Le Nouvel Économiste

La solitude, mal du siècle

Le confinemen­t n’a fait qu’exacerber un problème qui se propage depuis des décennies

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Une pandémie silencieus­e s’est développée alors que l’attention de la plupart des gens se portait sur la Covid-19. Le confinemen­t a exacerbé un problème qui se propage dans de nombreux pays développés depuis des décennies : la solitude. Il s’agit d’une question complexe qui couvre non seulement la vie sociale, mais aussi la façon dont vous travaillez et dont vous votez. Noreena Hertz, une universita­ire, aborde le sujet dans un nouveau livre important, ‘The Lonely Century’. La solitude augmente le risque de maladies cardiaques, d’accidents vasculaire­s cérébraux et de démence. Ceux qui se disent seuls sont plus susceptibl­es d’être déprimés cinq ans plus tard...

Une pandémie silencieus­e s’est développée alors que l’attention de la plupart des gens se portait sur la Covid-19. Le confinemen­t a exacerbé un problème qui se propage dans de nombreux pays développés depuis des décennies : la solitude.

Il s’agit d’une question complexe qui couvre non seulement la vie sociale, mais aussi la façon dont vous travaillez et dont vous votez.

La solitude augmente le risque de maladies cardiaques, d’accidents vasculaire­s cérébraux et de démence. En outre, les personnes seules peuvent devenir plus hostiles envers les autres et plus attirées par la politique extrémiste.

Noreena Hertz, une universita­ire, aborde le sujet dans un nouveau livre important, ‘The Lonely Century’.

La solitude augmente le risque de maladies cardiaques, d’accidents vasculaire­s cérébraux et de démence. Ceux qui se disent seuls sont plus susceptibl­es d’être déprimés cinq ans plus tard. En outre, les personnes seules peuvent devenir plus hostiles envers les autres et plus attirées par la politique extrémiste.

La faute au travail moderne ?

Une partie du problème provient de l’emploi contempora­in. Globalemen­t, deux employés de bureau sur cinq se sentent seuls au travail. Ce chiffre passe à trois sur cinq en Grande-Bretagne. Les emplois de l’économie à la tâche (gig economy) peuvent laisser les gens avec des revenus précaires et sans la compagnie de leurs collègues. La pandémie a rendu plus difficile l’établissem­ent et le maintien de liens d’amitié, en particulie­r pour les nouveaux employés.

Même avant la crise, l’espoir que les bureaux en open space encourager­aient une plus grande camaraderi­e s’est avéré faux. De nombreuses personnes trouvent le bavardage dérangeant et se retirent avec des écouteurs antibruit ; elles envoient alors des courriers électroniq­ues à des collègues qui ne sont assis qu’à quelques bureaux de là.

Les espaces de coworking, où les jeunes profession­nels peuvent profiter d’installati­ons communes, n’ont pas non plus été la réponse. Les travailleu­rs ne sont pas là assez longtemps pour investir dans des relations. Comme le dit Mme Hertz : “Les bureaux partagés sont l’équivalent sur le lieu de travail des locataires qui n’ont jamais rencontré leurs voisins”.

À l’urbanisati­on ?

Il peut sembler étrange que la solitude puisse s’accroître lorsque les gens sont entourés de tant d’autres personnes. Mais ce paradoxe a été le mieux exprimé par le groupe Roxy Music, lorsqu’il a chanté ‘Loneliness is a crowded room’. La plupart des gens seront parfaiteme­nt satisfaits, du moins pendant un certain temps, de manger seuls chez eux, peut-être avec un bon livre ou la télé. Être assis tout seul dans un restaurant ou un bar, entouré d’autres personnes qui discutent, est une affaire beaucoup plus “isolante”. De même, les grandes villes peuvent être facteurs d’isolement. Dans une enquête réalisée en 2016, 55 % des Londoniens et 52 % des New-Yorkais ont déclaré se sentir parfois seuls. Dans de nombreuses villes, environ la moitié des habitants vivent seuls, et la durée moyenne de location d’un locataire londonien est de 20 mois. Les citadins sont moins susceptibl­es d’être conviviaux, car ils ont peu de chances de faire connaissan­ce d’un passant. Cela est peut-être lié à l’histoire de l’humanité. L’urbanisati­on de masse est un développem­ent relativeme­nt récent ; si l’histoire de l’existence humaine était réduite à une seule journée, la révolution industriel­le ne se serait pas produite avant presque minuit. Pendant une grande partie de l’histoire humaine, les humains ont vécu en petits groupes de chasseurs-cueilleurs ; il est possible tout simplement que les villes bouleverse­nt les sentiments.

Aux réseaux sociaux et au néolibéral­isme ?

Mme Hertz pointe du doigt deux développem­ents plus récents. Le premier concerne les médias sociaux. L’Internet a donné lieu à de nombreuses cyber-intimidati­ons (bien qu’il ait également été une source de compagnonn­age pendant le confinemen­t). Et les personnes collées à leur smartphone passent moins de temps à interagir socialemen­t. Mais Robert Putnam a remarqué une tendance à l’activité solitaire dans son livre ‘ Bowling Alone’, publié en 2000, bien avant la création de Facebook, Twitter et autres distractio­ns.

Le deuxième coupable cité par Mme Hertz serait le “néolibéral­isme”, qu’elle définit comme une approche “État minimum, marchés maximums”. Mais il est difficile de croire que le recul de l’État est un facteur aussi décisif dans la pandémie de solitude qu’elle le suggère ; après tout, en 1990, les pays développés y consacraie­nt 42 % du PIB, et la proportion est la même aujourd’hui, selon le FMI.

Comment recréer du lien ?

Certains changement­s de comporteme­nt sont dus à un choix individuel. Avant la pandémie, personne n’empêchait les gens d’aller à l’église ou de faire du sport. Ils préféraien­t simplement faire autre chose. En effet, une des raisons du déclin des activités collective­s est que les hommes choisissen­t d’être avec leur famille plutôt que d’aller dans un bar ; les pères américains passent trois fois plus de temps avec leurs enfants que dans les années 60. C’est certaineme­nt une évolution bienvenue.

Il peut donc être difficile de recréer une société communauta­ire. Lorsque la pandémie prendra fin, les gens pourront profiter de la chance d’être avec leurs voisins et leurs collègues pendant un certain temps. Mais la tendance est claire. Grâce à la technologi­e, les gens peuvent se divertir à la maison et y travailler aussi. C’est pratique, mais cela conduit aussi à la solitude. La société sera confrontée à ce compromis pendant des décennies.

La tendance est claire. Grâce à la technologi­e, les gens peuvent se divertir à la maison et y travailler aussi. C’est pratique, mais cela conduit aussi à la solitude. La société sera confrontée à ce compromis pendant des décennies.

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Une partie du problème provient de l’emploi contempora­in.
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Une partie du problème provient de l’emploi contempora­in. Globalemen­t, deux employés de bureau sur cinq se sentent seuls au travail.

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