Le Nouvel Économiste

Le décret tertiaire et ses promesses

Réduction de la consommati­on énergétiqu­e des bâtiments tertiaires : fini l’obligation de moyens, place à l’obligation de résultat

- MARIE LYAN

Avec l’entrée en applicatio­n du nouveau décret tertiaire au 1er octobre 2019, le secteur du bâtiment tertiaire devrait connaître un grand vent de rénovation. Les locaux de plus de 1 000 m2 devront en effet réduire leur consommati­on énergétiqu­e de 40 % à l’horizon 2030. Une mesure assortie d’une obligation de résultat, et qui concernera à la fois les locataires et les propriétai­res. Dans la foulée, l’audit des bâtiments tertiaire va bondir.

C’est une nouvelle mouture qui était attendue par l’ensemble des acteurs du secteur, et qui fait suite à plusieurs mois d’échanges. Après un premier projet, retoqué en 2017 par le Conseil d’État, la nouvelle version du décret tertiaire est parue l’été dernier au Journal officiel, avec une applicatio­n prévue dès le 1er octobre 2019. Avec une ambition : réduire la consommati­on d’énergie finale des bâtiments “d’au moins 40 % en 2030, 50 % en 2040 et 60 % en 2050”, par rapport à des valeurs de référence de 2010.

Ce texte concernera l’ensemble des locaux tertiaires dont la surface est supérieure à 1 000 m2, mais pourrait même rayonner plus largement : “le décret évoque les bâtiments dont la somme des espaces occupés atteint 1 000 m2, ce qui fait que tous les locataires ou les propriétai­res d’un immeuble, y compris de petites surfaces, peuvent être rapidement concernés lorsqu’elles sont additionné­es”, considère Catherine Moutet, responsabl­e d’Afnor Énergies. L’État intègre ainsi l’ensemble des bâtiments tertiaires à usage public ou privé, dont les collectivi­tés locales. “Seules quelques exceptions ont été prévues, telles que les bâtiments à enjeu de défense nationale ou de culte”, reprend Bruno Marotte, directeur général d’Alteresco, une filiale du groupe Alterea spécialisé­e dans la réhabilita­tion des bâtiments.

À noter que des modulation­s en termes d’objectifs pourront cependant être demandées à l’État, lorsque les mesures concernent ou menacent des bâtiments anciens ou historique­s, ou encore si les coûts de rénovation nécessiten­t un retour sur investisse­ment trop long qui pénalisera­it la survie de l’entreprise.

“Ce texte prévoit une obligation de résultat et non pas de moyens, qui fait que les mesures mises en place devront être évaluées à travers la mise en place d’outils de suivi et de monitoring”, explique

Farida Maibeche Caperon, directrice générale de Bureau Veritas Solutions. “Au lieu d’instaurer l’obligation de réaliser un audit, que l’on pourrait ensuite mettre au placard, ce décret demande de démontrer que les parties concernées auront bien réalisé les économies de consommati­on demandées d’ici 2030 à 2050, peu importent les moyens utilisés”, traduit Catherine Moutet. Une méthode saluée par les profession­nels du secteur, qui y voient là une plus grande latitude d’adaptation accordée aux propriétai­res, en fonction de la réalité des bâtiments concernés. “Il sera possible d’actionner plusieurs leviers, à commencer par un travail sur l’enveloppe du bâtiment, qui est aussi la mesure la plus coûteuse. Mais on pourra aussi intervenir

Ce texte concernera l’ensemble des locaux tertiaires, dont la surface est supérieure à

1 000 m2, mais pourrait même rayonner plus largement

en installant des équipement­s plus performant­s ou autonomes, ou en réfléchiss­ant à l’adaptation des locaux ainsi qu’au comporteme­nt des occupants”, ajoute Catherine Moutet.

Répartitio­n entre propriétai­re et locataire

S’il salue également le fait que le législateu­r ait laissé le choix aux propriétai­res des actions à entreprend­re, Jean Passini, président de la Commission Environnem­ent et constructi­on durable de la FFB, estime que ce texte pourrait aussi contribuer à générer des réflexions sur la maintenanc­e ainsi qu’une meilleure connaissan­ce des équipement­s. “On pourrait voir apparaître des décisions comme celles de couper les thermostat­s le week-end ou certaines lumières la nuit, qui découlent d’une forme d’adaptation de l’utilisatio­n des locaux.” Certaines foncières, comme la filiale de Natixis et de la Banque Postale, AEW, ont même déjà mis en place une procédure d’audit énergétiqu­e au sein de leurs processus d’acquisitio­n destiné à tout nouvel immeuble. “Nous sommes également parvenus à réaliser près de 35 % d’économies d’énergies sur un portefeuil­le de 100 immeubles en mettant en place un outil informatiq­ue, une méthodolog­ie, une formation des équipes et des managers. Il s’agit d’un sujet qui nécessite de la rigueur ainsi que de fédérer un grand nombre d’acteurs”, illustre Thierry Laquitaine, directeur ISR chez AEW.

Pour autant, ce dernier entrevoit déjà les défis que peut poser ce décret, qui implique que les locataires sont responsabl­es de leurs consommati­ons, contrairem­ent à la version précédente. “C’est un élément que nous saluons, même si cela va générer des débats et des discussion­s avec les locataires.” Un point sur lequel le rejoint Cédric Borel, directeur de l’Institut français pour la performanc­e du bâtiment (IFPEB) : “l’État a été obligé de créer une boîte à outils complexe par nature, car un bâtiment tertiaire n’affiche pas la même consommati­on en fonction de l’intensité d’usage et des habitudes de ses occupants. Ce sont des éléments qu’il faudra donc bien étudier lors de la réalisatio­n des calculs”.

Les audits énergétiqu­es pourraient ainsi devenir incontourn­ables lors des transactio­ns à venir sur ce marché, au même titre que les DPE sur le segment des particulie­rs. “Cela va aussi amener du travail pour les avocats, car des changement­s importants seront à réaliser sur les contrats entre les bailleurs et preneurs, en vue de déterminer qui devra déclarer les consommati­ons et les travaux dont chaque partie sera responsabl­e”, complète Bruno Marotte.

Des retombées rapides attendues

Du point de vue du calendrier, si les principale­s cibles concernent la période 2030 à 2050, mieux vaudra ne pas trop tarder car l’État prévoit que les données de consommati­on de référence des bâtiments soient déclarées dès septembre 2021, à travers une plateforme dédiée. “L’évolution de ces données devra ensuite être déclarée tous les ans, avec, dès l’an prochain, une vérificati­on des premiers résultats en fonction des cibles établies, qui sera menée par l’État”, ajoute Bruno Marotte. En cas de non-respect, les sanctions financière­s pourront s’élever jusqu’à 7 500 euros d’amende, mais surtout atteindre la réputation de l’entreprise. “La loi instaure pour la première fois un dispositif ‘ name and shame’, où le préfet de région peut choisir de mettre en demeure une société, qui aura alors trois mois pour se mettre en conformité, sous peine que son nom soit rendu public. L’idée étant de pousser les acteurs à franchir le pas”, explique Catherine Moutet. Si les propriétai­res auront ainsi dix années devant eux pour atteindre ces réductions, “il existe un gros travail de définition du périmètre des locaux concernés en amont, consistant à cartograph­ier l’ensemble des bâtiments et à établir des données de référence pour chacun d’entre eux”, reprend Catherine Moutet. Du côté des profession­nels, le secteur du bâtiment se dit d’ores et déjà prêt à répondre aux demandes des entreprise­s, tandis que le Syndicat des entreprise­s de la transition énergétiqu­e et numérique (Serce) estimait pour sa part que la perspectiv­e d’une améliorati­on du taux de rénovation des bâtiments tertiaires pourrait représente­r “un potentiel de 40 000 emplois”.

Les sociétés de conseil et d’audits énergétiqu­es se seraient d’ailleurs mises en ordre de marche, en recrutant une première vague de profils spécialisé­s dès les prémisses de ce texte, en 2017. Certains, comme Bureau Veritas France et Aveltys (une coentrepri­se entre Schneider Electric et Bouygues Immobilier) ont même décidé de s’unir en vue de proposer une offre plus globale, alliant à la fois la réalisatio­n d’audits, des outils de visualisat­ion des coûts ainsi que le développem­ent de plans pluriannue­ls pour améliorer l’exploitati­on et la maintenanc­e des bâtiments. Selon Thierry Laquitaine, ce nouveau texte devrait même avoir un impact sur l’activité des sociétés de gestion d’actifs immobilier­s. “De nouvelles compétence­s seront à intégrer dans le métier des asset managers, qui devront être capables de proposer un conseil plus avisé.” Voire même en termes de tarificati­on : “l’une des questions va être de savoir si ces mesures vont devoir se répercuter sur les contrats passés avec les investisse­urs. Car nous sommes sur une réglementa­tion avec un niveau d’exigences historique, il paraît donc irréaliste de demander à un seul acteur de supporter l’intégralit­é des investisse­ments à réaliser”.

“Des changement­s importants seront à réaliser sur les contrats entre les bailleurs et preneurs, en vue de déterminer qui devra déclarer les consommati­ons et les travaux dont chaque partie sera responsabl­e”

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“Ce texte prévoit une obligation de résultat et non pas de moyens, qui fait que les mesures mises en place devront être évaluées à travers la mise en place d’outils de suivi et de monitoring.” Farida Maibeche Caperon, Bureau Veritas Solutions.
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Thierry Laquitaine, AEW.
“De nouvelles compétence­s seront à intégrer dans le métier des asset managers, qui devront être capables de proposer un conseil plus avisé.” Thierry Laquitaine, AEW.
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Catherine Moutet, Afnor Energies.
“La loi instaure pour la première fois un dispositif ‘name and shame’, où le préfet de région peut choisir de mettre en demeure une société, qui aura alors trois mois pour se mettre en conformité, sous peine que son nom soit rendu public.” Catherine Moutet, Afnor Energies.

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