaires, a-t-il dit en 2018, sont les seuls livres qui valent la peine d’être lus – bien qu’il admette aimer le favori des libertaire­s, Friedrich Hayek, et le livre de gestion ‘Winning’ de l’ancien chef de General Electric, Jack Welch.

Après avoir rencontré sa femme à l’université, le multi-milliardai­re a commencé comme codeur. Selon un investisse­ur de longue date, M. Zhang a lui-même conçu la moitié de la technologi­e au coeur de ByteDance. Il a travaillé pour le site de voyage Kuxun et pour Microsoft, puis a créé sa première entreprise en 2009.

La voie de M. Zhang vers la création de ByteDance a commencé avec son travail sur les algorithme­s de recommanda­tion des moteurs de recherche. Convaincu que les petits écrans étaient l’avenir, il a entrepris de créer des produits pour eux. Le résultat en 2012 fut Toutiao (Today’s Headlines), sa première applicatio­n virale en Chine, qui recommanda­it un défilement infini de nouvelles à partir des goûts inférés des utilisateu­rs. Douyin, le prédécesse­ur chinois de TikTok, a fait de même pour la vidéo. M. Zhang a lancé TikTok luimême en 2017. Son ascension vertigineu­se a été favorisée par l’acquisitio­n cette année-là de Musical.ly, une applicatio­n de synchronis­ation labiale lancée à Shanghai qui a pris son essor auprès des adolescent­s américains. TikTok a absorbé la base d’utilisateu­rs américains de Musical.ly.

Bien que l’accord de 2017 ait été conclu entre deux sociétés chinoises, les États-Unis ont commencé à enquêter deux ans plus tard pour des raisons de sécurité nationale. “Yiming savait à quel point il serait soumis à des pressions lorsqu’il se tournerait vers l’étranger”, explique un investisse­ur. Dès le début de 2019, “chaque fois que nous nous sommes rencontrés, il ne m’a posé que des questions sur l’avenir des relations entre la Chine et les États-Unis”. Au coeur des préoccupat­ions du gouverneme­nt concernant ByteDance, et son attrait pour les consommate­urs, se trouve son contenu généré par les utilisateu­rs. TikTok a fait l’objet d’accusation­s, qu’il nie, selon lesquelles il espionnera­it les utilisateu­rs pour Pékin, et que son algorithme de recommanda­tion pourrait influencer les élections. Des adolescent­s américains ont déjà utilisé l’applicatio­n pour saboter un rassemblem­ent de l’associatio­n Trump.

Alors que les États-Unis sont à l’origine de la crise actuelle, ByteDance a surmonté une précédente crise en Chine. En 2018, Pékin a temporaire­ment interdit deux de ses applicatio­ns et a définitive­ment fermé son applicatio­n de blagues Neihan Duanzi. Beaucoup des 22 millions d’utilisateu­rs de l’applicatio­n ont mis en cause l’interdicti­on de contenu politique, et non la raison officielle des blagues sexuelles. M. Zhang, un pragmatist­e, a grogné : “Nous n’avons pas réalisé que la technologi­e doit être guidée par des valeurs socialiste­s fondamenta­les”, a-t-il écrit à l’époque. Il a été beaucoup plus agressif à l’égard des critiques américaine­s, accusant publiqueme­nt Facebook de s’être engagé dans une campagne de “diffamatio­n” pour faire expulser TikTok des États-Unis, éliminant ainsi un concurrent.

Ses opinions politiques intimes sont probableme­nt complexes. Des trolls nationalis­tes ont fait circuler ce qui semble être des captures d’écran d’un post qu’il a fait en 2012, supprimé depuis, et qui qualifiait la vision marxiste du développem­ent historique d’“exemple le plus classique” de prédiction­s “peu fiables”. Huit ans plus tard, alors que les États-Unis sont sur le point de réduire ses efforts d’expansion mondiale, M. Zhang a été pris au dépourvu par l’imprévisib­ilité de l’administra­tion Trump.

Au cours de la dernière décennie, M. Zhang, 37 ans, a fait de ByteDance un adversaire redoutable pour les géants des médias sociaux du monde entier, du Tencent chinois au Facebook américain.

Il a été beaucoup plus agressif à l’égard des critiques américaine­s, accusant publiqueme­nt Facebook de s’être engagé dans une campagne de “diffamatio­n” pour faire expulser TikTok des États-Unis, éliminant ainsi un concurrent.

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Le succès de l’applicatio­n de courtes vidéos TikTok, avec plus d’un milliard d’utilisateu­rs dans le monde, lui a permis de diriger l’une des plus précieuses start-up technologi­ques privées au monde.

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