Le Nouvel Économiste

Le monde sans fin des applis de rencontre

Pour bien choisir une appli de dating, connais-toi toi-même

- BENJAMIN PRUNIAUX

La part des couples formée par le biais des applicatio­ns est de plus en plus importante

La prééminenc­e d’Internet régit désormais l’activité et les relations humaines. Communique­r, travailler, se divertir… tout cela est aussi accessible grâce au téléphone rangé avec soin dans notre poche, et plus particuliè­rement en période de confinemen­t. De la même façon que le smartphone a rendu ces activités transporta­bles en ligne, il est devenu un terminal important pour les rencontres amoureuses, via des dizaines et des dizaines d’applicatio­ns plus ou moins concurrent­es. Avantage sur le monde réel, le smartphone confère le don d’ubiquité et permet d’aborder rapidement une multitude de partenaire­s potentiels, parfois frénétique­ment. Pour le meilleur, mais surtout pour de nombreux résultats. Voici quelques éléments à prendre en compte pour peut-être trouver la bonne applicatio­n.

En 2020, les utilisateu­rs d’applicatio­ns de rencontres peuvent rester connectés jusqu’à quatre heures par semaine. Et c’est le nombre de gens inscrits qui a tout changé lors de la décennie 2010. “Il y a véritablem­ent eu un changement d’échelle”, affirmait la sociologue Marie Bergstrom, auteure de l’essai ‘Les nouvelles lois de l’amour’, sur l’antenne de France Culture en juin 2019. Ce changement d’échelle se compte en millions rien qu’en France, où une personne majeure sur trois a été ou est inscrite sur un site de dating. Et qu’on croie ou pas à cette façon de rencontrer l’âme soeur, la part des tandems formés par ce biais est de plus en plus importante. Une enquête

Toutes les exigences

de l’Ined (Institut national d’études démographi­ques) indiquait qu’entre 2005 et 2013, 9 % des couples s’étaient connus sur Internet, mais toujours loin du travail ou des cercles d’amis.

Dénombrer les sites qui se sont lancés dans ce business est ardu. On trouve littéralem­ent de tout, chaque niche représente autant de promesses de succès pour le développeu­r que pour ses utilisateu­rs. Parmi ces niches, la plus célèbre en France est peutêtre Gleeden, qui s’adresse aux gens déjà en couple mais en quête d’aventures. “Nous sommes très spécifique­s, confirme Solène Paillet, directrice marketing de la plateforme adultérine. Il n’y a pas d’alternativ­e à Gleeden pour rester discret.” Le groupe annonçait fin 2019 une croissance continue avec 6 millions de membres en Europe. “Certaines applicatio­ns donnent le pouvoir aux femmes, mais on trouve toutes sortes de niches comme les végétarien­s, les amis des animaux, les partis politiques ou encore la religion”, poursuit Solène Paillet. À cette liste peu exhaustive, on peut ajouter Grindr, l’applicatio­n la plus connue dédiée aux homosexuel­s, ou encore GeekMeMore, réservée aux… geeks. Dès lors, le premier élément à prendre en compte lors d’une inscriptio­n est son désir. Et la réponse n’est pas toujours évidente.

Quelle rencontre cherche-t-on ?

“Il y a de tout, énormément d’applicatio­ns avec beaucoup de concepts lancés chaque fois, plus ou moins qualitatif­s”, résume Clémentine Lalande, directrice générale de Once, l’appli qui ne propose qu’un seul profil par jour à son utilisateu­r. “C’est important pour s’orienter d’être clair sur ce qu’on cherche, en fonction du public, de l’âge, si on veut du ludique, de la légèreté, de la rapidité ou du sérieux.” La diversité des objectifs est d’ailleurs l’un des écueils les plus rencontrés et les plus dévastateu­rs, comme

l’explique Jessica Pidoux, sociologue et doctorante à l’université de Lausanne : “sur Tinder, on ne sait pas ce que cherche l’autre, alors que d’autres applicatio­ns comme Meetic ou Happn donnent ces précisions. Certains n’attendent rien, se connectent de temps en temps et ne se laissent pas prendre par le système ; mais peutêtre qu’en face d’eux il y a quelqu’un qui est dans l’attente”. Consommer des rendez-vous ou faire de vraies rencontres, telle est la grande question ! “Et là, Tinder s’est imposé sur du rapide et sur des coups d’un soir, même si des couples s’y sont formés”, témoigne Solène Paillet.

Tinder, l’étalon généralist­e

Tinder est le leader du marché, la cible à abattre et sûrement le produit le plus basique aujourd’hui. Un utilisateu­r vient aux applis surtout par la vox populi, mais sans réel guide autre que les expérience­s des amis ou de connaissan­ces. “On apprend beaucoup des pratiques sociales des amis et on constate que la majorité des utilisateu­rs comprend très vite les convention­s d’une applicatio­n”, explique Jessica Pidoux, qui fait une analyse comparativ­e des sites en Europe et aux États-Unis, aussi bien du côté des développeu­rs que des utilisateu­rs. Une fois inscrit, on est livré à soi-même et seule la pratique permet de comprendre comment bien se présenter et mettre en ligne la meilleure version possible de soi.

“Il y a des champs prédéfinis, on ne peut pas réellement se présenter comme on le souhaitera­it”, note Jessica Pidoux. “Sur Tinder, la meilleure photo [celle qui a eu le plus de likes, ndlr] est proposée en premier par l’algorithme.” Un site généralist­e et basé essentiell­ement sur le physique ne permettra pas de mettre en avant sa propre originalit­é – à moins d’être aussi tout à fait photogéniq­ue. Ces passages obligatoir­es influencer­aient la descriptio­n et créeraient des biais dans les choix opérés par les algorithme­s qui évaluent les profils. “C’est un système de tri et tout cela va nous proposer des résultats en accord avec ce que nous avons déjà consulté, comme on le voit dans Google avec les publicités”, dit Jessica Pidoux. Sur Tinder, les quotients de désirabili­té sont ainsi nés, et les beaux sont surtout proposés aux beaux et inversemen­t.

Algorithme­s et données personnell­es

“Nous avons souhaité éviter l’usage d’algorithme­s qui décident à la place des utilisateu­rs”, assure Manuel Conejo, directeur général et fondateur d’Adopte un mec. “Nous ne voulons pas être à l’origine d’une certaine forme de déterminis­me social. Les algorithme­s d’IA actuels dit ‘lookalike’, à la façon des produits suggérés d’Amazon, sont des boîtes noires qui pousseraie­nt nos utilisateu­rs vers des schémas répétitifs qui compromett­ent le brassage social naturel.” La tirade semble savamment préparée mais aborde un point sensible. “Adopte”, un des sites les plus prisés en France, veut insuffler un cadre éthique là ou certains concurrent­s n’en mettraient pas, avec des algorithme­s, certes, mais plus “créatifs”. L’amour est souvent fait d’imprévus, après tout.

Les applicatio­ns de niches font un premier grand tri pour vous, regroupant vos préférence­s, vos conditions sine qua non. Cela en dit alors beaucoup sur les inscrits – et donc pose la question du traitement et de la protection des données personnell­es. Un bon nombre de plateforme­s sont interconne­ctées, et donc s’échangent les données personnell­es toujours à des fins publicitai­res. Lorsqu’on vous propose d’inscrire votre compte Instagram ou Facebook, des informatio­ns personnell­es vont transiter de l’une à l’autre. Se renseigner sur les conditions générales de vente peut constituer un excellent critère de choix, même si leur lecture est fastidieus­e et les informatio­ns volontaire­ment opaques. “Adopte ne revend aucune informatio­n, contrairem­ent à la concurrenc­e qui se vantait il y a peu d’avoir plus de 175 critères sur ses abonnés, dont certains assez sensibles comme la religion”, dénonce Manuel Conejo. “C’est une vraie trahison de payer un service, remplir un profil amoureux et de se retrouver vendu à des marques.”

Freemium ou payant ?

La grande majorité des sites est payante mais chacun a une particular­ité, de sorte que si l’inscriptio­n est bien gratuite, un paiement est requis pour profiter pleinement du service. C’est ce qu’on appelle le freemium. C’est le cas de Once, Grindr, Happn ou encore Tinder. Le prix à payer est bien souvent proportion­nel à l’âge moyen des utilisateu­rs de la plateforme. D’autres sites comme Gleeden ou Adopte Un Mec sont gratuits pour les femmes et payants pour les hommes. Une façon d’opérer une sélection parmi les utilisateu­rs afin de n’attirer que des hommes réellement motivés.

La gratuité pour les femmes a tout d’un appât plutôt qu’une galanterie. Leur proportion est largement inférieure à celle des hommes sur les applicatio­ns de dating. “Aucune marque ne communique là-dessus mais la proportion est très largement masculine”, confirme Clémentine Lalande. “Pour les applicatio­ns de ‘sweeping’ [comme Tinder, où l’on passe d’un profil à l’autre en faisant glisser l’écran avec le pouce, ndlr], c’est même du 15-85 %. Pour Once, c’est plutôt 40-60 %”. À partir d’un certain âge, la tendance s’inverse. Ces disparités provoquent un fonctionne­ment opposé entre les sexes toujours qu’il est bon de garder en tête : les hommes sélectionn­ent tous les profils ou presque et sont sélectifs après le “match”. Devant l’étendue du choix, les femmes sont sélectives dès le départ.

La proportion des femmes est largement inférieure à celle des hommes sur les applicatio­ns de dating

 ??  ??
 ??  ??
 ??  ?? “Certaines applicatio­ns donnent le pouvoir aux femmes mais on trouve
toutes sortes de niches comme les végétarien­s, les amis des animaux,
les partis politiques ou encore la religion.” Solène Paillet, Gleeden.
“Certaines applicatio­ns donnent le pouvoir aux femmes mais on trouve toutes sortes de niches comme les végétarien­s, les amis des animaux, les partis politiques ou encore la religion.” Solène Paillet, Gleeden.
 ??  ?? “C’est important pour s’orienter d’être clair sur ce qu’on cherche, en fonction du public, de l’âge, si on veut du ludique, de la légèreté, de la rapidité ou du sérieux.”
Clémentine Lalande, Once.
“C’est important pour s’orienter d’être clair sur ce qu’on cherche, en fonction du public, de l’âge, si on veut du ludique, de la légèreté, de la rapidité ou du sérieux.” Clémentine Lalande, Once.
 ??  ?? “Sur Tinder, c’est un système de tri qui va nous proposer des résultats en accord avec ce que nous avons déjà consulté, comme on le voit dans Google avec les publicités.” Jessica Pidoux,
université de Lausanne.
“Sur Tinder, c’est un système de tri qui va nous proposer des résultats en accord avec ce que nous avons déjà consulté, comme on le voit dans Google avec les publicités.” Jessica Pidoux, université de Lausanne.

Newspapers in French

Newspapers from France