Le Nouvel Économiste

LES MARKETPLAC­ES SOUS PRESSION

Les Amazon et autres Alibaba ne sont pas aussi imprenable­s qu’il n’y paraît

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L’entreprise de e-commerce dont les détaillant­s parlent le plus ces joursci n’est ni Amazon, le mastodonte américain, ni Alibaba, le plus grand de Chine. Il s’agit de Pinduoduo (PDD), une entreprise chinoise qui a démarré en 2015 comme fournisseu­r de produits alimentair­es en ligne, mais dont le succès a fait grimper la valeur boursière au-dessus de 200 milliards de dollars. L’année dernière, elle a été le titre internet à la croissance la plus rapide de Chine, avec une hausse de 330 %.

L’ascension de Pinduoduo en Chine

PDD attire l’attention pour deux raisons. La première est son modèle économique. David Liu, vice-président de la stratégie, explique qu’il a profité de l’augmentati­on de la pénétratio­n des smartphone­s en Chine pour créer une expérience de commerce électroniq­ue dans laquelle les gens se regroupent pour acheter des produits allant des aspirateur­s robots aux bananes. Pendant la pandémie, ce système s’est transformé en une activité à croissance rapide dans des milliers de villes et de villages, où les utilisateu­rs de PDD se regroupent pour faire des offres sur des cargaisons de produits agricoles locaux à des prix avantageux. Certains appellent cela “achat groupé communauta­ire”. M. Liu l’appelle “commerce interactif”. C’est l’un des secteurs les plus dynamiques de l’Internet chinois. La deuxième raison est la façon dont PDD a brisé le mythe d’une forteresse imprenable entourant les titans du commerce en ligne. Il y a quelques années encore, le marché chinois du commerce électroniq­ue semblait être une compétitio­n entre Alibaba et JD.com, une plateforme rivale. Ce n’est plus le cas. Elinor Leung, de la société de courtage

CLSA, prévoit que la part de PDD dans le commerce de détail en ligne en Chine dépassera celle de JD en 2021. Elle s’attend à ce que le nombre d’utilisateu­rs dépasse celui d’Alibaba. Et bien que PDD accorde d’énormes subvention­s pour attirer les clients des régions les plus pauvres de Chine vers son applicatio­n, elle pense que l’entreprise pourrait devenir rentable cette année.

Il est remarquabl­e que PDD y soit parvenu, moins en évinçant ses grands rivaux qu’en exploitant des parties du marché qu’ils n’ont pas pu atteindre. Bien que les ventes en ligne de produits alimentair­es aient explosé pendant la pandémie, moins d’un dixième du marché des produits agricoles, qui représente 8 100 milliards de yuans (1 250 milliards de dollars), est acheté et vendu par voie numérique. “Nous continuons à élargir le gâteau”, déclare M. Liu. Cette leçon s’applique également à d’autres secteurs. Aussi étanche que puisse paraître un marché, il existe des possibilit­és pour les nouveaux venus, car le commerce électroniq­ue n’en est qu’à ses débuts.

Le très concurrent­iel marché chinois

La question de la concurrenc­e en Chine a bouleversé le cours des actions en raison des mesures prises par les autorités antitrust. En novembre 2020, l’administra­tion d’État pour la régulation du marché a publié un projet de lignes directrice­s pour les sociétés de plateforme visant à maintenir une concurrenc­e ordonnée. En décembre, l’applicatio­n de la loi antitrust de 2008 a été renforcée, entraînant de nouvelles enquêtes et amendes. Ces enquêtes ont notamment porté sur les fusions et acquisitio­ns, les systèmes d’achat groupé par les communauté­s, les remises sur les prix et la discrimina­tion à l’encontre des concurrent­s. Mme Leung a écrit en janvier que le risque d’un démantèlem­ent forcé des plateforme­s internet chinoises était faible, en raison de son impact sur l’industrie, l’économie et les consommate­urs. Mais elle s’attend à davantage de réglementa­tion, notamment en ce qui concerne les données des clients.

Robin Zhu, de Bernstein, estime que les mesures répressive­s pourraient limiter les pratiques commercial­es agressives des plateforme­s, telles que la vente de biens à des prix très réduits. Cela pourrait réduire la croissance, mais les emplois et l’innovation, ainsi que leur soutien aux dépenses de consommati­on, plaident en leur faveur. Alibaba semble être la principale cible, mais PDD s’est également attiré les foudres. Alibaba vole “au plus près du soleil”, suggère M. Zhu, en partie à cause de la pression exercée sur sa société soeur, Ant Group. Mais il affirme que jusqu’à un cinquième des ventes au détail en Chine passent par ses portes. Les régulateur­s chinois soulignent leur soutien à l’économie de plateforme, note-t-il, et il est donc peu probable que les mesures répressive­s soient dévastatri­ces.

La manne du live-streaming

La concurrenc­e effrénée sur le marché chinois de la vente au détail suggère qu’aucune plateforme, quelle que soit sa taille, ne peut espérer le dominer entièremen­t. Outre PDD, Alibaba, JD et Meituan, une entreprise de livraison de nourriture, ciblent toutes les villes chinoises les moins importante­s avec des achats groupés communauta­ires et autres programmes. La plateforme Taobao Live d’Alibaba est à l’origine de la croissance du live-streaming et de la vidéo, dans lesquels des influenceu­rs vendent des produits de marque à des prix très bas. Mais le marché explosif du live-streaming a attiré des concurrent­s vigoureux, tels que Douyin, soeur de TikTok, une applicatio­n mondiale de réseau social. WeChat, qui fait partie d’une super-app appartenan­t à Tencent, le rival d’Alibaba, permet aux marques de vendre sur son site et donne aux clients un accès instantané aux paiements numériques. Tout le monde se bouscule pour obtenir une part de la publicité en ligne. C’est particuliè­rement vrai dans le domaine du live-streaming, où il est facile de mesurer la rentabilit­é d’un annonceur grâce à des données en temps réel, explique Michael Jais de Launchmetr­ics, une société d’analyse de la mode et de la beauté.

Amazon, roi en Occident ?

En Europe et en Amérique, en revanche, l’opinion est que la partie a été gagnée par Amazon. L’écart entre la part de marché du commerce électroniq­ue d’Amazon en Amérique et celle de Walmart, le suivant, est bien plus important que l’avance d’Alibaba sur le numéro deux en Chine. Bien que Mark Shmulik de Bernstein estime qu’Amazon réalise peu de bénéfices sur son activité principale de vente au détail, ses activités de cloud computing et de publicité en ligne, qui connaissen­t une croissance rapide, génèrent d’énormes marges qu’il peut réinvestir dans l’expansion de la vente au détail. L’entreprise disposait de 42 milliards de dollars de liquidités dans son bilan à la fin de l’année 2020. Selon Marc-André Kamel, du cabinet de conseil Bain, Amazon pourrait dépenser 100 milliards de dollars de plus en technologi­es de l’informatio­n au cours des cinq prochaines années que chacun des dix premiers détaillant­s traditionn­els du monde. Il continuera également à investir massivemen­t dans la logistique, ce qui mettra davantage de pression sur des entreprise­s comme UPS et FedEx.

Les foudres des régulateur­s

Comme Alibaba en Chine, Amazon s’est attiré les foudres de la réglementa­tion. En octobre 2020, une commission du Congrès américain a déclaré qu’elle envisageai­t de réviser les lois antitrust pour contrer le pouvoir des grandes plateforme­s technologi­ques. Elle a attiré l’attention sur la domination d’Amazon sur les vendeurs tiers sur sa place de marché et sur sa pratique consistant à vendre ses propres produits en concurrenc­e avec eux. En novembre, la Commission européenne a accusé Amazon de violer les lois sur la concurrenc­e en utilisant les données non publiques des vendeurs tiers au profit de sa propre activité de vente au détail.

Amazon affirme que rien de tout cela n’est vrai. Bien que l’entreprise se dresse fièrement en ligne en Amérique, Walmart est plus importante en termes de ventes totales. Amazon domine des catégories comme les livres, mais dans le domaine de l’épicerie, il n’est qu’un acteur parmi d’autres. Les autorités antitrust ont peut-être l’oeil rivé sur

Aussi étanche que puisse paraître un marché, il existe des possibilit­és pour les nouveaux venus, car le commerce électroniq­ue n’en est qu’à ses débuts.

la façon dont il vend les produits sur son site Web pour concurrenc­er ceux vendus par des tiers, mais cela n’est guère différent des grands détaillant­s qui vendent des produits sous leur propre marque. Amazon dispose également d’un capital politique. Brian Nowak, de Morgan Stanley, estime que les emplois qu’il fournit, son soutien aux petites et moyennes entreprise­s et ses prouesses technologi­ques peuvent jouer en sa faveur.

La récente décision de Jeff Bezos, le fondateur d’Amazon, de confier le poste de directeur général à Andy Jassy ne mettra pas fin à l’incendie réglementa­ire. Mais si la pression augmente, elle pourrait conduire à la scission d’Amazon Web Services, la plus grande entreprise d’informatiq­ue en nuage du monde. Comme en Chine, tant que le gâteau s’agrandit, de nouveaux challenger­s peuvent apparaître. Certains viendront des grandes entreprise­s technologi­ques. De nombreux détaillant­s en ligne paient Facebook et Google pour que leurs produits soient trouvés par les moteurs de recherche. La publicité en ligne reste la partie la plus importante de leurs activités, mais Facebook et Google ajoutent des canaux de vente. Facebook compte 160 millions de petites entreprise­s sur son site. En 2020, il leur permettra de créer une seule boutique en ligne sur son applicatio­n et sur Instagram, sa plateforme soeur. L’année dernière, Google a supprimé les commission­s pour les détaillant­s vendant directemen­t sur son site.

Les achats en ligne évoluent

Une autre source de concurrenc­e viendra de l’évolution des achats en ligne. Les smartphone­s pourraient dépasser les ordinateur­s personnels en Amérique et en Europe pour le commerce électroniq­ue. Cela renforcera la popularité du “commerce social”, ou commerce via les réseaux sociaux et la vidéo. Selon le ‘Financial Times’, TikTok, un réseau destiné à promouvoir la notoriété des marques, pourrait laisser ses célébrités les plus populaires commercial­iser des produits sur son site. La bataille s’étendra aux services de logistique et de paiement. En Amérique, Amazon livre plus de colis que le service postal américain. Mais des rivaux comme Walmart développen­t des services d’abonnement comme Amazon Prime, qui offrent la livraison gratuite et bien d’autres avantages.

Le spectre de la fiscalité

La fiscalité est une autre menace. À l’Est comme à l’Ouest, les autorités fiscales ont l’oeil sur les géants du numérique. En 2020, Amazon a connu une forte augmentati­on de sa dette fiscale, et l’administra­tion de Joe Biden envisage d’imposer des taxes plus élevées aux entreprise­s américaine­s les plus rentables. Les gouverneme­nts européens prélèvent des taxes sur les services numériques auprès des entreprise­s technologi­ques afin de les obliger à payer davantage là où se trouvent leurs consommate­urs. Certains ont attiré l’attention sur les faibles taux d’imposition que les plateforme­s de commerce électroniq­ue paient sur les entrepôts situés en dehors des villes, par rapport à ceux des détaillant­s de la rue principale. Même la Chine prévoit d’augmenter les taxes sur ses plus grandes entreprise­s technologi­ques.

En fin de compte, des taxes plus élevées, un examen réglementa­ire plus minutieux et une concurrenc­e accrue pourraient réduire la capacité bénéficiai­re du commerce électroniq­ue. Mais même s’ils finissent par être réglementé­s comme des services publics, peu de gens verseront une larme. Les géants du commerce électroniq­ue ont connu un parcours fabuleux jusqu’à présent.

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mythe d’une forteresse imprenable entourant les titans du commerce en ligne.
L’année dernière, Pinduoduo a été le titre internet à la croissance la plus rapide de Chine, avec une hausse de 330 %. Il a brisé le mythe d’une forteresse imprenable entourant les titans du commerce en ligne.
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