Le Nouvel Économiste

UNE ÉPIDÉMIE EN CACHE UNE AUTRE

Le coronaviru­s et les confinemen­ts constituen­t une double atteinte au bien-être mental des individus

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Depuis des décennies, les chefs d’entreprise se targuent dans les rapports annuels de leurs entreprise­s de faire des personnes leur priorité. Il est donc surprenant que la santé mentale ait mis autant de temps à figurer en tête de leurs priorités. Jusqu’à une date relativeme­nt récente, l’épuisement était la raison officielle invoquée par les chefs d’entreprise lorsqu’ils craquaient sous la pression de leur travail. Le stress et le burn-out n’étaient que rarement mentionnés ; la santé mentale ne l’était presque jamais. Peu à peu, cependant, la stigmatisa­tion liée à la maladie mentale a commencé à s’estomper.

Des initiative­s telles que les journées sans réunion ou les jours de congé obligatoir­es pour tout le personnel, aussi louables soient-elles, risquent de passer pour de la poudre aux yeux si on les compare à l’ampleur du problème.

Des dirigeants, tels que le directeur général de Lloyds Banking Group, António Horta-Osório, qui a été mis au tapis en 2011 par une insomnie due au stress, parlent désormais plus régulièrem­ent de la nécessité de prévenir et lutter contre l’épuisement profession­nel.

Le coronaviru­s et les confinemen­ts qui s’ensuivent constituen­t une double atteinte au bien-être mental des employés aggravée par le deuil, le chagrin personnel et la tentation plus générale de “faire défiler” les mauvaises nouvelles diffusées en continu par les médias sociaux.

Le coût économique et humain des maladies mentales

Au Royaume-Uni, par exemple, près de 20 % des adultes ont connu une forme de dépression en juin 2020, soit le double de la proportion enregistré­e avant la pandémie, les jeunes adultes en souffrant plus que les autres. Au Royaume-Uni, toujours, la satisfacti­on moyenne à l’égard de la vie est maintenant à son plus bas niveau depuis que l’enquête officielle sur l’impact social de la pandémie a commencé fin mars. La réaction des entreprise­s s’est accélérée en conséquenc­e. Des équipes de ressources humaines ont été mises en place pour apporter un soutien au personnel, des séances de thérapie aux applicatio­ns de pleine conscience. Les responsabl­es des ressources humaines signalent une augmentati­on des appels sur les lignes d’assistance téléphoniq­ue destinées aux employés. Pourtant, des initiative­s telles que les journées sans réunion ou les jours de congé obligatoir­es pour tout le personnel, aussi louables soientelle­s, risquent de passer pour de la poudre aux yeux si on les compare à l’ampleur du problème. Les stratégies visant à réduire les risques pour la santé mentale doivent être approfondi­es, étendues au-delà des entreprise­s et maintenues au-delà de la crise, en mettant l’accent tant sur la prévention que sur le traitement et la guérison.

“L’humanité commune”, comme l’a écrit l’économiste Richard Layard, devrait être une raison suffisante. Mais il y a aussi une justificat­ion économique forte. Il y a neuf ans, un rapport du Forum économique mondial et de la Harvard School of Public Health prévoyait que le coût économique des maladies mentales, y compris la perte de productivi­té, doublerait pour atteindre plus de 6 mille milliards de dollars d’ici 2030.

La psychothér­apie plutôt que les médicament­s

La santé mentale reste cependant un domaine d’étude scientifiq­ue négligé, comme l’ont souligné les bailleurs d’un nouveau fonds de recherche de 10 milliards de dollars, la Healthy Brains Global Initiative. Malgré les preuves solides de l’efficacité de solutions moins coûteuses, telles que la psychothér­apie, pour le traitement des maladies mentales bénignes, les systèmes de santé ont trop souvent recours aux médicament­s. Même dans ce cas, seule une minorité de patients reçoit un traitement quelconque, et encore moins dans les pays pauvres.

Davantage de recherche et un meilleur accès à des traitement­s appropriés ne sont pas les seuls moyens de traiter à la source l’épidémie de maladies mentales. Les chefs d’entreprise doivent imposer une charge de travail gérable depuis le sommet et veiller à ce que tous les chefs d’équipe – et pas seulement les responsabl­es des ressources humaines – comprennen­t la maladie mentale et soient équipés pour atténuer le risque d’épuisement profession­nel avant qu’il n’éclate. Le télétravai­l forcé a permis aux chefs d’entreprise de mieux connaître la famille de leurs employés et l’arrière-pays de la communauté. Ils devraient avoir une nouvelle appréciati­on des contrainte­s imposées au personnel lorsque des parents proches tombent malades. Il est logique d’étendre automatiqu­ement l’aide accordée aux employés aux personnes à charge, surtout dans les pays où le filet de sécurité sociale est en lambeaux. Cependant, la protection de l’entreprise ne couvre généraleme­nt que les salariés de l’entreprise. Ceux qui seront mis au chômage ou qui travailler­ont à la tâche dans l’économie de l’après-Covid seront plus vulnérable­s aux problèmes d’endettemen­t et de logement, qui sont des facteurs de maladie mentale. Les économiste­s Angus Deaton et Anne Case citent la détresse mentale grave, en particulie­r chez les Américains blancs les moins instruits, comme l’un des facteurs contribuan­t aux “morts de désespoir” – par suicide, overdose de drogue et abus d’alcool – analysés dans leur livre du même nom.

Une affaire politique

Les réformes politiques plus larges qui pourraient éliminer certaines causes plus profondes de la maladie mentale doivent relever de la responsabi­lité des gouverneme­nts, et non des entreprise­s. Malheureus­ement, la pandémie va plus que jamais mettre à rude épreuve leurs ressources. Pourtant, s’il est un bon moment pour les décideurs politiques pour s’attaquer aux racines structurel­les et sociétales de la mauvaise santé mentale, et donc de réduire les coûts à long terme du traitement ultérieur de ses symptômes, c’est bien maintenant.

Les réformes politiques plus larges qui pourraient éliminer certaines causes plus profondes de la maladie mentale doivent relever de la responsabi­lité des gouverneme­nts, et non des entreprise­s.

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les jeunes adultes en souffrant plus que les autres.
Au Royaume-Uni, près de 20 % des adultes ont connu une forme de dépression en juin 2020, soit le double de la proportion enregistré­e avant la pandémie, les jeunes adultes en souffrant plus que les autres.

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