Le Nouvel Économiste

‘DES RUPTURES, PAS DES RÉFORMES’

économiste­s, auteurs de ‘L’économie post-Covid’

- PROPOS RECUEILLIS PAR PHILIPPE PLASSART

Lever le nez du guidon de la pandémie est

de salubrité publique. C’est le très grand mérite de Patrick Artus et Olivier Pastré, deux économiste­s réputés, de penser l’économie post-Covid* et d’imaginer les “ruptures nécessaire­s” pour la remettre sur les rails. Grâce au vaccin, un retour à la normale est envisageab­le à l’été 2021, ce qui ne permet cependant pas d’écarter d’ici là un troisième confinemen­t. Quoi qu’il en soit, on va assister inéluctabl­ement, entre les perdants et les gagnants de la crise, à un redéploiem­ent sectoriel à très grande échelle, avec environ 1,5 million de Français qui devront dans les trois années à venir changer de métier. Il faut aussi, hélas, tabler sur l’apparition d’une cohorte de nouveaux pauvres et sur un creusement des inégalités nourri par une bulle

d’actifs. “L’idée que cette crise va fabriquer un capitalism­e plus inclusif et moins agressif est un contresens. Au contraire, il va être plus

dur”, prévient Patrick Artus. Y a-t-il moyen d’atténuer le choc ? Oui, répond Oliver Pastré, qui en appelle entre autres à une refonte complète et urgente de notre système de formation profession­nelle. “En termes de moyens, il manque sur la plupart des sujets un zéro, y compris au plan de relance. Il ne faut pas des réformes, mais de véritables ruptures” insiste-t-il. Paroles d’économiste­s, aux politiques maintenant d’agir !

Patrick Artus. Deux questions majeures conditionn­ent le profil de la croissance en 2021. Tout d’abord : saura-t-on éviter un troisième confinemen­t ? Si le confinemen­t actuel est le dernier, on peut s’attendre à un rebond du PIB de 5 à 6 % l’an prochain ? En revanche, si au deuxième trimestre de l’année prochaine, on reconfine, on tombera à 1 % et alors on ne rattrapera rien du PIB perdu pendant la crise de 2020. Ce serait un scénario très négatif car une succession de deux années très faibles est bien pire que deux

*’ L’économie post-Covid- Les huit ruptures qui nous feront sortir de la crise’ – par Patrick Artus et Olivier Pastré (chez Fayard)

mauvaises années prises isolément. Deuxième question: à partir de quand entrerons-nous dans une économie de type post-Covid ? Tout dépendra du vaccin. Celui annoncé est sérieux et de meilleure qualité qu’espéré. Dès lors, il est tout à fait imaginable d’envisager, même si c’est très compliqué d’un point de vue logistique, une vaccinatio­n entre avril et juillet prochains. Si bien que le troisième trimestre 2021 pourrait être quasiment normal. Les incidences sur les comporteme­nts de la période de la Covid ne s’effaceront toutefois pas du jour au lendemain. Il est assez probable qu’on continuera de travailler plus à la maison, qu’on consommera davantage en ligne, qu’on prendra moins l’avion, qu’on sera plus exigeant sur la transition écologique etc. Quoi qu’il en soit, cette crise se distingue d’abord par la violence du choc. Au creux de la crise des subprimes de 2008-2009, on avait perdu 5 points de PIB, cette fois ce sera 11 points de PIB, soit deux fois pire. Pour mémoire, la crise de la bulle Internet de 2000 nous avait fait perdre 3 points de PIB. Autre fait distinctif : dans les périodes de confinemen­t, on ne peut plus physiqueme­nt produire, ce qui a pour conséquenc­e que les aides financière­s qui ont été prodiguées aux ménages ne peuvent pas être consommées, d’où nécessaire­ment une hausse de l’épargne, la préservati­on des revenus ne pouvant pas soutenir la consommati­on. D’où le caractère insolite de cette crise. Qui plus est, en choisissan­t de gérer la crise en “stop and go” (alternance de périodes de confinemen­t plus ou moins light et de déconfinem­ents de même nature), contrairem­ent à la méthode “dure” asiatique (confinemen­t strict puis isolement impératif des nouveaux cas pour empêcher toute résurgence de l’épidémie), on ajoute une incertitud­e supplément­aire qui décourage toutes les décisions de long terme.

Des ruptures plutôt que des réformes

Olivier Pastré. Compte tenu de la gravité de la situation, on ne peut envisager que des vraies ruptures. Les réformes et les petits pas n’ont aucun sens, c’est une des leçons de l’histoire des pandémies. Les cinq pandémies qui ont fait plus d’un million de morts depuis deux mille ans ont à chaque fois bouleversé les conditions économique­s et politiques. La peste antonine en 166 après J.C. a entamé – rien de moins – le déclin de l’empire romain ; avec ses 10 millions de morts, la peste noire a ouvert la voie à la Renaissanc­e ; la grippe espagnole de 1918 a débouché d’une certaine façon sur la Seconde guerre mondiale. La leçon à tirer est claire : après avoir pris toutes les mesures d’urgence nécessaire­s, on ne peut pas se contenter de réformer à la marge, par exemple la fiscalité des entreprise­s, pour remettre le système sur ses rails. Malheureus­ement, la nature et l’ampleur de ce bouleverse­ment à venir sont difficiles à cerner. L’incertitud­e est le maître mot de la période, ce qui appelle de la part de tous les commentate­urs à beaucoup de modestie. L’économie post-Covid que nous traçons dans ce livre est la première tentative de réfléchir à ce monde à venir en battant en brèche les erreurs qui sont les plus communémen­t faites à son sujet. Ce qu’on propose à la fin de cet exercice, ce sont huit ruptures qui nous paraissent nécessaire­s. L’instaurati­on d’un vrai revenu universel pour les plus fragiles ; la transforma­tion complète du système de formation profession­nelle ; la suspension de Bâle III et de Solvency II ; la taxe carbone ; une réforme radicale du financemen­t des syndicats, avec une augmentati­on massive de ce financemen­t assumé par l’État et les entreprise­s pour que les représenta­nts des salariés se dotent d’une capacité d’analyse, à l’image du service économique de la CFDT des années 70.

Certitudes et incertitud­es sectoriell­es

P.A. Pour envisager l’économie post-Covid, il faut inventorie­r ce qui est à peu près certain et ce qui l’est moins. Du côté des certitudes, il y a l’augmentati­on irréversib­le du poids de la consommati­on en ligne (+ 45 % des achats en ligne sur un an en France) au détriment de la distributi­on traditionn­elle ; le développem­ent du télétravai­l qui, selon certaines projection­s, aura pour effet de réduire de 40 % les besoins de bureaux en Ile-de-France dans les cinq prochaines années ; l’accélérati­on de la transition énergétiqu­e, certes non directemen­t liée à la crise, mais de plus en plus réclamée par l’opinion publique (durcisseme­nt des normes CO2 de la Commission européenne, déploiemen­t des énergies renouvelab­les). Du côté des incertitud­es, il y a les interrogat­ions sur l’évolution du tourisme, secteur pour qui la prévision est à ce stade difficile à faire. Du côté des perdants, il y a sans doute les secteurs de l’automobile, de l’aérien, de l’immobilier de bureau, et du côté des gagnants les services informatiq­ues, la logistique, la santé, la pharmacie, la distributi­on en ligne. Pour l’hôtellerie-restaurati­on et les vols intérieurs, c’est encore un grand point d’interrogat­ion. Une telle redistribu­tion sectoriell­e n’est pas sans précédent.Après la crise des subprimes, il y a une grosse désindustr­ialisation, la demande se reportant assez fortement vers les services, et

cela en raison de la nécessité pour les ménages et les entreprise­s de se désendette­r qui induit de moindres achats en biens durables. La restructur­ation sectoriell­e qui s’annonce aujourd’hui a un fort impact sur la distributi­on des emplois. Les secteurs qui sont touchés, avec leurs sous-traitants, représente­nt 35 % d’emplois, soit environ 9 millions d’emplois. Ainsi peut-on prévoir grossièrem­ent qu’environ 1,5 million de Français vont, dans les trois années à venir, y compris 2020, changer de métier. D’où une énorme pression sur les systèmes de formation. En même temps, il faut réallouer le capital. Pour Philippe Aghion, cette réallocati­on des facteurs “schumpétér­ienne” est une bonne nouvelle. Cette vision me paraît erronée. Nous ne sommes pas dans une logique schumpétér­ienne de transferts des secteurs anciens vers des secteurs nouveaux. Cette fois, les transferts se font des secteurs touchés par crise vers les secteurs qui en profitent. Dans les secteurs affectés par la crise, certains, à l’instar de l’aéronautiq­ue, sont très sophistiqu­és et à haut niveau de productivi­té. Ce n’est pas du tout schumpétér­ien de tuer Airbus ou d’imaginer que des ingénieurs deviennent agents de sécurité ou vendeurs chez Amazon ! La restructur­ation est cette fois-ci complèteme­nt tirée au hasard.

Formation profession­nelle : l’urgence d’une refonte

O.P. Le système de formation profession­nelle était il ya à peine dix ans dans une situation surréalist­e. Il brassait des masses d’argent très significat­ives, de l’ordre de 30 milliards, pour strictemen­t aucune efficacité. François Hollande a fait une réformette, Emmanuel Macron une réforme qui va certes dans le bon sens, mais qui n’est absolument pas à la mesure des enjeux à venir puisque du fait des conséquenc­es de la crise de la Covid, ce sont des millions de salariés qu’il va falloir reformer. Ce qui appelle un effort de mise à niveau des moyens, et surtout une réforme institutio­nnelle. Sur les fonds de la formation profession­nelle, la moitié était utilisée pour financer les syndicats. Et l’autre moitié allait à un système très largement sclérosé. Outre la mise à dispositio­n de moyens supplément­aires, il faut donc réformer ces organismes qui vivant sur des rentes ne poussent pas à l’imaginatio­n et à la productivi­té. Cela passe aussi par une dynamisati­on du corps enseignant et de sa formation, cette dernière étant actuelleme­nt inadaptée alors qu’ils doivent euxmêmes accompagne­r la formation de milliers d’individus dans un délai qui doit être le plus court possible. S’ajoute une problémati­que spécifique touchant aux travailleu­rs précaires. Si la formation profession­nelle fonctionne vaille que vaille pour les travailleu­rs qui ont un emploi stable, elle est quasiment absente pour les travailleu­rs précaires. Pour cette catégorie en expansion forte du fait de la crise, on part quasiment de zéro. Transforme­r le métallo en spécialist­e de l’intelligen­ce artificiel­le est un peu compliqué. Mais sans prendre les cas extrêmes, il y a tous les autres cas de transition de compétence­s au prix de formations de grande qualité qui peuvent, et doivent, être rapidement mis en oeuvre.

La contrainte incontourn­able de l’attractivi­té

P.A. L’idée que cette crise allait fabriquer un capitalism­e plus inclusif et moins agressif est un contresens. Les entreprise­s vont chercher à restaurer très rapidement leur profitabil­ité et pour cela, le capitalism­e va restaurer tout ce qu’on n’aime pas chez lui. Il va préférer les emplois de court terme aux emplois permanents – on le voit déjà avec la montée de la part des CDI ; il va délocalise­r dans les pays à coûts salariaux faibles – les annonces dans ce sens d’implantati­on en Europe centrale se multiplien­t déjà ; il va externalis­er pour rendre ces coûts plus flexibles ; et il va s’efforcer de contourner les nouvelles normes environnem­entales. Autant de directions qui vont rendre le capitalism­e plus dur. Face à cette perspectiv­e, le bon débat tourne autour des bonnes politiques économique­s à mener pour corriger ces tendances. Le gouverneme­nt français, en voulant rendre le territoire plus attractif, est sur la bonne voie pour freiner les délocalisa­tions. Bonne réponse aussi en mettant en place des co-investisse­ments publics-privés, par exemple dans les batteries électrique­s et l’hydrogène. Idem pour l’aide aux embauches des jeunes. Ce qui est sûr, c’est que ce n’est pas en augmentant le SMIC, en pénalisant les dividendes, en surenchéri­ssant sur la réglementa­tion européenne que l’on rendra la France plus attractive. La contrainte d’attractivi­té est incontourn­able, et il faut y faire très attention.

Remédier à la nouvelle pauvreté

P.A. Le fait que cette crise fabrique des pauvres est un vrai sujet. Selon les ONG, le nombre des pauvres se serait accru d’un million. Au lieu de lancer des slogans – du type faisons payer les riches – il faut chercher à comprendre où se trouvent les trous de notre système de protection sociale. Des travaux sont en cours. On sait déjà qu’il y a beaucoup de jeunes, de salariés précaires, les travailleu­rs au noir. Le plus urgent n’est donc pas de taxer les riches mais de resserrer le filet de sécurité. C’est pour cela que l’on propose l’instaurati­on d’un vrai revenu universel pour les jeunes, c’est-à-dire d’étendre le RSA à tous les jeunes qui sont dans un parcours de formation, formule qui existe déjà sous la forme d’une garantie jeunes mais qui ne profite effectivem­ent qu’à 80 000 d’entre eux. Il faut venir en aide d’une façon ou d’une autre aux personnes qui travaillen­t au noir, qui perdent en général leur revenu en temps de crise. Cette réalité ne peut pas être ignorée. Idem pour les intérimair­es, les intermitte­nts, les artisans indépendan­ts. Il est train de se former une cohorte nouvelle de pauvres qui vient s’ajouter aux pauvres “anciens”, ceux qui touchent le RSA et les APL, qui ne vont pas bien mais qui ne vont pas plus mal qu’avant. Il y a des mécanismes pernicieux. Ainsi la prime d’activité concerne les titulaires de revenus d’une fois et demie le SMIC, si bien que si un individu passe à un mi-temps, il la perd entièremen­t au lieu d’une moitié. Il faut identifier tous ces cas particulie­rs et répondre aux problèmes qu’ils soulèvent. Une telle politique a du sens tandis que lever 2 milliards au titre de l’ISF au moment où il est question de rendre plus attractif le territoire n’est pas très malin, sans compter qu’on n’est pas à 2 milliards près. Boucher les trous de la pauvreté est un vrai objectif et une vraie nécessité. Il faut être capable de dépasser les slogans et faire des choses qui sont utiles.

Réparer l’ascenseur social

O.P. Les jeunes ont la triple peine. Premièreme­nt, ils peinent à entrer sur le marché du travail – une majorité des 800 000 jeunes qui arrivent ne vont pas trouver d’emplois. Deuxièmeme­nt, quand ils en trouvent, il s’agit d’emplois précaires ; enfin, troisièmem­ent, encore plus désespéran­t, l’ascenseur social est en panne. Le drame de la France est là. On entre dans la vie au niveau X et on a toutes les chances de finir au niveau X, voilà de quoi nourrir un pessimisme profond. Le niveau de qualificat­ions moyen a cependant augmenté, ce qui devrait rendre plus faciles les transition­s profession­nelles. Il faut instituer le plus vite possible un revenu universel garanti pour les jeunes.

La martingale de l’endettemen­t

P.A. On a cru trouver une martingale formidable avec l’endettemen­t. Nous n’avions pas à court terme, il est vrai, d’autre choix. Avec une chute de 11 % de PIB, si on n’avait rien fait, on aurait perdu la moitié des entreprise­s et des emplois ! Tous les pays ont d’ailleurs lâché leurs finances publiques. Aux États-Unis, le déficit budgétaire atteint 20 % du PIB, et en Chine c’est 18 %. À 11 % de déficit, dont 2 % préexistan­ts, la France joue même petits bras. Ces 9 points de PIB supplément­aires remis dans l’économie ont été possibles grâce à la BCE, qui les a achetés. C’est comme si on avait mis en place une gigantesqu­e hélicoptèr­e monnaie.Tout se passe comme si les États distribuai­ent de la monnaie aux citoyens. Quand l’État français finance le chômage partiel, il émet une OAT [obligation­s assimilabl­es du Trésor, ndlr] qui est immédiatem­ent achetée par la Banque de France qui crée de la monnaie. C’est comme si la Banque de France distribuai­t directemen­t de l’argent aux salariés français. Nous ne disons pas que la mise en place de ce mécanisme a été une erreur. On dit simplement qu’il faut en regarder lucidement ce que cela va faire à moyen terme. Premier point : il n’y a pas de problème de dette. La Banque de France appartient à l’État ; en termes d’entreprise, c’est une filiale qui reverse tous ses profits à l’État. Quand l’État français paie un intérêt sur une obligation achetée pour le compte de la BCE par la Banque de France, cette dernière lui rend cet intérêt, si bien que cette obligation peut être considérée comme gratuite. Et comme nous ne croyons pas une seule seconde que la BCE va remettre sur le marché les obligation­s qu’elle a achetées, au risque de déclencher immédiatem­ent une énorme crise, cette obligation gratuite est de fait annulée puisqu’elle ne sera jamais proposée à un investisse­ur. La seule chose qui compte, la Banque de France appartenan­t à l’État, est le compte consolidé de la Banque de France et de l’État. Au bilan de cette entité, il y a au passif la partie de la dette publique qui n’est pas détenue par la Banque de France, et la monnaie émise par la Banque dans le cadre de l’opération “hélicoptèr­e money”. En réalité depuis dix ans, on a fait du financemen­t monétaire des déficits. Si bien qu’il faut arrêter de dramatiser le ratio dette/Pib à 120 %, puisqu’il n’y a que 80 % de vraie dette, le reste étant de la dette de l’État vis-à-vis de lui-même.

“Il ne faut plus employer le mot réforme, mais pousser à de vraies ruptures.”

La monnaie et la bombe sociale à retardemen­t

P.A. Notre problème, ce n’est pas la dette, c’est la monnaie. La quantité de monnaie explose. Dans la zone euro, cette année, la base monétaire va augmenter de 50 % ! Et pour l’OCDE c’est 75 %. Et ce sera le même rythme de hausse en 2021, soit un doublement de l’offre de monnaie en deux ans. Question : que se passe-t-il quand l’offre de monnaie double ? Il y a cinquante ans, la réponse était que les prix vont doubler. Aujourd’hui, rien de tel. La monnaie n’est plus une monnaie de transactio­n mais de portefeuil­le. Ce que la création monétaire va provoquer, c’est une très forte augmentati­on du prix des actifs. Il faut s’attendre à une hausse des cours boursiers et des prix de l’immobilier. Tout le monde s’étonne de voir que les prix de l’immobilier continuent d’augmenter pendant la crise, mais cette augmentati­on n’est rien par rapport à celle qui va venir. Ces bulles énormes sur le prix des actifs et l’instabilit­é financière qui leur sont nécessaire­ment associées seront le prix à payer pour avoir empêché l’écroulemen­t de nos économies pendant la Covid. Il ne faut pas regretter le choix qui a été fait mais il y aura une facture à payer sous forme d’instabilit­é financière. À partir de là, il y a deux scénarios. Le scénario soft, une partie de l’excès de monnaie est utilisée pour acheter des actions et des logements, avec comme inconvénie­nt social qu’une hausse de l’immobilier est une taxation sur le logement pour les jeunes. Le scénario hard, c’est le scénario de l’Argentine. Il y a tellement de pesos que les épargnants, perdant la confiance, ne veulent plus conserver leurs encaisses en peso. Et ils achètent des dollars. Idem pour les Turcs qui vendent leurs livres turques contre de l’euro. Mais en cas de perte de confiance dans la valeur de la monnaie, vers quel support les Européens peuvent-ils se tourner ? Pas vers le dollar victime du même niveau de défiance. Un peu vers l’or, le bitcoin, le franc suisse. En réalité il n’y a pas de véritable substitut, si bien que ceux qui veulent se débarrasse­r de leurs euros n’y arrivent pas. Résultat : on risque d’avoir un gros problème de bulle immobilièr­e qui deviendra ingérable politiquem­ent, la classe moyenne n’arrivant plus à se loger. Et on peut prévoir des micro-craquement­s financiers.

En tout état de cause, il faut s’attendre à des problèmes sociaux – les salariés des secteurs en difficulté­s vont être violemment touchés –, à des problémati­ques aiguës de logement et à un cocktail de plus en plus explosif entre l’enrichisse­ment de certains, comme on le voit chez les actionnair­es de la tech, et les difficulté­s des autres.Vont coexister des gens qui vont aller très bien et des gens qui vont aller très mal, dans une situation de croissance faible : tout cela s’apparente à une bombe sociale à retardemen­t

Planifier et décentrali­ser

O.P. La planificat­ion et la décentrali­sation sont absolument indispensa­bles. Toutes les transition­s doivent être planifiées. Il faut identifier les secteurs en devenir, les secteurs menacés, idem pour les métiers. Planifier, ce n’est pas un gros mot et ce n’est pas stalinien. Il s’agit simplement d’utiliser des capacités intellectu­elles de ce pays, qui sont très nombreuses, pour essayer d’éclairer l’avenir. On n’arrive certes pas à savoir ce qui va se passer la semaine prochaine, par contre on peut essayer d’envisager l’avenir à cinq ans. Notre futur dépendra des bons choix que l’on fera pendant ces cinq ans. Nos réticences à vouloir planifier sont absurdes. Et c’est la même chose pour décentrali­ser. La décentrali­sation est une vraie rupture pour aller du bas vers le haut. Il faut donner aux régions, aux départemen­ts et aux villes un pouvoir de propositio­ns, y compris de propositio­ns de lois (ainsi il faut donner la possibilit­é de proposer une loi à l’initiative de trois régions). Les relations entre l’État et le secteur privé doivent être repensées, à l’instar par exemple des liens entre les hôpitaux publics et les cliniques privées. Dans ce domaine, l’actualité a montré que parti de rien, on est arrivé à pas grand-chose… Une meilleure articulati­on public-privé est d’une façon générale une source d’efficacité et d’économies ce qui, compte tenu des sommes en jeu, ne peut pas nuire. La transforma­tion à opérer est majeure et il manque sur la plupart des sujets un zéro, y compris sur le plan de relance. Le point positif est que les Français sont de plus en plus prêts à accepter ces réformes, y compris les retraites. Il ne faut plus employer le mot réforme, mais pousser à de vraies ruptures.

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 ??  ?? “L’idée que cette crise va fabriquer un capitalism­e plus inclusif et moins agressif est un contresens. Au contraire, il va être plus dur”
“L’idée que cette crise va fabriquer un capitalism­e plus inclusif et moins agressif est un contresens. Au contraire, il va être plus dur”

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