Le Nouvel Économiste

Les kiosques numériques, une destructio­n créatrice ?

Ils bénéficien­t aux lecteurs, mais rapportent peu aux éditeurs de presse

- EDOUARD LAUGIER

“Si vous êtes un consommate­ur c’est génial, si vous êtes un éditeur il faut être vigilant”, confie un bon observateu­r de la filière presse à propos des kiosques numériques. Nous voilà prévenus. Le phénomène du “all you can eat” appliqué aux journaux et magazines est loin d’être neutre pour l’équilibre économique du secteur. Arrivées en France il y a une dizaine d’années, des plateforme­s proposent, moyennant une somme forfaitair­e mensuelle, un accès illimité à la lecture de titres de presse. Cafeyn permet par exemple, pour 9,99 euros par mois sans engagement, d’accéder à 1 600 journaux et magazines. Son concurrent ePresse adopte la même tarificati­on. Quelque 1 000 titres sont disponible­s. “Nous nous considéron­s comme une plateforme de streaming de l’informatio­n. Nous sommes le pendant de ce que l’on connaît dans l’univers de la musique avec Spotify...

“Si vous êtes un consommate­ur c’est génial, si vous êtes un éditeur il faut être vigilant”, confie un bon observateu­r de la filière presse à propos des kiosques numériques. Nous voilà prévenus. Le phénomène du “all you can eat” appliqué aux journaux et magazines est loin d’être neutre pour l’équilibre économique du secteur. Arrivées en France il y a une dizaine d’années, des plateforme­s proposent, moyennant une somme forfaitair­e mensuelle, un accès illimité à la lecture de titres de presse. Cafeyn permet par exemple, pour 9,99 euros par mois sans engagement, d’accéder à 1 600 journaux et magazines. Son concurrent ePresse adopte la même tarificati­on. Quelque 1 000 titres sont disponible­s. “Nous nous considéron­s comme une plateforme de streaming de l’informatio­n. Nous sommes le pendant de ce que l’on connaît dans l’univers de la musique avec Spotify et de la télévision avec Netflix”, explique Ari Assuied, PDG de Cafeyn, qui revendique plus de 2 millions d’utilisateu­rs réguliers. Un nombre significat­if qui s’explique notamment par une particular­ité française : les kiosques numériques bénéficien­t d’une aide considérab­le des opérateurs de télécommun­ications qui offrent la presse à leurs abonnés comme un service supplément­aire, ce que font encore Orange ou SFR. Un temps, ce dernier a même créé son propre kiosque pour optimiser la fiscalité de ses forfaits télécoms grâce à la TVA de 2,1 % réservée à la presse. Un tour de passe-passe fiscal qui a pris fin en mars 2018. Désormais, le marché se structure autour de deux acteurs locaux : Cafeyn et ePresse. Le premier, ancienneme­nt leKiosk, s’est rebaptisé en novembre dernier. Le second, lancé en 2012 par les principaux éditeurs de presse quotidienn­e, appartient à la société Toutabo depuis 2015, dont le métier d’origine est celui de la collecte d’abonnement­s.

Un phénomène au service du lecteur

“C’est vrai que les opérateurs télécoms ont contribué à popularise­r nos services en France. Ils s’en servent pour justifier des offres plus chères, dites premium, en améliorant la propositio­n de valeur auprès de certains abonnés, explique Jean-Frédéric Lambert, le président d’ePresse. Mais d’une manière générale, le modèle de la consommati­on forfaitair­e illimité est devenu la norme dans les industries de contenus. Il est la clé pour coller à la consommati­on et aux usages des internaute­s”.

Les internaute­s sont les grands gagnants de ce type de service. Pour plusieurs raisons. D’abord parce qu’ils retrouvent la maquette de leur journal en ligne. La lecture est généraleme­nt structurée autour du “pdf” du journal – le pendant numérique de l’imprimé –, qui se feuillette sur l’écran. Ensuite parce qu’il est possible de lire une grande variété de titres sur un seul et même site web. Enfin, parce que les tarifs sont exceptionn­ellement bas. “Il est clair que les utilisateu­rs sont d’abord attirés par l’effet prix”, reconnaît Jean-Frédéric Lambert. Sur sa plateforme ePresse, qui revendique 450 000 lecteurs actifs dont une centaine de milliers sont des abonnés récurrents, un utilisateu­r lit une quinzaine de titres par mois en moyenne. “Ils picorent dans notre catalogue, ils ne viennent pas pour un titre en particulie­r”, révèle également Ari Assuied pour Cafeyn.

Le succès difficilem­ent quantifiab­le des kiosques numériques

Que représente­nt les kiosques numériques en termes d’audience ? On ne sait pas car l’audience des kiosques numériques n’est tout simplement pas mesurée. En revanche il existe des indicateur­s sur la diffusion payante. D’abord en France, 13,34 % de la “diffusion France payée” de la presse est numérique selon l’Observatoi­re 2020 de l’ACPM-OJD. Dans le détail, 9 % sont générés par des “Ventes numériques individuel­les” et 4 % par des “Ventes numériques par tiers”. “Le problème est qu’un kiosque numérique peut correspond­re à plusieurs types de diffusion. Il est comptabili­sé dans les ventes par tiers via les opérateurs télécoms, mais aussi dans les ventes individuel­les auxquelles s’ajoutent les ventes réalisées par les éditeurs eux-mêmes sur leur site web”, confie JeanPaul Dietsch, directeur général adjoint de l’ACPM, l’Alliance pour les chiffres de la presse et des médias. Étonnant. Ainsi, contrairem­ent à l’univers de l’imprimé papier où toutes les formes de diffusion – vente à l’unité chez un marchand de presse, abonnement souscrit auprès de l’éditeur ou diffusion payée via un tiers – sont distinguée­s, ce n’est pas le cas dans le numérique.

La méfiance des éditeurs de presse

“Les stratégies des éditeurs sont très variables, justifie Jean-Paul Dietsch. Certains privilégie­nt la vente et la conquête d’abonnés en direct, et d’autres passent par des intermédia­ires dont les kiosques numériques.” Côté éditeurs justement, le sujet des kiosques numériques divise. D’abord, et à la différence de la musique par exemple, il n’y a pas d’accord transversa­ux. Chaque entreprise de presse négocie séparément sa présence ou non sur les plateforme­s. Certains titres, à l’instar du quotidien ‘Le Monde’, ne s’affichent pas dans les kiosques numériques. D’autres comme le magazine ‘Capital’ sont présents mais pas dans les forfaits illimités – le titre pouvant être acheté à l’unité. Enfin, de gros éditeurs comme Le Figaro et L’Équipe en presse nationale ou Ouest France et EBRA ( Le Progrès, le Dauphiné…) en régions se feuillette­nt quotidienn­ement dans le cadre des forfaits illimités. “Les journaux qui ont choisi d’être présents dans les kiosques le font parce qu’ils considèren­t que le modèle est compatible avec leur économie”, exprime Jean-Frédéric Lambert. Quel est le modèle ? Le partage de la valeur se fait de gré à gré. Chez ePresse, on assure que 60 % de la valeur revient aux éditeurs. Des minimums garantis sont également négociés avec certains. Ce qui n’est pas le cas chez Cafeyn. “Nous prenons tous les risques, en particulie­r d’investisse­ment dans la plateforme, les infrastruc­tures techniques et la communicat­ion. De plus, nous leur reversons de la marge nette”, justifi Ari Assuied. Compte tenu des tarifs d’abonnement­s – à peine 10 euros pour un mois de consultati­on de la totalité des titres – les sommes reversées à chacun sont très faibles. “La réalité, avec les forfaits à 10 euros, est que les très gros prennent la quote-part du chiffre d’affaires, notamment les quotidiens. Une fois la totalité du forfait consommée, on bascule dans une économie du quasi-gratuit pour les autres” explique un connaisseu­r.

“Nous nous considéron­s comme une plateforme de streaming de l’informatio­n. Nous sommes le pendant de ce que l’on connaît dans l’univers de la musique avec Spotify et de la télévision avec Netflix”

Jusqu’ici tout va bien

En fait, si le modèle actuel du kiosque numérique contente les éditeurs, c’est parce qu’il reste marginal et complément­aire. Sa part de marché, autour de 10 % en volume, et son public multisuppo­rt n’en font pas à court terme une menace. “Nous sommes une propositio­n alternativ­e pour monétiser dans le digital des contenus venant de la presse papier”, résume le patron de Cafeyn. Les plateforme­s mettent également en avant les bénéfices indirects de leur service : visibilité dans un univers numérique infini, promotion auprès de nouveaux publics, audience qualifiée supplément­aire pour les annonceurs…

Le débat sur la destructio­n de valeur des kiosques numériques est le même qu’avec Apple qui prend 30 % de commission sur la vente des applis, ou Google qui aspire la croissance publicitai­re

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