Le Nouvel Économiste

ASSEMBLÉES DE CITOYENS, MODE D’EMPLOI

Ces assemblées ont plus de succès lorsque les politiques les écoutent réellement.

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Shirley Islam a peu de foi dans la politique. Les représenta­nts élus “se chamaillen­t à la télévision, ou gaspillent l’argent des contribuab­les, ou essaient de vendre quelque chose”, explique cette employée de 48 ans, originaire de West Lothian, en Écosse. “Ils disent tous la même chose”, soupireMai­s elle se sent un peu plus confiante ces derniers temps. Son optimisme est le résultat de son engagement dans une “assemblée de citoyens” en Écosse pour débattre de l’avenir du pays – d’abord dans un centre de conférence à Glasgow et depuis le 5 septembre sur Zoom. La politique, pense-t-elle, “doit être en contact avec les gens”. “C’est la voie à suivre”, poursuitel­le. “Cela doit se faire.”

Au cours de la dernière décennie, les institutio­ns démocratiq­ues ont été mises à mal. Selon le Pew Research Centre, 64 % des gens dans 34 pays ne croient pas que les élus se soucient de ce que pensent les gens ordinaires. 69 % des Britanniqu­es sont mécontents de la façon dont la démocratie fonctionne chez eux, tout comme 59 % des Américains. Une solution, longtemps privilégié­e par les politologu­es, consiste à inclure davantage de délibérati­on dans la démocratie. Les assemblées de citoyens sont un moyen de plus en plus populaire de le faire. Il s’agit d’un groupe d’environ 100 personnes, largement représenta­tif de la population (par sexe, âge et statut socio-économique, par exemple), qui se réunit pendant plusieurs semaines ou mois pour débattre de sujets délicats, comme la légalisati­on de l’avortement ou la réponse au changement climatique. Au cours des assemblées les mieux organisées, les participan­ts entendent des experts de tous bords et formulent des recommanda­tions auxquelles leurs gouverneme­nts ont promis de répondre.

Plusieurs grandes assemblées de citoyens sont en cours ou se sont récemment conclues. L’année dernière, le président Emmanuel Macron a créé une “convention citoyenne sur le climat” afin de proposer des mesures qui permettron­t à la France de réduire les émissions de gaz à effet de serre d’au moins 40 % d’ici 2030. La procédure, perturbée d’abord par des grèves nationales puis par le confinemen­t lié à la Covid19, s’est achevée en juin. Les 150 participan­ts ont demandé deux modificati­ons de la Constituti­on pour contribuer à la préservati­on de l’environnem­ent et de la biodiversi­té, ainsi qu’une loi pour criminalis­er l’“écocide”. Une “assemblée sur le climat” en Grande-Bretagne a publié son rapport final, complété via Zoom, le 10 septembre. La “Deliberaci­ón País”, un processus de délibérati­on à grande échelle au Chili pour débattre de la réforme des retraites et des soins de santé, a été reportée à décembre et sera uniquement en ligne.

Bien que des assemblées de citoyens aient été tentées au Canada et aux Pays-Bas au début des années 2000, l’engouement récent a commencé en Irlande. Deux assemblées de citoyens y ont eu lieu pour débattre de divers sujets. L’impulsion initiale a été donnée par le krach financier de 2007-2009, qui a laissé de nombreuses personnes dans le pays désillusio­nnées par la politique et a rendu les politicien­s plus disposés à expériment­er, rappelle David Farrell de l’University College Dublin (UCD), qui a conseillé le gouverneme­nt irlandais sur les projets. Un sentiment de crise similaire a inspiré la convention citoyenne en France, qui a été mise en place en réponse aux manifestat­ions de gilets jaunes.

Les assemblées irlandaise­s ont donné lieu à deux référendum­s, sur le mariage homosexuel et sur l’avortement, des sujets longtemps considérés comme trop conflictue­ls pour que les politiques puissent même les aborder dans un pays où les trois quarts de la population se disent encore catholique­s. Les résultats ont été frappants. En 2015, le mariage homosexuel a été approuvé par 62 % de la population ; 66 % ont voté en 2018 en faveur de l’accès à l’avortement dans les 12 premières semaines de la grossesse. Les groupes de citoyens ont préfiguré ces résultats.

“L’Irlande est la Rolls-Royce des assemblées de citoyens”, déclare Iain Walker de la newDemocra­cy Foundation en Australie, qui a organisé des pow-wow similaires dans ce pays. M. Farrell est plus circonspec­t. Le recrutemen­t en Irlande n’était pas parfait : dans l’une des assemblées, les citoyens supposés avoir été choisis au hasard, et qui avaient été convoqués par un cabinet d’études de marché, comprenaie­nt un couple. Dans une autre, sept participan­ts se sont révélés être des amis de l’un des recruteurs. Néanmoins, le fait que les assemblées aient contribué à ouvrir la voie à des réformes importante­s fait de l’Irlande un “phare”, pense-t-il. Idéalement, les assemblées devraient ressembler au grand public. La France a choisi les membres de son assemblée au hasard par téléphone. Quelque 255 000 personnes ont été contactées. À la surprise des organisate­urs, 70 % d’entre elles se sont déclarées prêtes à y participer. Parmi elles, 150 citoyens français reflétant la compositio­n du pays en termes de sexe, d’âge, de revenus et de lieu de résidence ont été invités à participer. L’âge minimum a été fixé à 16 ans pour permettre aux lycéens de participer. Chaque personne a reçu 86 euros par jour (la même somme que celle versée en France aux jurés). Les frais de garde d’enfants étaient remboursés et l’assemblée payait directemen­t

Au cours des assemblées les mieux organisées, les participan­ts entendent des experts de tous bords et formulent des recommanda­tions auxquelles leurs gouverneme­nts ont promis de répondre.

La France a choisi les membres de son assemblée au hasard par téléphone. Quelque 255 000 personnes ont été contactées. À la surprise des organisate­urs, 70 % d’entre elles se sont déclarées prêtes à y participer

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pour toutes les 149 propositio­ns de l’assemblée sauf trois.
Emmanuel Macron s’est rendu à une séance de la Convention citoyenne sur le climat pendant plus de deux heures, et a ensuite promis de mettre en oeuvre soit une loi, soit un référendum, pour toutes les 149 propositio­ns de l’assemblée sauf trois.

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