Executive MBA, y aller ou pas ?
Sans avions, sans visas et dans un marché du travail potentiellement déprimé, les EMBA ont-ils encore du sens ?
Roi des diplômes au XXe siècle, le MBA (Master of business administration) a des manières bien à lui de traverser les crises. Fortement touché en 2008, le marché est bien en peine de prévoir quels seront les impacts de la Covid-19 et de la potentielle crise économique qui s’ensuivra, sur les flux de candidats. D’un côté, les opportunités professionnelles pourraient se réduire, diminuant du même coup le retour sur investissement (ROI) de ces programmes au prix exorbitant – de 40 000 à plus de 100 000 euros. De l’autre, la période apparaît pour beaucoup propice à la formation et l’acquisition de nouvelles armes pprofessionnelles en attendant la relance. Des États-Unis à l’Europe, le ROI attendu d’un MBA est aujourd’hui bien difficile à calculer.
visibilité internationale s’est accélérée grâce notamment à d’excellents classements [le EMBA d’HEC est classé 1er mondial dans le dernier classement du Financial Times, cf. encadré, ndlr] et septembre 2020 a vu un nombre record de confirmations”. Certes, l’impossibilité de voyager a poussé certains admis à réserver leurs places pour la rentrée de janvier. D’autres ont commencé tout de suite, en présentiel, où ils rejoignent, test PCR négatif en poche, des classes à la capacité divisée par deux, ou à distance, grâce à la transmission des cours depuis des salles modulaires suréquipées – en attendant mieux.
La pandémie creuse un écart qui lui préexistait. “Dans ce marché très segmenté, la prime à la marque sera encore plus importante que d’habitude”, prévoit Bénédicte Germon. Avec des programmes bien cotés constituant des refuges, et les autres qui, sans l’expérience internationale qu’ils proposent d’ordinaire, auront de l’autre de la peine à convaincre.
D’une crise à l’autre (2008-2020)
1. La sur-représentation de la finance dans les programmes, lesquels se retrouvaient de facto sur le secteur le plus en crise ;
2. La décrédibilisation des business schools dans leur ensemble, pointées du doigt pour n’avoir pas anticipé le choc, voire, aux yeux de leurs détracteurs, pour avoir contribué à le créer ;
3. Le gel des embauches, ou du moins des salaires et des primes, qui rendait tout retour sur investissement hasardeux.
“Même s’il est un peu tôt pour en parler, le sentiment qui émane de nos partenaires dans le monde économique est qu’ils ont la ferme intention poursuivre leurs recrutements de hauts potentiels”, assure Phil Eyre. Un optimiste partagé par Matt Symonds, lequel ne croit pas la crise aussi dévastatrice qu’il y a douze ans : “sur la seule année écoulée, Apple et Amazon ont embauché plus de 1 000 titulaires de MBA, et ne sont pas près de s’arrêter”. Moins axés sur la finance que jadis, les programmes EMBA ont renoué avec leur objectif originel : offrir de la transversalité à une carrière. “Aujourd’hui, si vous êtes un manager dans un secteur en crise comme l’aéronautique, votre MBA vous donnera la flexibilité nécessaire pour rejoindre le digital, le consulting ou le healthcare”, illustre Matt Symonds. Du côté d’HEC aussi, on se montre confiant. “Les entreprises savent qu’elles vont avoir besoin de top managers pour rester performantes en ces temps incertains, puis redémarrer le mieux possible, juge Andrea Masini. Elles savent aussi que si elles ne recrutent pas nos participants aujourd’hui, d’autres le feront.”
Prix et durée : les clés du ROI
La différence d’impact prévisible entre USA et Europe tient à aux caractéristiques respectives des deux diplômes. Les premiers coûtent autour de 100 000 dollars, et durent le plus souvent 24 mois. Les seconds coûtent deux fois moins cher, pour une durée de 12 à 18 mois. Des formats qui ont une conséquence directe sur le ROI qu’ils proposent. Si le gain salarial est incontournable aux ÉtatsUnis, il est (un peu) moins prégnant en Europe, où les participants viennent pour d’autres motifs, comme changer de secteur, de métier, ou préparer une création d’entreprise. Le EMBA fournit à ces deux publics le nouveau réseau qu’il leur manque, des compétences managériales et, pour les seconds, légitime leur profil aux yeux de futurs investisseurs. Leur durée d’un an donne aux MBA européens la possibilité de s’intégrer plus finement dans une vie professionnelle. Mais dans le cadre actuel, elle peut aussi jouer en leur défaveur. En effet, les MBA démarrent aujourd’hui à distance, pour quelques mois au moins. Cela change tout :
“dans un cursus de deux ans, les participants se disent qu’ils auront le temps de se retrouver physiquement, de profiter à plein de l’expérience MBA pour créer leur réseau. Quand il dure un an, c’est moins sûr. Voyant que l’épisode Covid n’est toujours pas refermé, certains sont tentés de repousser leur projet à plus tard, quand ils pourront profiter eux aussi de ces ressources”, décrypte Matt Symonds. Sans oublier un élément essentiel: Covid-19, élections américaines, crise économique, distanciel ou non – le prix du diplôme, lui, ne bougera pas.
En attendant le retour à la normale des compagnies aériennes et des permis de travail, aux écoles de recréer, tant que possible, les conditions d’une expérience MBA digne de ce nom. Chez Kedge, on reste serein: “Je pense que notre format est un atout en cette année étrange”, estime Bénédicte Germon. Le programme de Kedge coûte 39 000 euros et mise beaucoup sur la personnalisation, s’adaptant aux contraintes de chaque participant. “Selon leur vie professionnelle et personnelle, ils peuvent poursuivre leur programme entre 12 et 48 mois, à leur rythme”, souligne-t-elle. Le temps de voir venir la suite des événements. Si les grandes business schools semblent si confiantes, c’est aussi parce qu’elles savent que les transformations à l’oeuvre – digitales, sociétales, environnementales – rendent impérieuse la nécessité, pour les entreprises, de les intégrer sans tarder dans leur top management. C’est aussi le réflexe, quasi pavlovien, de tout bon professionnel dans l’incertitude: celui de se former. L’éducation, ou le meilleur moyen trouvé à ce jour pour se préserver d’une crise, aussi inédite fût-elle.
“Aujourd’hui, si vous êtes un manager dans un secteur en crise comme l’aéronautique, votre MBA vous donnera la flexibilité nécessaire pour rejoindre le digital, le consulting ou le healthcare”