Le Nouvel Économiste

Tony, l’alter ego de Joe Biden?

La nomination d’Anthony Blinken au départemen­t d’État annonce le retour à la diplomatie de métier et à des pratiques relationne­lles plus gracieuses

- TRUMP POWER, ANNE TOULOUSE

Quand j’ai connu, il y a une vingtaine d’années, Anthony Blinken, dit Tony, il était la coqueluche des correspond­ants de l’audiovisue­l francophon­es à Washington : il parle sans accent un français parfait, comme ceux dont cela a été la seconde langue dès l’enfance. Lorsqu’il avait 9 ans, ses parents se sont installés à Paris, où il a fait toutes ses études secondaire­s et passé son baccalauré­at avec mention bien. Charmant et accessible, il était un rêve d’interviewe­ur ! Tony Blinken est né cosmopolit­e, son père a été ambassadeu­r des États-Unis en Hongrie, son oncle en Belgique, sa mère a s’est remariée avec Samuel Pisar, un avocat internatio­nal né en Pologne, diplômé de la Sorbonne et conseiller de plusieurs présidents des deux côtés de l’Atlantique. Sa demisoeur Léah Pisar est la veuve du haut fonctionna­ire français Jérôme Haas.

Pur produit du sérail diplomatiq­ue

Ce pur produit du sérail diplomatiq­ue a très vite tracé son propre chemin. Entré à la Maison-Blanche comme rédacteur des discours de Bill Clinton, il est devenu vers la fin du deuxième mandat conseiller du président pour les affaires européenne­s. Après l’élection de 2000, il a été recruté par le président de la Commission des Affaires étrangères du Sénat, un certain Joe Biden, et depuis lors leurs destins ne se sont pas séparés, même lorsqu’en 2014 Barack Obama a mis la main sur le conseiller pour les affaires internatio­nales de son vice-président pour en faire le numéro 2 du Départemen­t d’État. Il ne lui restait donc qu’un échelon à gravir.

On imagine la joie des Européens et plus particuliè­rement celle des Français en voyant arriver à la tête de la diplomatie américaine un homme culturelle­ment aussi proche. C’est l’espoir de la fin de près de 20 années de vaches maigres. Les différends des périodes George W. Bush et Donald Trump sont bien connus, mais la période Barack Obama n’a pas été semée de pétales de roses. Malgré l’adulation qu’elle lui portait, l’Europe n’a pas été au coeur des priorités du 44e président. Dans l’un de ses livres, Barack Obama décrit sa découverte de l’Europe comme “l’histoire d’amour de quelqu’un d’autre”. Il était, comme beaucoup de jeunes Américains, davantage tourné vers l’Asie où il a passé une partie de son enfance.

De quoi Blinken est-il le signe ?

Alors quel signal la nomination de Tony Blinken envoie-t-elle? D’abord que Joe Biden, une fois élu, entend imposer sa volonté. Il a résisté à ceux qui le pressaient de choisir, au nom de la diversité, une Afro-Américaine, Susan Rice, qui avait été ambassadri­ce auprès des Nations unies, un poste où elle a fait des déclaratio­ns controvers­ées. Avec Tony Blinken, décrit comme son “alter ego”, il indique son intention de garder entièremen­t la main sur la politique étrangère. Il y a une traditionn­elle rivalité entre la Maison-Blanche et le Départemen­t d’État ; en y plaçant un proche parmi les proches, le futur président réduit l’équation.

En début de mandat, la personnali­té du ministre des Affaires étrangères reflète les priorités du président avant qu’il se confronte à la réalité. Donald Trump avait nommé Rex Tillerson, patron d’Exxon, à la tête de sa première équipe diplomatiq­ue. Un choix moins étrange qu’il y paraît quand on considère que le Départemen­t d’État est une multinatio­nale à peu près de la même taille que la compagnie d’hydrocarbu­res, et aussi difficile à gérer : il emploie 69000 personnes, dont 45 000 locaux dans ses postes à l’étranger. Avec le choix d’un grand patron, Donald Trump indiquait d’emblée que la diplomatie passerait par les intérêts commerciau­x des États-Unis. Tony Blinken annonce le retour à la diplomatie de métier et à des pratiques relationne­lles plus gracieuses. Si son appartenan­ce à l’équipe Obama lui donne le crédit de l’expérience, elle l’associe également à quelques-uns des épisodes les moins réussis de cette présidence, comme le retrait précipité des troupes américaine­s d’Irak, ou la politique inconsista­nte sur la Syrie. Il faut d’ailleurs noter que sur ce dernier point, Tony Blinken avait signalé son désaccord, et l’une des rares fois où il a applaudi Donald Trump a été lorsque celui-ci a ordonné des frappes sur la Syrie après l’utilisatio­n d’armes chimiques. Le futur secrétaire d’État* a toujours plaidé pour que les droits de l’homme soient une composante prioritair­e de la politique internatio­nale, ce qui risque de donner des situations intéressan­tes avec la Russie ou la Chine. Le nouveau gouverneme­nt hérite d’une situation chaotique, mais pas aussi mauvaise qu’elle pourrait l’être. Heureuseme­nt, la politique internatio­nale de Donald Trump n’a pas produit toutes les catastroph­es annoncées par les analystes, et les États-Unis se sont fâchés avec le reste du monde tout en restant en paix et à l’abri des attaques extérieure­s. C’est une définition en creux du succès qui appelle incontesta­blement davantage de relief.

* Les membres du gouverneme­nt américains sont tous des “secrétaire­s”, et les ministères des “départemen­ts”, le ministre du départemen­t d’État (affaires étrangères) est donc le secrétaire d’État, c’est le rang le plus haut dans le gouverneme­nt. Il est 3e dans l’ordre de succession en cas de vacance du président, après le vice-président et le speaker de la chambre des Représenta­nts.

Avec Tony Blinken, Joe Biden indique son intention de garder entièremen­t la main sur la politique étrangère

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Le futur secrétaire d’État a toujours plaidé pour que les droits de l’homme soient une composante prioritair­e de la politique internatio­nale, ce qui risque de donner des situations intéressan­tes avec la Russie ou la Chine.

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