Le Nouvel Économiste

MASTERCARD ET VISA SE LANCENT DANS L’ARÈNE

Les deux géants des cartes de paiement espèrent jouer sur tous les tableaux

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La plus belle récompense à laquelle un système de paiement peut aspirer est d’être oublié. “Les gens ne veulent pas faire de paiements”, affirme Diana Layfield, cadre de l’équipe paiements de Google. “Ils veulent faire ce qu’un paiement facilite.” Les plus grandes batailles du secteur se déroulent donc souvent dans l’ombre. La dernière, qui voit les réseaux de cartes, les entreprise­s technologi­ques et les gouverneme­nts se disputer le contrôle des tuyaux virtuels le long desquels circule l’argent numérique, ne fait pas exception. Les récentes manoeuvres des gouverneme­nts, des réseaux de cartes et même de SWIFT, le principal service de messagerie interbanca­ire pour les paiements transfront­aliers, montrent à quel point les lignes de front se déplacent.

Un système de paiement électroniq­ue ressemblai­t habituelle­ment à un service postal dédié à l’argent. De nombreux pays disposent d’un réseau national de paiement à faible coût, mandaté par le gouverneme­nt, qui permet de transférer des fonds entre les banques. Comme par la poste, l’argent pouvait mettre des jours à arriver ; le suivi était délicat. Les chambres de compensati­on automatisé­es (CCA) [ou ACH pour automated clearing-house, ndt], comme on appelle les systèmes nationaux, étaient donc principale­ment utilisées pour effectuer des paiements récurrents, comme les salaires ou les prestation­s, qui ne nécessiten­t pas d’autorisati­on immédiate. Pour les transactio­ns ponctuelle­s, comme les achats, les gens utilisaien­t des réseaux de cartes privées, qui permettent des vérificati­ons instantané­es grâce à une technologi­e intégrée dans les terminaux. Cependant, avec l’essor de l’économie numérique, de nombreux gouverneme­nts ont modernisé les conduites afin de pouvoir autoriser et régler les transactio­ns en ligne en quelques secondes. Aujourd’hui, 55 pays, du Canada à Singapour, disposent de systèmes de paiement “en temps réel” de banque à banque. Une demi-douzaine d’autres sont sur le point de lancer le leur. En plus de l’argent, le système “fast ACH” permet également à de nombreuses données de circuler, de sorte que les expéditeur­s et les destinatai­res peuvent garder un oeil sur l’ensemble du processus, ce qui peut prévenir la fraude. Les banques centrales les jugent fiables et plus résistante­s. Les entreprise­s technologi­ques, comme Google, ont construit leurs propres applicatio­ns de paiement sur ces “rails”. Et les utilisateu­rs apprécient de pouvoir déplacer et suivre leur argent en toute transparen­ce. Les sociétés de cartes de crédit, en revanche, sentent une menace. C’est pourquoi Mastercard et Visa, qui traitent ensemble 90 % des paiements par carte dans le monde en dehors de la Chine, ont trouvé une réponse intelligen­te : participer à l’action. Le 29 septembre, Mastercard a déclaré qu’elle collaborer­ait avec ACI Worldwide, qui fabrique des logiciels pour les systèmes de paiement en temps réel, afin de fournir de tels services dans le monde entier. Une démarche qui participe de la tentative de s’éloigner du plastique que Mastercard a entreprise en 2016, lorsqu’elle a acheté Vocalink, une entreprise de logiciels qui a construit et qui gère maintenant le “fast ACH” britanniqu­e, et qui alimente également ceux d’autres pays. Pour sa part, Visa a mis en place sa propre alternativ­e à l’ACH rapide, appelée Visa Direct, et propose des services, tels que des outils de sécurité, pour aider à renforcer les réseaux de paiement des pays.

Pour l’instant, les systèmes de paiement nationaux restent uniquement nationaux. Bien que construits selon des principes similaires, la plupart ne peuvent pas fonctionne­r ensemble (les systèmes européens sont l’exception). Cela laisse de la place aux autres. Certaines entreprise­s spécialisé­es ont construit leur propre ensemble de rails qui aident les banques d’un pays à se connecter aux réseaux de paiement locaux d’un autre pays. SWIFT, qui a longtemps été critiqué pour sa lenteur et son coût élevé, est en train d’améliorer sa performanc­e. Le 17 septembre, elle a dévoilé une stratégie visant à “faciliter les paiements instantané­s, transparen­ts et sécurisés” grâce à la technologi­e du cloud. Ce serait comme passer du processus coûteux et lourd d’envoi d’un colis à l’étranger à la commodité du courrier électroniq­ue. Les projets de SWIFT pourraient rapidement gagner du terrain ; la coopérativ­e compte plus de 11 000 membres, dont la plupart sont des banques. Mais les réseaux de cartes voient là aussi une ouverture. L’année dernière, Mastercard et Visa ont acquis des sociétés qui traitent les transferts de banque à banque en se connectant directemen­t aux systèmes de compensati­on locaux. La carte plastique est de moins en moins un pilier : récemment, Mastercard s’est qualifiée de “société mondiale de technologi­e de paiement multirail”. Paul

Stoddart, responsabl­e des nouvelles plateforme­s de paiement de l’entreprise, décrit ses incursions comme un moyen d’offrir un choix aux clients. Avec une croissance à deux chiffres des paiements par carte et des paiements ACH rapides ces dernières années, l’essor des paiements numériques devrait se traduire par de nombreux bénéfices. Mais au cas où, les réseaux de cartes parient sur tous les chevaux.

En plus de l’argent, le système “fast ACH” permet également à de nombreuses données de circuler. Les entreprise­s technologi­ques, comme Google, ont construit leurs propres applicatio­ns de paiement sur ces “rails”.

Avec une croissance à deux chiffres des paiements par carte et des paiements ACH rapides ces dernières années, l’essor des paiements numériques devrait se traduire par de nombreux bénéfices. Mais au cas où, les réseaux de cartes parient sur tous les chevaux.

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La carte plastique est de moins en moins un pilier : cette semaine, Mastercard s’est qualifiée de “société mondiale de technologi­e de paiement multirail”.

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