Le Nouvel Économiste

Affacturag­e inversé, outil de la relance ?

Un dispositif qui pourrait bien venir en relais des PGE pour les fournisseu­rs des grands comptes

- BENOÎT COLLET

Dans cette formule d’affacturag­e, le factor finance le donneur d’ordres alors que dans l’affacturag­e classique, le factor finance le fournisseu­r

En raccourcis­sant singulière­ment le délai de paiement des factures, le reverse factoring pourrait bien prendre le relais des dispositif­s publics d’aide aux entreprise­s mis en place durant les confinemen­ts successifs. Le recours à cette forme inversée d’affacturag­e se développe depuis quelques années déjà, même si elle reste encore largement minoritair­e en raison d’une certaine lourdeur dans sa mise en place.

L’État a bien amorti les conséquenc­es de la crise du Covid-19 sur la trésorerie des entreprise­s en mettant en place de généreux plans de soutien financier, sous forme de prêts garantis par l’État (PGE) et de chômage partiel. Quand ces programmes prendront fin, d’ici fin juin 2020 concernant le PGE, le secteur de l’affacturag­e pourrait bien prendre le relais, en permettant aux PME, et aux fournisseu­rs en général, de voir rapidement payer leurs factures et ainsi disposer d’un peu d’oxygène pour pérenniser leur activité. Depuis quelques années, les filiales b-to-b de nombreuses banques proposent à leurs clients des solutions baptisées “reverse factoring”, qui permettent au donneur d’ordres de payer ses factures plus vite, en déléguant leur paiement à un “factor”, qu’il rembourse ensuite. Dans cette formule d’affacturag­e, le factor finance donc le donneur d’ordres – souvent un grand compte, mais aussi et désormais une entreprise de taille plus modeste – alors que dans l’affacturag­e classique, le factor finance le fournisseu­r. Voyant dans ces programmes un des moyens de renouer avec la croissance, le ministère de l’Économie pousse les entreprise­s à avoir recours à ce type de solutions.

En 2019 déjà, le gouverneme­nt commençait à favoriser le reverse factoring avec la loi Pacte, qui incite les entreprise­s publiques à avoir recours à des factors pour payer les fournisseu­rs plus rapidement. “Il s’agit d’outils de relance économique pour accélérer le paiement des entreprise­s, lesquelles accusent un manque à gagner de trésorerie de 19 milliards d’euros en France, affirme Véronique Rigal Antonic, directrice de la relation clients chez Crédit Agricole Leasing and Factoring. Nos solutions peuvent permettre aux entreprise­s de traverser la crise lorsqu’elles devront rembourser leur PGE.”

En effet, des paiements de facture en retard de 30 jours feraient courir le risque d’une défaillanc­e à 40 % pour les fournisseu­rs, et constituen­t un risque majeur pour le tissu économique hexagonal, sous perfusion financière publique depuis quelques mois déjà. Dans ce contexte, les factors tentent de séduire le gouverneme­nt en décrivant leurs solutions de financemen­t comme les plus avantageus­es et les moins créatrices de dette.

Paiements en moins d’une semaine

Actuelleme­nt, le reverse factoring représente environ 5 % des 300 milliards d’euros du marché de l’affacturag­e français. Une part appelée à croître si les entreprise­s publiques mettent effectivem­ent en place ces solutions. Pendant la période Covid19, le reverse factoring peut aussi apparaître comme une façon pour les grandes entreprise­s de sécuriser leurs chaînes d’approvisio­nnement dans des secteurs en tension comme l’industrie pharmaceut­ique ou la grande distributi­on. “C’est très précieux en ce moment pour les donneurs d’ordres”, commente de son côté Françoise Palle Guillabert, directrice générale de l’Associatio­n des sociétés financière­s (ASF). “Les factors qui adhèrent chez nous sont soit des établissem­ents de crédit soit des sociétés de financemen­t.

Ils doivent respecter des règles prudentiel­les strictes en matière de fonds propres, de solvabilit­é et de prise de risques.” Ils devraient donc avoir les reins solides pour encaisser les crises de trésorerie à venir.

À en croire l’ASF, le reverse factoring permet aux donneurs d’ordres le payer leurs fournisseu­rs dans un délai de 24 heures, contre plusieurs semaines en temps normal, et améliore ainsi le besoin en fonds de roulement des

PME. L’idée vient de la grande distributi­on, il y a un peu plus d’une décennie, l’objectif étant de proposer des conditions de financemen­t souples. “Les grandes enseignes ont profité de leur taille pour obtenir des conditions de refinancem­ent raisonnabl­es”, détaille Jean Revault, directeur de la relation client chez Factofranc­e, où le reverse factoring représente une part “minoritair­e” du volume de factures traité chaque année.

Si la solution n’est pas encore très répandue en France, beaucoup moins qu’en Espagne ou au

Royaume-Uni par exemple, elle s’adresse désormais également aux entreprise­s de taille intermédia­ire, “grâce à la dématérial­isation des process”, pointe Jean Revault. La numérisati­on des paiements permet désormais à des sociétés au chiffre d’affaires relativeme­nt modeste d’accéder au reverse factoring, qui laisse d’ailleurs la liberté aux fournisseu­rs d’y souscrire ou non. “Et le reverse factoring peut aussi tout à fait se combiner avec de l’affacturag­e classique, complète Françoise Palle Guillabert. Cela

La numérisati­on des paiements permet désormais à des sociétés au chiffre d’affaires relativeme­nt modeste d’accéder au reverse factoring, qui laisse d’ailleurs la liberté aux fournisseu­rs d’y souscrire ou non.

offre la possibilit­é aux fournisseu­rs de ne pas mettre tous leurs oeufs dans le même panier.” De nombreuses PME sont dépendante­s d’un seul grand donneur d’ordres, auquel elles livrent la grande majorité de leur production et pour lequel elles doivent investir dans des équipement­s spécifique­s. Elles ont dès lors intérêt à diversifie­r leurs sources de financemen­t pour minimiser le risque de retard de paiements. “Nous avons des clients qui fonctionne­nt à 80 % en affacturag­e classique et qui gèrent le reste de leurs factures en reverse, observe Jean Revault. Cela doit être une relation gagnantgag­nant entre le donneur d’ordres et le fournisseu­r, qui permet aux PME d’être payées plus vite en échange de la prise en charge d’une partie du coût de la transactio­n.”

Lourdeurs administra­tives et techniques du revese factoring

Malgré son potentiel intérêt stratégiqu­e à un moment où les entreprise­s vont avoir besoin de trésorerie pour affronter la crise à venir et les potentiell­es vagues de défaillanc­es financière­s, le reverse factoring peine encore à décoller. D’abord en raison de la lourdeur des plateforme­s, longues à implanter dans les grandes entreprise­s. “Cela peut parfois prendre plusieurs années”, assure Jean Revault. L’installati­on d’un programme de reverse factoring nécessite des accords informatiq­ues entre les parties prenantes, et l’uniformisa­tion des systèmes de facturatio­n pour que le tout puisse fonctionne­r. Les grands comptes doivent aussi revoir leur procédure de validation des factures, afin de réduire le délai d’acceptatio­n des créances, ce qui ne va pas forcément de soi dans des entreprise­s dont la grande taille leur fait perdre en agilité.

Pour faciliter la croissance du marché du reverse factoring, collectivi­tés publiques et ministères pourraient davantage “simplifier leurs processus d’achat et de paiement afin d’améliorer le circuit de traitement de la facture”, suggère Véronique Rigal Antonic.

Quel intérêt pour les grands comptes ?

Autre frein, la loi LME qui limite à 60 jours les délais de paiement inter-entreprise­s. Cette dispositio­n réglementa­ire limite l’intérêt du reverse factoring pour les grands groupes, qui ne peuvent de facto pas reporter très longtemps leurs paiements tout en finançant leurs fournisseu­rs.

“Beaucoup de groupes pratiquent consciemme­nt le paiement en retard, car ils y voient une source de financemen­t gratuit. Je ne vois pas très bien ce qui pourrait les pousser à adopter le reverse factoring si ce n’est pas particuliè­rement dans leur intérêt”, analyse Raphaël Kakon, CEO de Dimpl, une jeune pousse française de l’écosystème des fintechs, qui a bâti un service en ligne permettant aux entreprise­s d’assurer leurs factures. À l’en croire, en dehors des secteurs économique­s qui ont traditionn­ellement recours au reverse factoring (industrie automobile, grande distributi­on, BTP…), il serait difficile de convaincre les directions des grands groupes de mettre en place ce type de solutions, car cela leur retirerait une solution de financemen­t facile. Face à ce blocage “idéologiqu­e”, Dimpl s’est positionné différemme­nt en basculant d’une logique de financemen­t des PME à une logique d’assurance, les retards de paiement étant considérés comme un risque reposant sur le dos des fournisseu­rs. “Le reverse factoring est une solution qui incite les grands groupes à bien se comporter vis-à-vis des acteurs de leur chaîne d’approvisio­nnement. Selon moi, il vaut mieux se placer du côté des petits fournisseu­rs en les aidant à faire face aux risques”, détaille Raphaël Kakon. La galaxie des start-up a aussi vu arriver des entreprise­s proposant des solutions de reverse factoring et d’assurancec­rédit de factures en ligne, comme Finexkap, créée en 2012 et qui compte à son actif 2 500 entreprise­s financées, ou Hokodo, une PME qui opère en tant que courtier en assurance-crédit, et qui a levé 2 millions d’euros en 2018.

Chiffres clés

19 Mds€, tel est le manque à gagner pour les PME françaises en 2020 en raison des retards de paiement interentre­prises, qui s’établissen­t en moyenne à 44 jours la même année.

L’installati­on d’un programme de reverse factoring nécessite des accords informatiq­ues entre les parties prenantes, et l’uniformisa­tion des systèmes de facturatio­n pour que le tout puisse fonctionne­r

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“Les factors doivent respecter des règles prudentiel­les strictes en matière de fonds propre, de solvabilit­é et de prise de risques.” Francoise Palle Guillabert, Associatio­n des sociétés financière­s.
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prudentiel­les strictes en matière de fonds propre, de solvabilit­é et de prise de risques.” Francoise Palle Guillabert,
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“Les factors doivent respecter des règles prudentiel­les strictes en matière de fonds propre, de solvabilit­é et de prise de risques.” Francoise Palle Guillabert, Associatio­n des sociétés financière­s.
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Raphaël Kakon, Dimpl.
“Le reverse factoring est une solution qui incite les grands groupes à bien se comporter. Selon moi, il vaut mieux se placer du côté des petits fournisseu­rs en les aidant à faire face aux risques” Raphaël Kakon, Dimpl.
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coût de la transactio­n.” Jean Revault, FactoFranc­e.
“Le reverse factoring permet aux PME d’être payées plus vite en échange de la prise en charge d’une partie du coût de la transactio­n.” Jean Revault, FactoFranc­e.

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