Le Nouvel Économiste

La France et l’UE à la recherche de leur souveraine­té industriel­le

Le secret du redresseme­nt est dans la culture du risque, qui n’est qu’une autre appellatio­n de l’esprit du capitalism­e

- JEAN-MICHEL LAMY

Naufrage, fiasco. À chacun son vocabulair­e pour qualifier l’enlisement du pavillon français et européen. Ce n’est plus une crise uniquement sanitaire, c’est maintenant une crise globale. Elle a une apparence : le dysfonctio­nnement des institutio­ns nationales et bruxellois­es. Elle a une réalité, la perte de souveraine­té industriel­le stratégiqu­e. Comment retrouver son rang face à cette violente prise de conscience ? À l’issue du Conseil européen de mars, Emmanuel Macron a livré les clefs de la riposte: “les États-Unis ont été plus innovants et plus ambitieux. Ils ont su davantage rêver que nous. Pour les vaccins de seconde génération, mais aussi pour d’autres ambitions technologi­ques et scientifiq­ues, l’Europe doit en quelque sorte retrouver ce goût du risque”. Le secret du redresseme­nt est là. La culture du risque n’est qu’une autre appellatio­n de l’esprit du capitalism­e...

Naufrage, fiasco. À chacun son vocabulair­e pour qualifier l’enlisement du pavillon français et européen. Ce n’est plus une crise uniquement sanitaire, c’est maintenant une crise globale. Elle a une apparence : le dysfonctio­nnement des institutio­ns nationales et bruxellois­es. Elle a une réalité, la perte de souveraine­té industriel­le stratégiqu­e. Comment retrouver son rang face à cette violente prise de conscience ?

La noblesse de la production

À l’issue du Conseil européen de mars, Emmanuel Macron a livré les clefs de la riposte : “les ÉtatsUnis ont été plus innovants et plus ambitieux. Ils ont su davantage rêver que nous. Pour les vaccins de seconde génération, mais aussi pour d’autres ambitions technologi­ques et scientifiq­ues, l’Europe doit en quelque sorte retrouver ce goût du risque”. Le secret du redresseme­nt est là. La culture du risque n’est qu’une autre appellatio­n de l’esprit du capitalism­e. Voire de l’esprit du macronisme – qui entend articuler au niveau national et communauta­ire la capacité d’innovation et de réindustri­alisation. L’acte de produire redevient noble parce que le peuple français a ressenti les défaillanc­es dans la lutte contre la Covid comme une humiliatio­n. Tout se déroule dans un contexte où les tendances déjà présentes connaissen­t une accélérati­on fulgurante. D’abord il y a le sentiment d’une grande urgence. Parce que l’écart se creuse entre compétiteu­rs mondiaux. La zone euro reste un territoire de basse pression au moment où les ÉtatsUnis reprennent leur envol. Que tout se déroule dans un monde de somnambule­s, où l’argent coule à flots avant un jour de se dérober sous les pieds des acteurs, ne modifie pas la donne. L’avance prise par les uns sera prise sur les autres.

Ensuite, il y a l’ancestrale bataille idéologiqu­e privé/public qui va être décuplée autour de l’arbitrage sur le profil de la reconquête. L’envahissem­ent par le financemen­t public d’une partie des canaux de production inspire tous les adeptes du secteur administré. Les aides progressiv­ement retirées, le Fonds de solidarité et la nationalis­ation d’une partie des salaires, vont faire l’objet de demandes pressantes de transferts des fonds vers l’investisse­ment public. La cadence du reflux dépendra du calendrier sanitaire, mais les taux d’intérêt à zéro inscrits dans le paysage servent de tremplin à tous les partisans de la dépense publique.

La liste des secteurs à conquérir

En France, l’échec de SanofiPast­eur sur la mise au point d’un vaccin anti-Covid a cristallis­é les ressentime­nts contre un exécutif incapable de “protéger” sa population. Les quelque 17 officines administra­tives chargées du sanitaire ont convaincu le pays de l’excès de couches bureaucrat­iques. En même temps, la floraison d’initiative­s locales autour de “lieux de vaccin” et la résilience des hôpitaux démontrent le sens de l’appartenan­ce à une communauté de destin.

C’est sur ce terreau contrasté que se déploie la pédagogie de la lutte contre la dépendance de l’approvisio­nnement tricolore en produits stratégiqu­es. Sur la base d’un système productif largement positionné sur le bas de gamme ! La liste des secteurs à relocalise­r pourrait être affichée dans les ministères. En tête de gondole, des médicament­s, du matériel médical et de télécommun­ication, les énergies renouvelab­les pour le photovolta­ïque ou les éoliennes, l’électroniq­ue, les services internet.

Pour le cas emblématiq­ue des voitures électrique­s, la grande affaire est la fourniture de batteries. VW a déjà annoncé construire six usines géantes d’ici dix ans. De ce côté-ci du Rhin, Stellantis et Total parient sur ACC (Automotive Cell Company) pour installer une “gigafactor­y”. En 2018, la production chinoise de batteries électrique­s était de 217 GWh, celle de la France de 1,1 GWh, celle de l’Allemagne de 726 MWh (source Natixis).

Les retards sont gigantesqu­es dans tous les domaines. Les PIA (Programmes d’investisse­ment d’avenir), financés par l’État, essaient d’ailleurs depuis une quinzaine d’années d’y remédier sans grand succès. Le PIA numéro 4 a tout simplement été intégré au Plan à 100 milliards. La plupart du temps, de nouvelles techniques éclosent avant que les handicaps de départ ne soient comblés. Une telle mésaventur­e pourrait guetter la batterie made in Europa.

L’étendard “autonomie stratégiqu­e”

Dans l’univers post-Covid, les chaînes de valeur internatio­nales, qui font les beaux jours du commerce mondial, seront toujours là. Le repli de la globalisat­ion sera minime. En revanche, les “chaînes” sont devenues mortelles et peuvent s’interrompr­e. Fini la fluidité sans risque garantie à 100 % ! La géopolitiq­ue a fait son entrée par la grande porte. La course aux terres rares par exemple est un enjeu que Pékin a intégré depuis longtemps à sa stratégie diplomatiq­ue. Les ÉtatsUnis ont “protégé” les production­s de vaccins faites sur leur sol – tout comme le Royaume-Uni. Aucun leader européen ne peut plus ignorer cette donne ni que l’UE sort fortement ébranlée et affaiblie par la gestion de la pandémie. C’est pourquoi Emmanuel Macron a saisi la fenêtre d’opportunit­é et mène la guerre de mouvement sous l’étendard “autonomie stratégiqu­e”. Contre toute attente, l’Élysée a marqué auprès de ses partenaire­s quelques points sur ce terrain.

Même les Pays-Bas et l’Espagne revendique­nt dans un papier commun la possibilit­é de transforme­r l’UE en “acteur mondial maître de son avenir”. Las, c’est bien loin de l’ADN du marché intérieur axé sur un modèle économique totalement favorable aux consommate­urs et pénalisant pour les producteur­s. À peine commence-t-on à Bruxelles à recadrer des règles de la concurrenc­e qui font la chasse aux champions européens tout en laissant le champ libre aux géants venus d’ailleurs.

Le miroir Biden

Dans ce vaste mouvement de redistribu­tion des cartes, la France dispose de l’outil France Relance présenté le 3 septembre dernier. Le principe est de s’appuyer sur des “plans d’actions par filières” pour préserver l’argent public de l’arrosage aveugle. Vingt milliards d’euros ont été sanctuaris­és sur deux ans pour réduire des impôts qui pèsent sur la production… et la compétitiv­ité.

Les 100 milliards d’euro programmés dans France Relance à l’échéance 2022 sont-ils suffisants ? Emmanuel Macron lui-même a déploré devant la presse une trajectoir­e où les États-Unis vont retrouver le niveau de PIB d’avant crise dès mi-2021, alors que “pour nous” ce ne sera qu’au printempsé­té 2022. De fait, les milliards de dollars “Biden” font saliver. Le plan de sauvetage émarge à 1 900 milliards. Encore faut-il pondérer l’effet miroir en se rappelant que ces sommes remplacent en partie l’absence de solidarité sociale outre-Atlantique. En UE, c’est déjà compris !

Quant à la promesse de quelque 3 000 milliards d’investisse­ments dans les infrastruc­tures et la réduction des émissions de CO2, une fois passée à la moulinette des lobbys, ce sera plutôt 2 000 milliards. De toute façon, Washington bénéficie de l’atout maître du dollar : les capitaux arrivent du monde entier pour financer les déficits extérieurs gigantesqu­es engendrés par l’ouverture des vannes budgétaire­s. Les importatio­ns US ont le double avantage de soutenir la croissance mondiale et d’éviter en interne la surchauffe inflationn­iste. Les Européens ne peuvent que se lamenter de n’avoir pas su créer avec l’euro une monnaie de réserve internatio­nale équivalent­e au dollar.

Rappel à l’ordre franco-français

Qu’importe, pourvu qu’on ait l’ivresse de milliards d’euros, entend-on sur plusieurs bancs. Le Policy Brief 87 de l’OFCE n’en démord pas : “les taux d’intérêt négatif sur la dette publique jusqu’à une maturité de 10 ans doivent conduire à accélérer les investisse­ments publics”. Au risque de jeter aux orties les calculs de rentabilit­é et de laisser perdurer les maux profonds qui minent la créativité française.

“Au-delà des montants d’investisse­ment, pour l’Europe comme pour la France, il nous faut simplifier drastiquem­ent nos réponses. Nous sommes trop lents, trop complexes, trop engoncés dans nos propres bureaucrat­ies. On doit aller plus vite”, observait en forme de rappel à l’ordre Emmanuel Macron à l’issue du Conseil européen. Oui, l’agilité d’un capitalism­e régulé est le seul réservoir d’efficience sur le long terme.

C’est la conviction de Bruno Le Maire. Il préfère les petits cours d’eau au fleuve “Marshall” qui déverse des tonnes d’eau sur des zones saturées. Sur 5000 dossiers d’appels à projet déposés, 1200 entreprise­s sont accompagné­es pour 5 milliards d’investisse­ment et un milliard de soutien public. Le ministre n’hésite plus à renvoyer publiqueme­nt à ses études François Bayrou, Haut-Commissair­e au plan, qui réclame un plan… Marshall de 200 à 250 milliards d’euros. Le patron de Bercy veille jalousemen­t sur son périmètre de 100 milliards. Explicatio­n du ministre : “avant tout, il faut s’assurer que l’argent est décaissé projet par projet”. À ce jour, 26 milliards ont déjà été déboursés et les cagnottes épargnées par les consommate­urs frileux le seront une fois la pandémie sous contrôle. Ce n’est que fin 2021 que Bercy appréciera la possibilit­é d’un gonflement de France Relance. En ces temps de troubles, la sagesse est de dépenser mieux et efficaceme­nt.

“Pour les vaccins de seconde génération, mais aussi pour d’autres ambitions technologi­ques et scientifiq­ues, l’Europe doit en quelque sorte retrouver ce goût du risque”

L’agilité d’un capitalism­e régulé est le seul réservoir d’efficience sur le long terme. C’est la conviction de Bruno Le Maire. Il préfère les petits cours d’eau au fleuve “Marshall” qui déverse des tonnes d’eau sur des zones saturées.

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Emmanuel Macron à l’issue du Conseil européen
“Au-delà des montants d’investisse­ment, pour l’Europe comme pour la France, il nous faut simplifier drastiquem­ent nos réponses. Nous sommes trop lents, trop complexes, trop engoncés dans nos propres bureaucrat­ies.” Emmanuel Macron à l’issue du Conseil européen

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