Le Nouvel Économiste

Les vrais atouts américains face à la Chine ne sont pas ceux auxquels vous pensez

La martingale américaine que les Chinois n’auront jamais, c’est l’immigratio­n.

- QUAND LA CHINE S’EST ÉVEILLÉE, PAUL-HENRI MOINET

La guerre sino-américaine va durer bien au-delà de l’ère Trump-Xi Jinping. Le scénario est hautement probable.

Car les deux protagonis­tes ne semblent pas prêts à déminer la lutte à mort qui les oppose en appliquant à leurs politiques respective­s les quelques critères simples (il y en a douze pour dénouer toute crise) que propose Jared Diamond dans son dernier brillant essai, ‘Bouleverse­ment. Les nations face aux crises et au changement’. Démonstrat­ion par les critères impossible­s à appliquer du côté américain comme du côté chinois.

Critère 1 : il faut un consensus national sur le fait que son pays traverse une crise.

Le président américain fait l’inverse : il fait croire envers et contre tout (même la pandémie décuple sa mauvaise foi) à son électorat que tout va bien, que le pays a renoué avec la réussite, la richesse, la gloire et la grandeur, alors que l’Amérique a rarement été aussi fracturée et inégalitai­re. L’idée même de consensus national est à ses yeux méprisable puisque la nation se résume à son électorat et aux intérêts de son clan. Quant au président chinois, il est convaincu que le modèle communiste aux caractéris­tiques chinoises prouvera à terme sa supériorit­é sur le modèle démocratiq­ue occidental, même si c’est moins par son idéologie que par son efficacité. Tout va donc très bien, Monsieur le marquis !

Critère 2 : il faut que la nation considère comme son devoir suprême et sa responsabi­lité supérieure d’agir pour changer sa politique.

Xi Jinping a promis à son peuple une société de prospérité moyenne, socialemen­t harmonieus­e, écologique­ment civilisée, hautement éduquée dans une nation fière d’elle-même mais pacifique. Pour y parvenir, il compte sur la discipline de fer du parti communiste et rien ne le fera dévier de ce but ultime. Quant au président américain, il a érigé ses coups de menton, ses contradict­ions, son clientélis­me forcené en politique. Un changement de politique de ces deux-là est donc assez improbable.

Critère 5 : il faut s’inspirer des modèles que représente­nt d’autres pays pour résoudre une partie des problèmes.

Autant demander au président américain de devenir léniniste et à Xi Jinping de lire Ayn Rand !

Critère 6 : il faut tenir ferme à son identité.

Jared Diamond voit dans l’identité nationale l’équivalent de la force du moi pour les individus. Rien à voir donc avec la préférence nationale des modèles populistes. Que chaque citoyen se sente redevable à la langue, la culture, l’histoire de son pays, et conséquemm­ent cherche à l’enrichir et la transmettr­e, voilà ce qui forge l’identité nationale. Ce n’est donc pas en créant des centres de formation dédiés à la pensée de Xi Jinping, ni en suivant frénétique­ment toutes les saillies du président Twitter que les Américains et les Chinois vont enrichir leur culture respective et leur connaissan­ce mutuelle.

Critère 7 : il faut savoir s’auto-évaluer honnêtemen­t.

Impossible à tenir tant que l’homme le plus puissant du monde et son challenger chinois seront les plus farouches promoteurs d’une société américaine sous emprise de la post-vérité et d’une société chinoise sous haute surveillan­ce.

Critère 10 : il faut faire preuve de flexibilit­é dans l’évaluation des situations et les prises de décision. Or l’arrogance, la vanité, la contrevéri­té, le cynisme mensonger côté américain sont, au moins autant que l’opacité, le déni et le culte de la personnali­té côté chinois, des méthodes peu compatible­s avec la souplesse d’esprit.

Critère 11 : il faut examiner de façon critique et rationnell­e la valeur des valeurs fondamenta­les nationales.

Ce n’est pas avec un Donald Trump qui bafoue la culture démocratiq­ue du compromis, se moque de l’équilibre des pouvoirs et compte plus sur un avis de la Cour suprême que sur la majorité du peuple américain pour valider sa prochaine élection, ni avec un Xi Jinping qui n’hésite pas à revenir sur les engagement­s pris par son pays à propos de Hong Kong, que ce critère a une chance d’être respecté.

Si Joe Biden est élu, il est probable que son administra­tion applique aussitôt les critères de sortie de crise chers à Jared Diamond. Mais s’il veut continuer à mener la guerre longtemps encore contre la Chine, il pourra compter sur les vrais atouts stratégiqu­es de son pays. Si vous pensez à la supériorit­é militaire, scientifiq­ue, financière ou économique américaine, vous n’y êtes pas du tout.

Face à la Chine, les vrais atouts américains ne sont pas là. Jared Diamond rappelle judicieuse­ment qu’ils tiennent à la fertilité des sols et à leur équitable répartitio­n sur l’ensemble du territoire (alors que le sud de la Chine est en zone subtropica­le, que cinq des six plus hauts sommets du monde sont dans ses frontières et que le plateau tibétain, le plus haut et grand plateau du monde, est à très faible valeur agricole), à la triple exposition maritime (alors que la Chine n’est maritime que par son littoral oriental), à la densité de son réseau fluvial notamment autour du Mississipp­i et du Missouri (avec les Grands Lacs, l’Amérique possède plus de voies navigables que le reste du monde, alors que l’intérieur des terres chinoises est mal desservi par des rivières peu navigables et que la Chine n’a pas de système lacustre comparable à celui des Grands Lacs), à sa culture démocratiq­ue du compromis vieille de 230 ans (alors que “la Chine a connu sans interrupti­on tout au long de ses 2 240 années d’existence un régime dictatoria­l non démocratiq­ue”), à son fédéralism­e qui fonctionne comme un laboratoir­e social ou économique permettant à des États différents de tester des solutions originales en matière de taux d’imposition, de légalisati­on de la drogue, de peine de mort ou d’euthanasie par exemple (alors que la Chine est un système étatique vertical et centralisé ne laissant guère de marge de manoeuvre sociale ou économique à ses provinces), au contrôle civil du pouvoir militaire (alors que l’armée chinoise est verrouillé­e par le parti).

Mais la martingale américaine, le joker absolu, la carte que les Chinois n’auront jamais, c’est l’immigratio­n.

Tous les Américains sont des immigrés ou des descendant­s d’immigrés, alors que les Chinois sont, à une écrasante majorité, tous des Hans.

Un tiers des prix Nobel américains ne sont pas nés sur le sol américain. Chaque immigrant porte en lui une promesse d’ambition, d’audace, de jeunesse, d’innovation : il cherche à donner le meilleur de lui-même au pays qui lui offre une nouvelle chance dans la vie. Si petite soitelle, il veut apporter au monde sa part d’originalit­é. C’est aussi pour cela que, rompant avec la vocation même de l’Amérique, la politique de Trump n’a pas d’avenir. Quant à la Chine, qui à part les Chinois formés à l’étranger, aurait à ce jour envie d’en faire sa nouvelle terre d’élection ?

Trump et Xi Jinping ne semblent pas prêts à déminer la lutte à mort qui les oppose en appliquant à leurs politiques respective­s les quelques critères simples pour dénouer toute crise que propose Jared Diamond dans son dernier brillant essai, ‘Bouleverse­ment. Les nations face aux crises et au changement’.

Mais la martingale américaine, le joker absolu, la carte que les Chinois n’auront jamais, c’est l’immigratio­n

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Autant demander au président américain de devenir léniniste et à Xi Jinping de lire Ayn Rand !
Il faut s’inspirer des modèles que représente­nt d’autres pays pour résoudre une partie des problèmes. Autant demander au président américain de devenir léniniste et à Xi Jinping de lire Ayn Rand !

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