Sécurité routière en entreprise
La route, première cause de décès au travail
Le chiffre est éloquent : 38 % des accidents de la route sont liés à un trajet en rapport avec le travail.
Pour de nombreuses entreprises, exercer leur activité passe obligatoirement par des rencontres physiques avec des clients ou donneurs d’ordres. Des déplacements en voiture en découlent qui peuvent engendrer des accidents. Le risque routier constitue la première cause de décès au travail. Un enjeu humain, mais aussi économique pour les entreprises.
Car ce type d’incident à des répercussions sur les coûts de la flotte de véhicules mais aussi sur la productivité. Pour limiter les risques au mieux, les managers prônent la pédagogie.
Le risque routier professionnel n’est pas à prendre à la légère. Il s’agit tout simplement de la première cause de décès au travail. “C’est un sujet dont nous nous sommes emparés depuis plusieurs années, nous essayons d’encourager les entreprises à réaliser des actions de prévention”, explique Marie Gautier-Melleray, déléguée interministérielle à la sécurité routière. Le chiffre est éloquent : 38 % des accidents de la route sont liés à un trajet en rapport avec le travail. Des incidents qui ont des particularités. “Ils concernent davantage les hommes que les femmes, et ils se déroulent plus souvent sur l’autoroute. Mais il est difficile d’expliquer cette surreprésentativité”, remarque celle-ci. Si les salariés ont un rôle essentiel à jouer puisqu’ils sont au volant, les entreprises ont également une responsabilité. “Elle est légale tout d’abord”, rappelle François Piot, président d’Arval Mobility Observatory. “L’employeur doit fournir des véhicules conformes, bien entretenus, s’occuper des révisions, etc. Tout ce qui permet de proposer un équipement fiable, en somme”, précise-t-il. Mais les obligations n’arrêtent pas là, selon François Piot. “Il y a également une responsabilité morale, cela se traduit par le choix des véhicules, comme les utilitaires qui offrent plus de sécurité, mais aussi par l’attitude de la hiérarchie qui ne doit pas appeler un employé lorsqu’il conduit”, souligne-t-il.
Identifier et former en amont
Au-delà de l’enjeu humain partagé par tous, les entreprises y ont aussi un intérêt financier. “L’assurance et le sinistre représentent 10 % du coût total de possession d’un véhicule, ou TCO [total cost of ownership, ndlr]”, chiffre Patrick Lacroix, président commission automobile de l’Association pour le management des risques et des assurances de l’entreprise (Amrae). “Pour un euro payé par l’entreprise à cause d’un accident, on rajoute deux euros d’externalités négatives. Il faut prendre en compte le coût de la restitution, l’arrêt de travail qui peut découler de l’accident, l’impact sur le taux de cotisation et la dégradation de l’image de marque de l’entreprise, même si ce point est plus difficile à quantifier”, embraie-t-il.
Un calcul que confirme Xavier Perret, directeur global care chez Engie. Le groupe industriel français s’appuie dans l’Hexagone sur 100 000 salariés avec une activité de service, qui se déplacent donc chez les clients. “Le coût indirect
est très important, cela peut être le traumatisme chez le salarié ou ses collègues, mais aussi des problèmes d’organisation car nous nous appuyons sur la disponibilité de nos équipes donc une absence est très pénalisante”, précise-t-il. On le voit, l’enjeu humain et financier est bien identifié par les autorités et les entreprises. Reste l’étape la plus compliquée : agir sur le comportement des conducteurs pour diminuer les accidents. Tous les acteurs que nous avons interrogés plébiscitent la pédagogie. Cela passe tout d’abord par une mentalité commune à faire partager au sein d’une société. “Il faut que le chef d’entreprise dise quelle est sa vision, qu’il en fasse un sujet majeur pour montrer l’exemple”, avance François Piot. Dans le groupe La Poste par exemple, où 60 000 véhicules parcourent plus de 900 millions de km par an, une lettre d’engagement a été signée par le comité de direction en 2016. “C’est un acte fort qui part du plus haut niveau afin d’instaurer une culture managériale”, défend Delphine Desroche, responsable pôle prévention de la branche services courrier colis. Sur le terrain, cela se traduit par des visites dans les établissements pour s’assurer de la bonne organisation du travail. La Poste s’appuie également sur des “préventeurs”. Il s’agit d’employés dont la fonction est de donner les règles de sécurité, notamment pour les nouveaux agents. Ces derniers bénéficient également d’une formation pour prendre en main leur moyen de déplacement. La Poste essaie également de faire adopter par ses employés des gestes dits d’écoconduite. En plus de correspondre à une conduite plus douce et donc moins propice à l’accident, elle réduit la consommation du véhicule. “Le conducteur agit sur 40 à 60 % du TCO”, affirme Patrick Lacroix.
Chez Engie aussi, un travail est effectué en amont. Au-delà des formations, Xavier Perret explique que l’industriel français “optimise les tournées, nous ne nous déplaçons que quand cela est nécessaire. Si c’est le cas, le travail doit être effectué dans la sérénité afin d’éviter les mauvaises urgences”. L’idée est d’éviter les situations de stress, qui majore le risque d’accident.
Les services de la télématique
Sur ce travail en amont, la technologie peut également jouer un rôle. “Le télématique est très utile”, note François Piot. Ce système permet de manière globale de gérer une flotte. “Il est possible de tracer le nombre de dos-d’âne et de virages pris en survitesse, ou de repérer des freinages brutaux”, détaille François Piot. “Il ne s’agit pas de fliquer les conducteurs, mais d’identifier immédiatement les personnes à risque”, justifietprécisant qu’“en matière de sécurité routière, la loi de Pareto s’applique : les 20 % de mauvais comportements représentent 80 % des coûts”. Pour Patrick Lacroix, ce type d’outil est utile mais “à condition d’être intégré dans un management général”.
La gestion des accidents passe également par celle des accrochages mineurs. “C’est aussi un indicateur, cela peut montrer que la conduite n’est pas apaisée”, poursuit François Piot. Pour ce type de situation, La Poste met en place ce que la société appelle une “résolution de problème”.
Le but est d’identifier les causes pour éventuellement proposer à nouveau une formation.
L’impact à venir des nouveaux mode de déplacement
Toutes ces démarches sont plus simples à mettre en oeuvre pour les entreprises de grande taille disposant de moyens humains dédiés. “Il faut s’adapter, la situation n’est pas la même pour les grands groupes. Mais les TPE font aussi des choses très intéressantes”, explique Marie Gautier-Melleray. Plutôt que de sanctionner ceux qui ne rentreraient pas dans les clous, la Sécurité routière préfère valoriser les bonnes actions. Elle organise par exemple, pour les petites entreprises, les trophées “les pros ont du talent”, avec une catégorie dédiée à la route. Le dernier primé est un menuisier d’Albi qui met en place des réunions de sensibilisation et demande à ses salariés qui viennent au travail à vélo de porter un gilet jaune et un casque fournis l’entreprise.
Le cas des trajets à vélo est loin d’être anecdotique car il pourrait devenir de plus en plus présent avec l’évolution des modes de déplacements. “C’est une tendance de fond qui demande aux entreprises d’adapter leur prévention et les équipements à donner”, confirme François Piot. Une nouvelle donne que la Sécurité routière regarde de près. Au-delà des deux-roues, les voitures électriques, plus nerveuses, se démocratisent aussi. “Ne serait-ce que la différence de bruit est très troublante, il faut être vigilant”, signale Xavier Perret. Là encore, la pédagogie reste la clef.
“En matière de sécurité routière, la loi de Pareto s’applique : les 20 % de mauvais comportements représentent 80 % des coûts”