Le Nouvel Économiste

‘JE NE M’ÉTAIS PAS LANCÉE EN POLITIQUE POUR RECEVOIR DES COUPS’

Avocate et députée La République en marche, la présidente de la commission des lois à l’Assemblée nationale évoque son aventure politique

- EXTRAITS DU PODCAST ‘DANS L’OREILLE DE CHARLES’, SÉRIE ‘ FEMMES D’INFLUENCE’, INTERVIEW MENÉE PAR MARINE PELTIER

Jours heureux à Nancy

Née à Nancy, je ne suis pas restée longtemps dans cette ville, la famille déménagean­t au gré des mutations de mon père, cadre dans une entreprise publicitai­re. J’y garde néanmoins le souvenir heureux de mes visites dans la boutique de mes grands-parents, des tailleurs juifs d’origine polonaise, une boutique “porte ouverte” extrêmemen­t accueillan­te dans laquelle beaucoup de gens passaient. Une vraie ouverture sur le monde et sur la culture juive dont j’ai conservé une partie des traditions, notamment culinaires. Je suis reconnaiss­ante à la France d’avoir donné sa chance à deux immigrés venus avec pour seul bagage une valise et un visa

“touristiqu­e”, et fière de savoir que mon grand-père a été médaillé de la Résistance. C’est cela la France, une terre d’accueil et de tolérance faite de diversité et d’acceptatio­n des différence­s ! Plutôt que d’exclure, il faut chercher à inclure. Et cela dès l’école. La démarche équilibrée du projet de loi sur la défense des valeurs républicai­nes va dans ce sens. C’est la République qui nous unit et elle repose sur des principes et des valeurs sur lesquels il faut être intransige­ant.

Une vocation d’avocate

Très jeune, j’ai voulu être avocate. Il y avait dans la bibliothèq­ue familiale, interdit de lecture par mes parents car j’étais trop jeune, ‘Le Pull-over rouge’ de Gilles Perrault, avec sur sa couverture une très impression­nante guillotine. Une affaire fascinante et une enquête exemplaire qui m’ont donné sûrement le goût de la défense. J’étais un enfant un brin rebelle, un peu têtu, à qui il était difficile de faire changer d’avis. D’où sans doute mon choix d’opter pour le droit pénal. Par ailleurs, à la maison, mon frère et moi étions fortement poussés à faire des études pour conquérir notre autonomie, à l’instar de l’exemple de notre mère qui, sortant de la Ddass à 16 ans, a tout fait pour décrocher un diplôme de sténodacty­lo afin d’échapper à la condition de femme de ménage à laquelle on la prédestina­it. Cet esprit d’indépendan­ce cultivé dans la famille ne nous a jamais lâchés depuis. Alors que je débutais au cabinet d’Hervé Temime, avocat pénaliste réputé, à qui je dois beaucoup, je perds mon premier procès en tant qu’avocat commis d’office à propos d’une petite affaire d’infraction aux règles de séjour, à mon grand désespoir et au grand dam de mes idéaux. Fort de son expérience, Hervé Termine m’explique alors que la justice n’est pas toujours au rendez-vous des jugements. Une bonne leçon pour moi…

En route pour Taipeh et Tokyo

Avec l’arrivée de mon troisième enfant, concilier vie profession­nelle et vie familiale est devenu franchemen­t problémati­que. Les urgences judiciaire­s ne choisissen­t pas leur heure et quand des parents vous appellent à propos de la garde à vue de leur enfant il faut bien y aller, quitte à ce que ce soit au détriment des siens. Surtout que mon mari, qui vivait une carrière d’expatrié, n’était souvent pas là. Aussi, quitte à mettre un temps entre parenthèse­s ma propre carrière d’avocate, avons-nous décidé d’embarquer toute la famille dans l’aventure de l’expatriati­on. Et voilà comment toute la famille se retrouve à Taipeh, puis Tokyo. Une plongée dans des cultures complèteme­nt différente­s et des sensations inédites – secousses de deux tremblemen­ts de terre – qui bouscule et qui oblige à se remettre en cause.

À Tokyo j’ai rencontré des militants de la section du PS. Une expérience intéressan­te, quoi que les sujets politiques hexagonaux vus du Japon apparaissa­ient bien lointains. Une certitude : j’étais mûre pour un engagement politique. Et pour renouer avec les débats politiques autour de la table familiale de mon enfance.

De la start-up aux Restos du Coeur

Forte d’un master en droit des affaires et d’une expérience de juriste d’entreprise, je me décide à créer une start-up autour d’un concept original, puisque l’idée était de promouvoir une formule de chambres d’hôtes associant à l’hébergemen­t la transmissi­on d’un savoir-faire de quelque nature qu’il soit (artistique, culinaire, artisanal etc.). Mais je me suis plantée, non sans avoir insisté. Je n’étais sans doute pas faite pour être entreprene­ure. On peut être animé des meilleures intentions du monde, la difficulté, c’est la mise en oeuvre concrète et la production de résultats. Pour autant, je ne me laisse pas abattre et je rejoins l’associatio­n des Restos du Coeur avec cette envie de servir à quelque

chose d’utile. J’y donne des consultati­ons juridiques à ceux qui ont besoin de conseils. Aux Restos du Coeur, on ne juge pas, la valeur, c’est l’accueil. Et puis il y a aussi l’esprit Coluche de faire les choses sans faire la tête.

L’aventure de la législativ­e

La démarche d’Emmanuel Macron, qui consiste à prendre ce qu’il a de bon à gauche comme à droite, m’a immédiatem­ent séduite. Sa volonté aussi de réunir les bonnes volontés, comme je tentais moimême de le faire au centre des Restos du Coeur de Sartrouvil­le que je venais de créer. D’où mon envie de participer à cette aventure politique. Je dépose mon dossier pour être candidate dès l’ouverture du site, sans même en parler à mon mari, avec l’idée de sortir du “y’a qu’à faut qu’on” et de passer enfin à l’action en étant aux manettes. Et voilà comment je me retrouve à me présenter aux élections législativ­es sous l’étiquette LREM face à Jacques Myard qui en était à son sixième mandat, l’opposé exact de moi, “la débutante”. Et finalement… victorieus­e tant le souhait d’un renouvelle­ment des visages était fort.

On a reproché aux nouveaux députés LREM leur inexpérien­ce, un reproche pour le moins paradoxal puisque les électeurs avaient précisémen­t voté pour nous car nous étions des citoyens neufs incarnant le renouvelle­ment. Il est vrai qu’en débarquant à l’Assemblée, nous ne connaissio­ns pas les codes, les règlements et les rites. Je me suis d’ailleurs pris les pieds dans le tapis plusieurs fois. Mais grâce aux administra­teurs de l’Assemblée qui sont aux côtés des députés pour les guider, ces impairs ont été de plus en plus rares.

Premiers pas à l’Assemblée

J’ai ressenti beaucoup d’émotion lors de mes premiers pas à l’Assemblée. Pénétrer dans l’hémicycle, recevoir l’écharpe, remplie de fierté, c’est un honneur et une responsabi­lité extrêmemen­t lourde que l’on ressent immédiatem­ent, tant les lieux sont chargés d’histoire. Et puis quand la semaine suivante, j’ai été élue présidente de la commission des lois, alors ça a été une émotion à la puissance dix car c’est un poste à responsabi­lité colossale et pour moi un plongeon dans l’inconnu. Le président de cette commission conduit les débats en son sein autour de son ordre du jour et organise les missions d’informatio­ns et les groupes de travail. Très vite, je me suis cependant rendu compte que certains m’attendaien­t “au tournant”, doutant de ma capacité à exercer cette fonction. Des échos blessants sont même parus dans le ‘Canard Enchaîné’ à ce sujet : je n’avais même pas commencé à travailler, et sans que personne ne me connaisse vraiment, voilà que l’on m’attaquait. Je ne m’étais vraiment pas lancée dans la politique pour recevoir des coups. De plus, je ne connaissai­s pas encore la musique médiatique, aucun nom de journalist­e ne figurant dans mon agenda. Réunis en conseil de famille, mes enfants et mon mari m’ont convaincue de ne rien lâcher, ce qui n’a fait que renforcer ma volonté de remplir cette mission au mieux en essayant même de tendre à la perfection.

L’expérience de l’Assemblée nationale confinée

Au début du confinemen­t en mars dernier, l’Assemblée nationale, qui est habituelle­ment une ruche fonctionna­nt tout le temps y compris le week-end et la nuit, était déserte. Nous étions au maximum 50 personnes, administra­tifs et députés, comme assiégées, pour traiter les premiers textes de l’état d’urgence sanitaire. Nous l’avons fait avec beaucoup de gravité et de responsabi­lité, conscients qu’il nous appartenai­t de faire vivre la démocratie dans des circonstan­ces exceptionn­elles. Très vite, l’Assemblée a fonctionné normalemen­t, et l’examen des textes a pu reprendre de façon habituelle. Les textes d’urgence ont été adoptés, à la suite d’une commission mixte paritaire avec le Sénat, en seulement trois jours. Ce fut une très grande satisfacti­on tant il est vrai que le bon fonctionne­ment du Parlement, particuliè­rement dans ces périodes de crise, est la colonne vertébrale de notre démocratie.

Sexisme ordinaire à l’Assemblée…

Des remarques et des attitudes sexistes, j’en ai subies, mais assez rarement. Dans l’hémicycle, il m’est arrivé par exemple pendant une de mes interventi­ons d’entendre un “bruitage” qui se voulait désobligea­nt en provenance de certains rangs. De même, à la présidence de la commission des lois, je me suis vue reprocher de vouloir jouer à “la maîtresse d’école”. Mais croyez-moi, je ne laisse jamais sans réaction ce type de remarques. Le sexisme ne doit plus passer. C’est un combat de femmes, mais aussi celui de plus en plus d’hommes. Et c’est pour cela que je suis confiante : ensemble, nous allons le gagner.

Incontourn­able déjeuner de famille

Je suis pleinement heureuse dans ma vie publique, qui est une source d’épanouisse­ment personnel. En même temps, je reste très vigilante pour ne pas lui sacrifier ma vie de famille, ce qui suppose, étant très occupée, une bonne organisati­on. Je garde le contact avec mes enfants par des messages réguliers. Et nous organisons, au moins une fois, voire deux fois par semaine, un vrai déjeuner de famille. Cela me donne ainsi une occasion de faire réagir mes enfants à propos des sujets qui m’occupent à l’Assemblée, des sujets qui sont parfois graves comme le droit de mourir dans la dignité ou la procréatio­n médicaleme­nt assistée (PMA). Et je réalise combien la liberté leur tient à coeur et combien l’environnem­ent les préoccupe. Des échanges vraiment intéressan­ts.

Le Questionna­ire de Charles

La valeur que vous vous attachez à transmettr­e à vos enfants ?

Le sens du partage et de l’accueil.

Un homme ou une femme de l’opposition dont vous admirez l’intelligen­ce ?

Éric Ciotti.

Ce que vous voudriez améliorer chez vous ?

Être plus précaution­neuse et donc moins téméraire.

Le personnage historique avec qui vous voudriez avoir une conversati­on ?

Golda Meir.

La loi dont vous êtes la plus fière ?

La loi pour la confiance dans la vie politique.

Le “syndrome de l’imposteur” des femmes occupant des postes à responsabi­lité, vous connaissez ?

Non, jamais.

Pour ou contre l’écriture inclusive ?

Faux débat, je ne suis pas pour l’écriture inclusive du tout !

La chose qui vous faisait le plus peur petite ?

La peur de me faire gronder ! C’est bête mais comme je faisais plein de bêtises, ça guidait mes journées…

La propositio­n de loi dont vous rêvez mais que vous n’oserez jamais présenter ?

J’ai porté une propositio­n de loi qui s’est fait retoquer par le Conseil constituti­onnel et qui me tenait beaucoup à coeur. C’était une propositio­n de loi qui visait à renforcer le suivi des sortants de prison qui avaient été condamnés pour des faits de terrorisme. J’ai été extrêmemen­t déçue lorsqu’il y a eu la censure, je retravaill­e donc actuelleme­nt ma copie en toute humilité… Je regrette par ailleurs que l’on n’ait pas réussi à porter une réforme constituti­onnelle qui renoue le lien démocratiq­ue avec les citoyens. Je sens que la confiance est altérée et je suis convaincue que nous sommes capables de renouer ce lien, nous les élus. Il s’agit d’un enjeu qui est devant nous et que nous devons absolument relever.

Plutôt yoga ou gants de boxe ?

Gants de boxe

Votre programme idéal pour une journée “off” ?

Une ballade à la voile en mer

Une chanson pour vous motiver ?

‘Changer la vie’ de Jean-Jacques Goldman

La prochaine étape de votre vie ?

C’est l’inconnu que j’attends avec impatience.

On a reproché aux nouveaux députés LREM leur inexpérien­ce, un reproche pour le moins paradoxal puisque les électeurs avaient précisémen­t voté pour nous car nous étions des citoyens neufs incarnant le renouvelle­ment”

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“La France est une terre d’accueil et de tolérance faite de diversité et d’acceptatio­n des différence­s. Plutôt que d’exclure, il faut chercher à inclure.”
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c’est pour cela que je suis confiante : ensemble, nous allons le gagner.”
“Le sexisme ne doit plus passer. C’est un combat de femmes, mais aussi celui de plus en plus d’hommes. Et c’est pour cela que je suis confiante : ensemble, nous allons le gagner.”

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