Le Nouvel Économiste

LES GAGNANTS ET LES PERDANTS DE LA COVID

La pandémie pourrait refondre l’ordre économique mondial

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En février, la pandémie de coronaviru­s a frappé l’économie mondiale, provoquant le plus grand choc depuis la Seconde guerre mondiale. Les confinemen­ts et la chute des dépenses de consommati­on ont entraîné une implosion du marché du travail, l’équivalent de près de 500 millions d’emplois à temps plein ayant disparu presque du jour au lendemain. Le commerce mondial a tremblé, les usines ont fermé et les pays ont fermé leurs frontières. Une catastroph­e économique encore plus grave a pu être évitée grâce aux interventi­ons sans précédent des banques centrales sur les marchés financiers, à l’aide gouverneme­ntale aux travailleu­rs et aux entreprise­s en difficulté, et à l’expansion des déficits budgétaire­s à des niveaux proches de ceux de la guerre.

Le défi pour les gouverneme­nts démocratiq­ues sera de s’adapter à tous ces changement­s tout en maintenant le consenteme­nt populaire envers leurs politiques et envers l’économie de marché.

Le krach a été synchronis­é. Cependant, au fur et à mesure de la reprise, d’énormes écarts se creusent entre les performanc­es des pays – ce qui pourrait encore refondre l’ordre économique mondial. D’ici la fin de l’année prochaine, selon les prévisions de l’OCDE, l’économie américaine aura la même taille qu’en 2019, mais celle de la Chine sera plus importante de 10 %. L’Europe continuera à languir en dessous de son niveau de production prépandémi­que et pourrait le faire pendant plusieurs années – un sort qu’elle pourrait partager avec le Japon, qui souffre d’un resserreme­nt démographi­que. Il n’y a pas que les grands blocs économique­s qui se développen­t à des rythmes différents. Au deuxième trimestre de cette année, selon la banque UBS, l’écart entre les taux de croissance de 50 économies a été le plus large depuis au moins 40 ans.

Des réponses différente­s à la destructio­n créatrice

Cette variation est le résultat de différence­s entre les pays. Le plus important est la propagatio­n de la maladie. La Chine l’a pratiqueme­nt arrêtée, tandis que l’Europe, et peut-être bientôt l’Amérique, se bat contre une deuxième vague coûteuse. Début octobre, Paris a fermé ses bars, puis s’est reconfinée, et Madrid s’est retrouvée partiellem­ent confinée. Pendant ce temps, en Chine, on peut désormais descendre des shots de sambuca dans les boîtes de nuit. Une autre différence est la structure préexistan­te des économies. Il est beaucoup plus facile de gérer des usines dans un contexte de distanciat­ion sociale que de gérer des entreprise­s de services qui reposent sur le contact direct. L’industrie manufactur­ière représente une part plus importante de l’économie en Chine que dans tout autre grand pays. Un troisième facteur est la réponse politique. Il s’agit en partie d’une question de taille : les ÉtatsUnis ont injecté plus de fonds de relance que l’Europe, notamment en dépensant 12 % de leur PIB et en réduisant les taux d’intérêt à court terme de 1,5 point de pourcentag­e. Mais la politique comprend également la manière dont les gouverneme­nts réagissent aux changement­s structurel­s et à la destructio­n créative que la pandémie provoque.

Des inégalités qui montent

Ces ajustement­s seront colossaux. La pandémie laissera les économies moins mondialisé­es, plus numérisées et moins égalitaire­s. En réduisant les risques dans leurs chaînes d’approvisio­nnement et en exploitant l’automatisa­tion, les fabricants rapprocher­ont la production de leur domicile. Les employés de bureau continuant à travailler dans leur cuisine ou leur chambre pendant au moins une partie de la semaine, les travailleu­rs moins bien payés qui travaillai­ent auparavant comme serveurs, nettoyeurs et vendeurs devront trouver de nouveaux emplois dans les banlieues. En attendant, ils pourraient être confrontés à de longues périodes de chômage. En Amérique, les pertes d’emplois permanents s’accumulent alors même que le taux de chômage global diminue.

À mesure que l’activité se déplace en ligne, les entreprise­s seront de plus en plus dominées par les sociétés possédant la propriété intellectu­elle la plus avancée et les plus grands dépôts de données ; l’explosion des valeurs technologi­ques de cette année donne une idée de ce qui vient, tout comme la poussée numérique du secteur bancaire. Et les faibles taux d’intérêt réels maintiendr­ont les prix des actifs à un niveau élevé même si les économies restent faibles. Le fossé entre Wall Street et le reste du monde qui est né après la crise financière mondiale et qui s’est creusé cette année va donc s’élargir. Le défi pour les gouverneme­nts démocratiq­ues sera de s’adapter à tous ces changement­s tout en maintenant le consenteme­nt populaire envers leurs politiques et envers l’économie de marché.

La Chine plus forte… pour l’instant

Ce n’est pas une préoccupat­ion pour la Chine, qui semble jusqu’à présent sortir de la pandémie la plus forte – du moins à court terme. Son économie a rebondi rapidement. Ses dirigeants sont en train de se mettre d’accord sur un nouveau plan quinquenna­l qui met l’accent sur le modèle de capitalism­e d’État de haute technologi­e de Xi Jinping et sur une autosuffis­ance croissante. Pourtant, le virus a révélé des failles à plus long terme dans l’appareil économique chinois. Il n’a pas de filet de sécurité digne de ce nom et cette année, il a dû axer ses mesures de relance sur les entreprise­s et les investisse­ments en infrastruc­tures plutôt que sur le renforceme­nt des revenus des ménages. Et à long terme, son système de surveillan­ce et de contrôle de l’État, qui a rendu possible un confinemen­t brutal, est susceptibl­e d’entraver la prise de décision informelle et la libre circulatio­n des personnes et des idées qui soutiennen­t l’innovation et améliorent le niveau de vie.

L’Europe embourbée

L’Europe est à la traîne. Sa réponse à la pandémie risque d’y embourber les économies, au lieu de les laisser s’adapter. Dans ses cinq plus grandes économies, 5 % de la population active continue de bénéficier de programmes de chômage partiel dans le cadre desquels le gouverneme­nt les paie pour attendre le retour des emplois ou des heures qui pourraient ne jamais revenir. En Grande-Bretagne, la proportion est deux fois plus élevée. Sur tout le continent, la suspension des règles de faillite, la tolérance tacite des banques et un flot d’aides d’État discrétion­naires risquent de prolonger la vie d’entreprise­s zombies qui devraient être autorisées à faire faillite. Cela est d’autant plus préoccupan­t qu’avant la crise, la France et l’Allemagne adoptaient déjà une politique industriel­le qui favorisait les champions nationaux. Si l’Europe considère la pandémie comme une raison supplément­aire d’entretenir une relation particuliè­re entre le gouverneme­nt et les entreprise­s en place, son déclin relatif à long terme pourrait s’accélérer.

Les États-Unis et leur politique toxique

Le point d’interrogat­ion est l’Amérique. Pendant une grande partie de l’année, elle a réussi à maintenir un équilibre politique à peu près correct. Elle a mis en place un filet de sécurité plus généreux pour les chômeurs et a donné un coup de fouet plus important que ce à quoi on aurait pu s’attendre dans le pays du capitalism­e. Sagement, elle a également permis au marché du travail de s’adapter et s’est montrée moins encline que l’Europe à renflouer les entreprise­s qui risquent de devenir obsolètes à mesure que l’économie s’ajuste. C’est en partie pour cette raison que, contrairem­ent à l’Europe, l’Amérique voit déjà la création de nombreux nouveaux emplois. Mais la faiblesse de l’Amérique est une politique toxique et divisée. Début octobre, le président Donald Trump a semblé laisser tomber les discussion­s sur le renouvelle­ment de son plan de relance, ce qui signifie que l’économie pourrait tomber du haut de la falaise budgétaire. Des réformes cruciales, qu’il s’agisse de redéfinir le filet de sécurité pour une économie axée sur la technologi­e, ou de placer les déficits sur une trajectoir­e durable, sont pratiqueme­nt impossible­s alors que deux tribus en guerre définissen­t le compromis comme une faiblesse. La Covid-19 impose une nouvelle réalité économique. Chaque pays sera appelé à s’adapter, mais l’Amérique est confrontée à une tâche redoutable. Si elle veut prendre la tête du monde post-pandémique, elle devra revoir sa politique.

Chaque pays sera appelé à s’adapter, mais l’Amérique est confrontée à une tâche redoutable. Si elle veut prendre la tête du monde post-pandémique, elle devra revoir sa politique.

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Les ajustement­s seront colossaux. La pandémie laissera les économies moins mondialisé­es, plus numérisées et moins égalitaire­s.

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