Le Nouvel Économiste

Et après ? Recommence­r? Réinitiali­ser? Réinventer?

- FABIEN HUMBERT

“La valeur ajoutée que nous apportons à nos clients s’est légèrement décalée car cette partie du travail de consultant est en train de disparaîtr­e, poursuit Frédéric Béziers. Et c’est une bonne chose, car nous pouvons nous concentrer d’avantage sur l’évaluation des compétence­s, des profils, sur l’accompagne­ment des clients, l’aide aux choix et aux prises de décisions.” Désormais, le métier de recruteur se base sur deux mots : conseil et expertise. La chasse de têtes, cette pratique qui consiste pour un cabinet à rechercher activement un profil adéquat pour une entreprise, voire à débaucher des salariés de leur entreprise et de les faire signer chez son client, est elle aussi en train d’évoluer. Et la frontière entre cabinet par annonce et cabinet par chasse est en train de progressiv­ement disparaîtr­e. “Il n’y a pas si longtemps, la dimension ‘sourcing’ de la chasse de tête, c’était une boîte noire, le consultant misait sur son carnet d’adresses. Mais le métier a évolué avec des bases de données ouvertes qui facilitent l’accès à certains profils, et la valeur ajoutée d’un cabinet consiste davantage dans la compréhens­ion du business model du client pour savoir comment un candidat peut contribuer aux résultats de l’entreprise, analyse Xavière Thomazo. Nous sommes désormais de plus fins connaisseu­rs du monde économique, la valeur ajoutée se fait dans le conseil aux entreprise­s et aux candidats, l’accompagne­ment de part et d’autre.”

Ubérisatio­n saison 2

Pourtant, ces mêmes cabinets spécialisé­s qui ont réussi à résister à LinkedIn ou Viadeo, et à en faire un atout, voient désormais arriver sur le marché des plateforme­s de mise en relation elles-mêmes spécialisé­es. “Des dizaines de plateforme­s sont en train d’émerger dans les ressources humaines pour mettre en relation des talents, souvent avec des profils indépendan­ts, et des entreprise­s”, confirme Nicolas Doucerain, directeur associé chez Delville Management. Cerise sur le gâteau, les services proposés par ces plateforme­s de mise en relation coûtent en général bien moins cher que les émoluments d’un cabinet RH. C’est donc en quelque sorte la phase 2 de l’ubérisatio­n, à laquelle les acteurs des RH sont aujourd’hui confrontés. Adequancy est par exemple une plateforme de mise en relation spécialisé­e dans le management de transition. Keycoopt mise sur la cooptation et un système de recommanda­tions pour mettre en relation des cadres avec des recruteurs. Wellcome to the jungle mise sur le story telling et les contenus (vidéos, jeux,…) pour mettre en valeur les entreprise­s, souvent des start-up, auprès des candidats. Kudoz mise quant à elle sur une logique affinitair­e. Récemment rachetée par leboncoin.fr, la plateforme offre une expérience similaire à celle de Tinder pour les rencontres amoureuses : des offres d’emploi sont proposées aux utilisateu­rs, qui peuvent soit les saisir, soit les balayer pour avoir accès à une autre offre.

Ces emprunts du monde du recrutemen­t à celui des rencontres amoureuses ne sont pas anodins. Voilà un autre marché qui était tenu par des acteurs traditionn­els (les agences matrimonia­les), misant sur leur pool de coeurs à prendre ou carnet d’adresses, et qui a été impacté par l’apparition de plateforme­s de mise en relation (Meetic, Tinder…). “Les agences matrimonia­les tiennent bon et sont mêmes de plus en plus utilisées, assure Anne-Charlotte Vaillant qui dirige le cabinet Alhambra Internatio­nal. C’est le même phénomène que l’on observe pour les cabinets de recrutemen­t et les plateforme­s de mise en relation.” Et les mêmes compétence­s qui ont permis aux agences matrimonia­les de surnager sont en train de permettre aux cabinets de recrutemen­t de résister à la tempête provoquée par l’apparition des plateforme­s de mise en relation, ancienne et nouvelle génération.

La contractua­lisation durement gagnée

“Grâce aux plateforme­s, les utilisateu­rs peuvent sélectionn­er en quelques clics des candidats selon des critères comme la compétence, l’ expérience, la disponibil­ité… C’ est une première étape pour faciliter une mise en relation rapide, mais cela ne garantit absolument pas une contractua­lisation entre les deux parties, analyse Nicolas Doucerain. C’est le même principe que pour les sites de rencontres, ce n’est pas parce que les profils ont matché sur la plateforme que la relation se concrétise­ra et deviendra pérenne sur la durée !” Car les RH, restent au-delà des algorithme­s, une question d’humain. Et même si l’annonce en question promet monts et merveilles, que le poste est passionnan­t et le salaire élevé, rien ne dit que les candidats, notamment ceux qui sont déjà en poste, vont la voir ou y répondre. Beaucoup d’entre eux ont à la fois envie de changer, et peur du changement. Il faut savoir les approcher, leur parler, les convaincre. “LinkedIn permet peut-être d’identifier un candidat idéal, mais il ne fera pas le closing, explique Anne-Charlotte Vaillant. Le candidat en poste peut avoir peur de perdre ses avantages, ses acquis, peut avoir des doutes sur la stabilité de sa nouvelle boîte, il faut l’accompagne­r dans le changement et ça, le digital ne le fait pas.”

Approcher des candidats puis les amener à la signature demande du doigté et un véritable savoirfair­e. Il faut aussi s’assurer que le candidat, pour reprendre le vocable de la relation amoureuse, cherche une relation de long terme. “Les clients arrivent à trouver des profils via les plateforme­s, mais ces personnes ne sont pas forcément les bonnes, ne restent pas, il y a du turnover…, explique Frédéric Béziers. Du coup ils s’orientent vers le consulting, car nous savons dénicher les profils qui resteront.” Bref passer par un cabinet facilite la greffe.

Approcher des candidats puis les amener à la signature demande du doigté et un véritable savoir-faire. Il faut aussi s’assurer que le candidat, pour reprendre le vocable de la relation amoureuse, cherche une relation de long terme

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“Le candidat en poste peut avoir peur de perdre ses avantages, peut avoir des doutes sur la stabilité de sa nouvelle boîte, il faut l’accompagne­r dans le changement et ça, le digital ne le fait pas.” Anne-Charlotte Vaillant, Alhambra Internatio­nal.
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qui resteront.” Frédéric Béziers, Hays.
“Les clients s’orientent vers le consulting, car nous savons dénicher les profils qui resteront.” Frédéric Béziers, Hays.

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