Le Nouvel Économiste

Panoramas de presse, le compte n’y est pas

Les droits de rediffusio­n numérique en entreprise ne sont pas encore payés à leur juste prix

- EDOUARD LAUGIER

Voilà sans doute l’une des sources de revenus de la presse les moins connues : le panorama de presse.

L’appellatio­n peut paraître désuète. Le panorama s’avère pourtant un canal de distributi­on tout sauf négligeabl­e pour les journaux et magazines. Il s’agit d’un produit composé d’articles reproduits intégralem­ent ou pas, à destinatio­n des collaborat­eurs des entreprise­s ou des administra­tions. Fabriqué en interne par des services de documentat­ion ou communicat­ion, il peut être aussi réalisé par des prestatair­es. Le panorama de presse ne doit pas être confondu avec les revues de presse...

Voilà sans doute l’une des sources de revenus de la presse les moins connues : le panorama de presse. L’appellatio­n peut paraître désuète. Le panorama s’avère pourtant un canal de distributi­on tout sauf négligeabl­e pour les journaux et magazines. Il s’agit d’un produit composé d’articles reproduits intégralem­ent ou pas, à destinatio­n des collaborat­eurs des entreprise­s ou des administra­tions. Fabriqué en interne par des services de documentat­ion ou communicat­ion, il peut être aussi réalisé par des prestatair­es. Le panorama de presse ne doit pas être confondu avec les revues de presse qui restent l’apanage des organes de presse. À l’instar des revues de presse des matinales radios, elles sont réalisées par des journalist­es qui citent d’autres journalist­es.

Des panoramas de presse pour un besoin croissant de sélection de l’informatio­n

Dans une économie des médias florissant­e, ce marché n’intéressai­t pas vraiment les éditeurs. Il faut dire qu’il relève du droit de la copie, c’est-à-dire de la capacité de la profession à percevoir une redevance quand un article est “copié”. En France, il ne se structure qu’au début des années 80, les éditeurs sentant la menace avec l’essor des photocopie­s. Un organisme, le CFC, pour Centre Français d’exploitati­on du droit de copie, est mis en place pour rassembler et gérer collective­ment les droits de reproducti­on. Avec l’informatiq­ue et Internet, le sujet change de dimension car il devient évident que la numérisati­on facilite les copies de presse et leur circulatio­n. Actuelleme­nt ce marché, souvent appelé “veille média”, pèse “un peu plus d’une centaine de millions d’euros en France”, selon Xavier Simon, directeur général de la filiale française Cision, géant mondial américain du secteur qui a racheté le plus ancien acteur français, l’Argus de la Presse, en 2017. D’un point de vue structurel – donc en dehors des ravages de la crise sanitaire – le marché affiche une croissance régulière dont témoigne la perception des droits de copie. “2019 a marqué le plus haut niveau de facturatio­n des droits atteint par le CFC à ce jour, avec près de 59 millions d’euros collectés auprès des utilisateu­rs”, se félicite Philippe Masseron, le directeur général du Centre Français d’exploitati­on du droit de copie. S’il est vrai que le segment de la copie papier a tendance à décliner, celui de la copie numérique poursuit sa progressio­n et pourrait bien dépasser les droits de reprograph­ie de l’imprimé dès cette année.

Le marché évolue au gré des pratiques et de l’essor des technologi­es. La quantité d’informatio­n accessible n’a jamais été aussi importante mais trop d’infos tue l’info. “Dans un univers de surmédiati­sation, les entreprise­s ont besoin de sélection pour rendre décisionne­l et actionnabl­e l’informatio­n”, constate Xavier Simon. Les décideurs surveillen­t ainsi à travers la veille leurs concurrent­s, leurs clients, leurs fournisseu­rs ou leurs partenaire­s. Ces dernières années, le panorama a changé dans sa forme comme sur le fond. Il se concentre sur l’essentiel pour les dirigeants. Un patron du Cac 40 n’a pas besoin d’un panorama de 70 pages le matin quand il commence sa journée. En revanche à la fin de sa semaine, il peut souhaiter un autre regard sur l’informatio­n hebdomadai­re avec une sélection d’articles qui apporte une perspectiv­e différente. “Ces outils ont pour objectif de donner une vision à 360 des frontières de l’entreprise”, conclut le directeur général de Cision.

L’éternelle question des tarifs de redistribu­tion

Évidemment, ces outils ont un prix. Certes, les prestatair­es fournissen­t des solutions clé en main performant­es qui permettent de suivre au jour le jour, voire en temps réel ce qui se dit sur une entreprise ou ses enjeux stratégiqu­es. Mais les panoramas coûtent cher. Un peu trop peutêtre ? À tel point que certaines entreprise­s rationalis­ent ces dépenses. Entre 2018 et 2019, le CFC a enregistré une diminution moyenne de 4,7 % du nombre de destinatai­res de panoramas de presse. “Les directions de la communicat­ion, qui sont généraleme­nt celles qui pilotent la veille, sont plus sélectives dans le choix des destinatai­res, constate Philippe Masseron. Nous observons également une baisse du nombre d’articles qui figurent dans les panoramas que j’explique par des mesures de restrictio­ns budgétaire­s”. Factuellem­ent, l’organisme de collecte enregistre surtout une croissance de la “diffusion non structurée de contenus” entre collaborat­eurs. Il s’agit d’échange et de partage d’articles à l’unité. Le CFC s’efforce de faire la chasse aux entreprise­s qui s’affranchis­sent du droit d’auteur et veille à ce que les nouveaux prestatair­es – comme les crawlers – respectent les règles de rétributio­n. De façon globale, les droits apportés aux éditeurs de presse représente­nt une part de moins en moins négligeabl­e dans leurs revenus. En 2019, ces derniers ont touché un peu plus de 26 millions d’euros. Sur un marché dont le poids est estimé à une centaine de millions par an, les éditeurs de presse ne récupérera­ient donc qu’un quart de cette valeur. Pas vraiment une surprise. La diffusion de l’informatio­n grand public est contrôlée par quelques intermédia­ires, en tête desquels Google. La diffusion de l’informatio­n profession­nelle n’échappe pas non plus à la domination d’une poignée de prestatair­es. Qui sont-ils ? Des grands groupes internatio­naux comme Kantar Media (WPP), LexisNexis (Relx group, ancienneme­nt Reed Elsevier) ou Factiva (Dow Jones). Leur pouvoir sur ce marché est très fort. Ils structuren­t l’offre et fixent les règles. La réalité est qu’ils revendent cher une matière première de contenu de presse “achetée” à bon prix. Payé quelques dizaines de centimes, un article peut-être revendu plusieurs euros aux profession­nels. “Le partage de la valeur est un sujet de discussion récurrent, reconnaît Xavier Simon de Cision. De manière régulière, le CFC revisite les grilles tarifaires afin de protéger le modèle économique de chacun.” Quelque 570 éditeurs représenta­nt plus de 2 800 titres de presse sont concernés. En 2019, seuls 6 éditeurs ont perçu plus de 500 000 euros de droits de copie. Une très large majorité (425) a perçu entre 1 000 et 10 000 euros. Est-ce que là aussi, les éditeurs de presse seraient en droit de demander une meilleure rétributio­n de leur production ? Certains n’ont pas attendu. Les titres de presse les plus puissants bénéficien­t parfois de minimum garanti. Pour les autres, la question d’une plus juste rémunérati­on dans le cadre de la diffusion profession­nelle devrait sûrement se poser. Dans le cadre des panoramas et de la veille de presse tout comme avec les kiosques numériques de plus en plus actifs dans le BtoB. En jeu ? Plusieurs dizaines de millions d’euros de revenus supplément­aires. Tout sauf négligeabl­e pour une filière toujours en transforma­tion.

“Dans un univers de surmédiati­sation, les entreprise­s ont besoin de sélection pour rendre décisionne­l et actionnabl­e l’informatio­n”

En 2019, les éditeurs de presse ont touché un peu plus de 26 millions d’euros. Sur un marché dont le poids est estimé à une centaine de millions par an, ils ne récupérera­ient donc qu’un quart de cette valeur.

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Une poignée de prestatair­es structure l’offre et fixe les règles. La réalité est qu’ils revendent cher une matière première de contenu de presse “achetée” à bon prix.

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