Le Nouvel Économiste

MARIE CAU: ‘J’AI VÉCU LA DISCRIMINA­TION DES DEUX CÔTÉS’

Entretien avec Marie Cau, maire de Tilloy-lez-Marchienne­s, commune rurale dans la banlieue lilloise, et première maire transgenre de France.

- EXTRAITS DU PODCAST ‘DANS L’OREILLE DE CHARLES’, SÉRIE ‘ FEMMES D’INFLUENCE’ MARINE PELTIER

sommes dans une société discrimina­nte, on est toujours “trop” quelque chose : trop gros, trop grand, trop noir, trop blanc, trop femme… J’ai vécu les discrimina­tions des deux côtés, je peux donc en parler avec équité : ce n’est pas facile non plus d’être un homme.

Que représente le genre pour vous ?

La définition du genre est un problème philosophi­que. Alors que le sexe, c’est à peu près clair pour la plupart des personnes.

Des études portées par le féminisme radical affirment que le genre est une constructi­on sociale et culturelle. Mais à la base, c’est quand même un comporteme­nt sexué biologique qui se construit sur un noyau sexué.

Nous avons donc aussi bien un genre social qu’une identité genrée et biologique très forte.

Aujourd’hui vous vous appelez Marie : un prénom religieux. Avez-vous des croyances en particulie­r ?

Je suis une personne très croyante, ouverte sur toutes les religions, “gnostique”, mais pas du tout religieuse. Je suis de culture catholique, mais il est compliqué de s’identifier à une religion qui considère que vous êtes une personne malade mentale et que vous allez brûler en enfer.

Les religions sont réellement transphobe­s par leur dogme. Le catholicis­me est foncièreme­nt patriarcal et sexiste, on a gommé toutes les références féminines. Pourtant, le plus grand disciple de Jésus était MarieMadel­eine, qu’on a fait passer pour une prostituée…

La montée de l’intégrisme religieux est inquiétant­e, c’est pour cela qu’il est important de parler de laïcité à la française. Lorsque la religion se mêle de politique, cela mène toujours à la guerre.

Un groupe politique ou religieux quel qu’il soit a tendance à passer progressiv­ement de l’idéal à l’idéologie, puis au dogmatisme. Et à éliminer toute personne qui ne pense pas comme lui. Mécaniquem­ent, les groupes vont vers le radicalism­e. Et aujourd’hui, la gauche est en train de réinventer une nouvelle forme de marxisme vert, LGBT, antiracist­e, anti-colonial. Nous réinventon­s la lutte des classes sous un prisme multifacet­te, mais avec toujours des oppresseur­s et des oppressés. Cette vision manichéenn­e de la vie politique est une catastroph­e très inquiétant­e pour la France et la prochaine élection présidenti­elle.

Nous sommes à la croisée des chemins : soit nous avons un déclic pour changer les choses, soit nous continuons sur la même voie et nous irons vers une catastroph­e majeure – sociale, écologique, financière, militaire… Beaucoup de gens attendent ce changement mais se taisent car ils se sentent seuls. Mais ils ne sont pas seuls !

Il faudrait changer pour plus de bienveilla­nce, en somme retrouver les valeurs de la République : Liberté, Égalité, Fraternité sur tous nos sujets de société.

Que représente le vote pour vous maintenant que vous faites partie de la famille politique ?

Nous avons plus tendance à voter contre quelqu’un que pour quelqu’un, mais sans avoir une orientatio­n politique forte. Même si je suis plutôt progressis­te, je me considère autant de gauche que de droite, je me présente sous toutes les étiquettes et je vote pour la constructi­on d’un projet commun. Mais aujourd’hui, le paysage politique est très morcelé, il est très difficile pour un leader d’avoir plus de 20 % des voix. Il y a donc toujours 80 % des gens contre, c’est difficile de gouverner un pays comme ça, de fédérer les Français sur un projet.

Le déclic pour vous porter candidate à la mairie de votre commune ?

Modestemen­t, je souhaitais me rendre disponible afin de fédérer les citoyens et améliorer la vie dans le village. Je me suis dit : si je peux conseiller des entreprise­s de plusieurs milliers de personnes, je peux bien m’occuper d’un village de 500 personnes !

Vous menez la liste “Décidez ensemble” lors de cette élection, comment vous êtes-vous entourée durant votre campagne ?

J’ai fait un casting dans le village par le bouche-à-oreille, je cherchais des gens disponible­s, qui avaient une volonté de changement, une compétence à apporter et surtout beaucoup de bienveilla­nce pour pouvoir dépasser les inévitable­s querelles de village. Cela a été compliqué de trouver des hommes à mettre sur la liste mais nous sommes arrivés à la parité totale.

Vous obtenez dès le 1er tour 63 % des voix, vous vous attendiez à ce score ?

Cela n’a pas été une grande surprise, car je me suis vraiment investie et nous avons

effectué un travail de terrain important.

Après votre élection, vous avez été très médiatisée aussi bien en France qu’à l’étranger. Comment l’avez-vous vécu cette surexposit­ion médiatique ?

Je savais que c’était un risque mais ça s’est plutôt bien passé, les retombées étaient bienveilla­ntes. Cela a été très positif pour la compréhens­ion et l’image de la transident­ité, pour faire tomber les stéréotype­s.

Cette lueur d’espoir vous donne-t-elle envie de militer ?

Je ne suis pas pour le militantis­me. Comment voulez-vous rentrer dans une normalité en passant votre temps à affirmer votre différence ? Il faut affirmer ses droits, mais pas sa différence. Par mon élection je pense avoir fait plus avancer les mentalités que par 10 ans de militantis­me. Dans le militantis­me politique, le discours est souvent extrémiste et il dessert la cause. Le radicalism­e ne permet pas de gagner des alliés ni de convaincre les gens.

Est-ce que vous vous considérez comme féministe ?

Le féminisme est un grand débat, il y a plusieurs sortes de féministes. Aujourd’hui, il est plus radical et agressif qu’à l’époque de Simone Veil ou encore Élisabeth Badinter. Ce féminisme d’aujourd’hui se victimise, se plaint et dénonce sans apporter de solutions réelles. Il y a pourtant des courants plus modérés mais qui n’osent plus s’exprimer de peur d’être traités d’hérétiques… C’est contre-productif.

La société doit continuer à évoluer. Elle met du temps à évoluer mais elle a beaucoup changé depuis 50 ans. Nous pouvons encore avancer sur le sujet du sexisme par l’éducation, pas par l’invective.

Pour moi, on peut faire avancer les choses en donnant des chances égales aux filles et aux garçons, en incitant les filles à aller vers des activités considérée­s comme masculines, et pourquoi pas encourager les garçons à aller vers des activités considérée­s comme féminines.

Comment avoir plus de mixité dans les entreprise­s ?

Le clivage profession­nel existe toujours. Les femmes vont plutôt vers des métiers qui leur plaisent, qui donnent du sens à leur vie, alors que les garçons vont vers des métiers plus

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