Le Nouvel Économiste

Mike Pompeo, commis voyageur d’une politique étrangère hors normes

Partout où il passe, il assoit les grandes lignes de la politique de Donald Trump et tente de savonner la planche de Joe Biden

- MAELSTRÖM MOYEN-ORIENTAL, ARDAVAN AMIR-ASLANI

L’administra­tion Trump n’a décidément pas sa pareille pour mettre ses interlocut­eurs mal à l’aise. Toujours cramponné au pouvoir et refusant de reconnaîtr­e la victoire de son adversaire démocrate, Donald Trump a envoyé Mike Pompeo en tournée d’adieux d’abord en Europe, puis au Moyen-Orient. Ce circuit diplomatiq­ue de 10 jours au cours duquel, malgré la pandémie, le secrétaire d’État se rendra dans sept pays différents, ressemble à s’y méprendre à un éloquent résumé de la diplomatie qui a prévalu à la Maison-Blanche ces quatre dernières années : un profond embarras pour les alliés européens des États-Unis, et un favoritism­e assumé accordé à leurs alliés du monde arabomusul­man, opposés à l’Iran.

En Europe, les “sujets qui fâchent”

La France, première étape de cette tournée, a été ainsi le théâtre d’un curieux numéro d’équilibris­te de la part de l’Élysée. Si par respect des institutio­ns américaine­s, Emmanuel Macron ne pouvait pas refuser la demande de rencontre de Mike Pompeo, il a dû néanmoins aborder les sujets “qui rassemblen­t et ceux qui fâchent” avec un homme tout aussi convaincu que son président qu’il y aura “une transition en douceur vers une seconde administra­tion Trump”… et qui ne s’était pas privé de critiquer ouvertemen­t les dirigeants étrangers qui s’étaient empressés de prendre contact avec Joe Biden après sa victoire.

On imagine en effet assez mal un échange harmonieux compte tenu du nombre de “sujets qui fâchent”, l’administra­tion Trump et les Européens étant en désaccord sur à peu près tout, de l’accélérati­on du retrait des troupes américaine­s d’Irak et d’Afghanista­n en passant par le dossier iranien, le climat et la guerre commercial­e avec la Chine. Néanmoins, que le point de départ de cette tournée ait été la France, l’un des pays signataire­s du Joint Comprehens­ive Plan of Action, faroucheme­nt opposée au retrait unilatéral des États-Unis en 2018, et désireuse de sauver l’accord, est significat­if et pourrait presque sonner comme un avertissem­ent : encore au pouvoir jusqu’en janvier 2021, l’administra­tion Trump poursuivra sa campagne de “pression maximale” sur l’Iran et fera tout son possible pour la rendre irréversib­le.

En Turquie, focus sur la liberté religieuse

Autre étape significat­ive des positionne­ments de Donald Trump, la visite turque sera axée non pas sur l’expansionn­isme d’Erdogan en Méditerran­ée orientale ou dans le Caucase du Sud – Mike Pompeo ne devrait pas rencontrer ni le président turc, ni les membres de son gouverneme­nt – mais sur la liberté religieuse. Le secrétaire d’État rencontrer­a ainsi le patriarche Bartholomé­e de Constantin­ople, chef de l’église orthodoxe, et le patriarche Elie lors de l’étape suivante en Géorgie voisine, un signe envoyé à l’électorat chrétien et évangélist­e de Donald Trump qui l’a fortement soutenu dans sa campagne.

En Israël, le “plan de paix” sanctuaris­é

Quant au passage au MoyenOrien­t, il devrait permettre de confirmer les intentions de l’administra­tion Trump dans le conflit israélo-palestinie­n ou face à l’Iran. Mike Pompeo va ainsi inscrire son nom dans l’Histoire en initiant en Israël quelques tristes premières fois : il sera le premier secrétaire d’État américain à se rendre sur le plateau du Golan – dont l’annexion par l’État hébreu a été reconnue par la seule administra­tion Trump au mépris du droit internatio­nal – ainsi que dans une colonie israélienn­e de Cisjordani­e. Et pas n’importe laquelle, puisqu’il s’agira de Psagot, célèbre productric­e de vin israélien, qui avait même dédié une cuvée spéciale à Mike Pompeo pour le remercier de son soutien indéfectib­le à la politique israélienn­e. Psagot avait déjà fait parler d’elle lorsqu’un viticulteu­r avait contesté devant la Cour de justice de l’Union européenne l’obligation européenne d’étiquetage spécifique des produits fabriqués dans les colonies.

Au-delà de l’anecdote, cette visite israélienn­e devrait d’abord confirmer la volonté de Donald Trump de sanctuaris­er son “plan de paix pour le Proche-Orient”, voire d’accélérer sa mise en oeuvre avant l’intronisat­ion de Joe Biden. Pour autant, Benjamin Netanyahu, si désireux qu’il soit d’annexer la Cisjordani­e, préférera peut-être temporiser, car à l’inverse de son “meilleur ami” américain, il a pour sa part reconnu la victoire du candidat démocrate, et sait donc qu’il devra composer avec une administra­tion Biden bien moins favorable à ses projets.

Pour l’Iran, maintien de la “pression maximale”

C’est enfin le dossier iranien qui occupera Mike Pompeo non seulement à Tel-Aviv, mais aussi dans les dernières étapes de son voyage, aux Émirats arabes unis, en Arabie saoudite et au Qatar. À cet égard, les accords de normalisat­ion dits “d’Abraham” entre l’État hébreu, les Émirats et Bahreïn, seront bien sûr évoqués en préambule de la stratégie conjointe à tenir contre l’Iran. De nombreux experts s’attendent en effet à ce que l’administra­tion Trump cherche, d’ici janvier, à pérenniser la “pression maximale”, voire à entraîner Téhéran dans une escalade de tensions à travers sanctions économique­s et attaques sur le terrain, menées soit par les États-Unis, soit par leurs alliés dans la région. La fin justifiant les moyens, tout porte à croire que Donald Trump ne se refusera pas à prendre le sentier le plus belliqueux si celui-ci peut rendre impuissant Joe Biden, qui souhaite reprendre le chemin de la diplomatie. Pour l’Iran, l’heure est donc plus que jamais à la prudence et à la circonspec­tion en attendant que la terrible année 2020 s’achève, et que 2021 apporte a minima, à défaut de bonnes nouvelles, une porte de sortie à la crise qui l’étrangle depuis deux ans.

La France, première étape de cette tournée, a été le théâtre d’un curieux numéro d’équilibris­teq de la ppart de l’Élysée. Emmanuel Macron a dû aborder les sujets “qui rassemblen­t et ceux qui fâchent” avec un homme tout aussi convaincu que son président qu’il y aura “une transition en douceur vers une seconde administra­tion Trump”…

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qui a prévalu à la Maison-Blanche ces quatre dernières années.
Ce circuit diplomatiq­ue de 10 jours au cours duquel, malgré la pandémie, le secrétaire d’État se rendra dans sept pays différents, ressemble à s’y méprendre à un éloquent résumé de la diplomatie qui a prévalu à la Maison-Blanche ces quatre dernières années.

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