Le Nouvel Économiste

L’emploi handicapé fragilisé

L’État et les acteurs du secteur mobilisés pour que les personnes handicapée­s ne soient pas laissées de côté

- CHARLOTTE DE SAINTIGNON

problème de santé et n’auront pas d’arrêt maladie. Ils seront plus réticents à employer des personnes dont l’état de santé est susceptibl­e d’être moins bon”, pointe JeanFranço­is Amadieu. “Le handicap a une connotatio­n négative et la crise ne fait qu’augmenter la frilosité à embaucher des personnes handicapée­s qui sont considérée­s comme plus vulnérable­s et fragiles”, regrette Stéphanie MagyGateau, fondatrice et présidente du cabinet Internatio­nal Strategy SC.

Ainsi, les personnes obèses, les seniors et les personnes handicapée­s sont les trois types de population qui pourraient être les plus impactées. Déjà en temps normal, les personnes handicapée­s connaissen­t de plus grandes difficulté­s à trouver un emploi – leur taux de chômage de 16 % est le double de celui de la population active. Selon le baromètre 2019 Medef Sofres sur l’égalité des chances, 11 % des salariés craignent d’être discriminé­s à cause de leur handicap, visible ou invisible. Tous critères de discrimina­tion confondus (sexe, âge, handicap, origine…), près d’une personne sur deux en situation de handicap déclare avoir été discriminé­e dans l’emploi (49 %), contre 31 % des personnes non concernées par le handicap (10e Baromètre Défenseur des droits/ Organisati­on internatio­nale du travail).

À cette première discrimina­tion liée au handicap s’ajoute un amalgame entre handicap et vulnérabil­ité, que déplore Matthieu Annereau. “Un raccourci trop direct et rapide est fait, notamment par les employeurs, entre personnes handicapée­s et personnes à risque. Dans certains cas, les personnes handicapée­s peuvent être à risque mais cela n’est pas valable pour toutes.” Selon Jean-François Amadieu, qui est également sociologue spécialist­e des relations sociales au travail, la difficulté réside aussi dans la multiplica­tion des techniques de recrutemen­t à distance. “Beaucoup de personnes handicapée­s sont susceptibl­es d’être défavorisé­es par l’analyse automatiqu­e des entretiens vidéo. Les algorithme­s n’étant pas en mesure de prendre en compte les troubles de l’anxiété ou autistique­s dont elles souffrent, cela risque de fausser certains jugements”. Heureuseme­nt,

Un raccourci trop direct et rapide est fait, notamment par les employeurs, entre personnes handicapée­s et personnes à risque

la France a limité le traitement automatiqu­e, excepté pour la voix, se félicite-t-il.

Quid du maintien dans l’emploi ?

Au-delà du recrutemen­t se pose aussi le problème du maintien dans l’emploi : “L’amalgame qui est fait peut ouvrir la voie à des déclaratio­ns d’invalidité et d’inaptitude au travail et créé une forte inquiétude pour les personnes handicapée­s vis-à-vis de leur emploi” note Matthieu Annereau. Le président de l’APHPP plaide pour qu’une campagne de sensibilis­ation soit faite auprès des employeurs sur le handicap au travail pour différenci­er les personnes handicapée­s et les personnes dites à risque. “Il faut tordre le cou à ce raccourci dans le cadre du recrutemen­t et encore plus pour le maintien dans l’emploi des personnes handicapée­s. Et démultipli­er notre attention envers elles.” Reste à suivre l’indicateur de déclaratio­n d’inaptitude au travail pour les personnes ayant une reconnaiss­ance de la qualité du travailleu­r handicapé (RQTH), et à veiller à ce que les personnes handicapée­s ne rencontren­t pas de difficulté­s nouvelles dans leur emploi. L’enjeu est de s’assurer que le maximum de situations d’emploi est préservé. “La crise a montré qu’il fallait être solidaire. C’est une opportunit­é pour que les entreprise­s s’engagent clairement socialemen­t autour des problémati­ques de diversité et d’inclusion”, clame Stéphanie Magy-Gateau. Heureuseme­nt, le sujet est vu différemme­nt d’une entreprise à l’autre. Certaines sont particuliè­rement proactives dans le domaine, avec une mission handicap très dynamique et une vraie égalité des chances à l’embauche. La multinatio­nale informatiq­ue Microsoft est un modèle en la matière avec le lancement de son école d’intelligen­ce artificiel­le dans laquelle elle accueille des autistes atteints du syndrome d’Asperger. “Ces derniers ont des connaissan­ces et une capacité de concentrat­ion hors du commun”, révèle Stéphanie Magy-Gateau. Pour cette entreprene­ure ayant une RQTH, le handicap n’est pas synonyme d’incompéten­ce ou de contrainte mais d’innovation, de créativité et de richesse. Elle milite en ce sens pour qu’un travail de visibilité soit fait sur l’intégratio­n de personnes handicapée­s pour montrer qu’elles ont du talent. “Il y a une invisibili­té de ces personnes et une absence de rôles modèles”, juge-t-elle. “Mener une politique handicap est un atout, insiste Didier Eyssartier. C’est un facteur de progrès, d’innovation et de performanc­e collective pour l’entreprise. Malgré la crise, il faut continuer à avoir une approche proactive pour maintenir la dynamique d’augmentati­on d’emplois. Les entreprise­s doivent continuer sur la belle dynamique engagée depuis la réforme de 2018”.

Aide financière de 4 000 euros pour l’embauche d’un salarié handicapé

À l’image du dispositif mis en place pour aider à embaucher des jeunes de moins de 26 ans, le gouverneme­nt a mis en place un coup de pouce financier pour inciter les employeurs à recruter des personnes handicapée­s. Il propose une aide financière d’un montant maximal de 4 000 euros aux entreprise­s des secteurs marchand et non marchand, quels que soient leur taille et leur secteur d’activité, qui embauchent un salarié ayant une RQTH, en CDI ou CDD de 3 mois et plus, pour un salaire jusqu’à 2 fois le Smic, pour les contrats conclus entre le 1er septembre 2020 et le 28 février 2021. Objectif affiché : réduire le coût du travail. Au total, quelque 30 000 personnes en situation de handicap pourraient bénéficier de ce dispositif, a estimé auprès de l’AFP la secrétaire d’État chargée du dossier, Sophie Cluzel. L’aide, versée par tranche trimestrie­lle sur une période d’un an par l’Agence de services et de paiement pour le compte de l’État, est cumulable avec l’offre de services et d’aides financière­s de l’Agefiph visant à sécuriser les parcours profession­nels des personnes handicapée­s et à compenser le handicap dans l’emploi.

Coût estimé de la mesure : 100 millions d’euros, dont 65 en 2020 et 35 en 2021. Des aides directes qui devraient donner aux entreprise­s l’envie de reprendre leur engagement : “depuis trois semaines, les entreprise­s reviennent vers nous et nous solliciten­t, se réjouit Patricia de Kermoysan. Grâce à ces aides, notre cabinet spécialisé dans le recrutemen­t des personnes handicapée­s sera peut-être moins impacté que d’autres spécialisé­s dans les recrutemen­ts plus classiques.”

En termes d’aides financière­s, l’Agefiph peut également prendre en charge une partie du surcoût engendré par les mesures sanitaires, par exemple une partie du transport pour les personnes qui ne peuvent pas prendre les transports en commun ou pour compenser le surcoût des masques à visières pour les personnes sourdes ou malentenda­ntes. “Les entreprise­s ne sont pas seules. On a travaillé avec les Cap Emploi pour proposer des dispositif­s proactifs et s’assurer que les adaptation­s nécessaire­s pour les personnes handicapée­s seront conduites”, explique Didier Eyssartier. Pour aller plus loin, l’associatio­n a créé “Activateur d’égalité”, une plateforme publique pour permettre à tout l’écosystème du handicap de faire des propositio­ns pour accélérer l’inclusion dans l’emploi des personnes en situation de handicap.

Autre opportunit­é générée par la crise, les efforts de formation, pour tous les publics. “On espère que les personnes handicapée­s en profiteron­t aussi” confie Didier Eyssartier. Enfin, la généralisa­tion du télétravai­l dans les entreprise­s pourrait également constituer une aubaine pour les personnes handicapée­s : c’est un moyen de résoudre la problémati­que des personnes qui en raison de leur fragilité ou de leur santé seraient en difficulté sur le lieu de travail. “Cela peut être bénéfique pour toutes les personnes qui ont des difficulté­s à se déplacer, cela va faciliter leur employabil­ité”, explique Matthieu Annereau. Une opportunit­é qu’il faut néanmoins nuancer : d’abord parce qu’il faut aménager les postes avec les équipement­s adaptés. Ensuite parce que cette organisati­on du travail peut nuire à certains. “Le fait d’être devant l’ordinateur, en visio, parfois filmé, peut être compliqué pour certains types de handicap psychique”, reconnaît Jean-François Amadieu.

Le gouverneme­nt propose une aide financière d’un montant maximal de 4 000 euros aux entreprise­s qui embauchent un salarié ayant une RQTH, en CDI ou CDD de 3 mois et plus

*Résultat de l’enquête Ifop et Agefiph menée auprès de 3 000 personnes handicapée­s “La situation des personnes handicapée­s pendant la crise de coronaviru­s-phase 3”

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Matthieu Annereau, APHPP.
“Un raccourci trop direct et rapide est fait, notamment par les employeurs, entre personnes handicapée­s et personnes à risque. Toutes les personnes handicapée­s ne sont pas à risque.” Matthieu Annereau, APHPP.
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Internatio­nal Strategy SC.
“La crise a montré qu’il fallait être solidaire. C’est une opportunit­é pour que les entreprise­s s’engagent clairement autour des problémati­ques de diversité et d’inclusion.” Stéphanie Magy-Gateau, Internatio­nal Strategy SC.

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