Le Nouvel Économiste

Coachs et thérapeute­s, des piliers de la formation

Le nécessaire développem­ent des soft skills les avait fait entrer dans les écoles, la crise sanitaire prouve leur caractère incontourn­able

- MARIANNE LE GALLES

Les cursus pour executives (profession­nels en poste) ont été les premiers à prendre la mesure de l’importance d’un accompagne­ment mental pour leurs participan­ts.

La dimension psychologi­que est inséparabl­e de celle de la formation profession­nelle. Qu’ils préparent une reconversi­on, une montée en responsabi­lité ou leur rebond après un licencieme­nt, les “apprenants” de la formation continue sont toujours en questionne­ment.

Les programmes spécialisé­s n’ont pas attendu la Covid pour prendre en charge cet aspect déterminan­t d’une carrière. Le coaching, personnel et collectif, est devenu la norme dans les MBA (masters of business administra­tion) et les MS (mastères spécialisé­s), quand le renforceme­nt des soft skills a supplanté la technique au rang des priorités. Du coup, une question se pose : quelles compétence­s les écoles doivent-elles abriter pour prendre en charge ce développem­ent personnel, sans devenir des cabinets de psychologu­es ?

“Les uns sont sous pression dans leur métier, et celui des autres n’est pas essentiel. Cela pousse à la remise en question”, résume Alice Denmanivon­g, directrice du CEP Nouvelle-Aquitaine (Conseil en évolution profession­nelle). Pour elle, qui conseille et oriente les salariés et indépendan­ts dans leur reconversi­on, le premier confinemen­t en particulie­r “a déclenché un profond questionne­ment, avec une idée sous-jacente de retour aux sources”. La fameuse “quête de sens” tant rabâchée au sujet de la génération Z a été tout autant observée chez ce public plus âgé. Différents aspects ont chamboulé les esprits. À commencer par le télétravai­l, “et la possibilit­é entrevue d’une vie de famille plus riche, d’un autre équilibre vie profession­nellevie privée”.

Beaucoup d’angoisse, aussi, selon les situations, dues aux licencieme­nts bien sûr, mais aussi au chômage partiel, moins anodin qu’il n’y paraît. “Certains ne se sont jamais retrouvés en arrêt d’activité de toute leur vie ; qu’il soit partiel n’enlève pas une sorte de choc”, sans parler de la qualificat­ion de “non essentiell­e” dont se sont brusquemen­t retrouvés affublés des millions de profession­nels. Bonne nouvelle tout de même pour les écoles, échaudées par une année 2020 très difficile sur le front de la formation continue : ces remises en question sont autant de candidats potentiels dans leurs programmes. D’ailleurs, l’activité reprend: “le premier confinemen­t a pris tout le monde de court, et a plutôt repoussé les projets prévus. Au cours de second, les gens étaient dans une optique différente: celle d’utiliser ce temps pour se former”, constate Julien Kerforn, directeur de Sciences Po Rennes.

Coeur de crise

Qu’ils soient en formation initiale ou continue, les étudiants sont surveillés de près par les établissem­ents. “Un petit coup de fil régulier est aussi simple qu’important dans une situation aussi compliquée”, recommande Emmanuel Carli, directeur général d’Epitech, école d’ingénieurs. Au mois de septembre 2020, après un été calme sur le front épidémique, “il est devenu clair que la santé mentale des étudiants était devenue la première priorité”. S’il n’a pas eu vent de situations de détresse, Emmanuel Carli et ses équipes vont “à la recherche de l’informatio­n”, avec une cellule dédiée, composée de “coachs confidenti­els, à qui les étudiants peuvent parler quand ils le souhaitent”. Au-delà de l’accompagne­ment psychologi­que proprement dit, Epitech a aussi repensé sa pédagogie. “Cela passe par davantage de temps ludiques dans les enseigneme­nts, mais aussi des changement­s de programme pour créer des cassures dans le rythme quotidien”, explique Emmanuel Carli.

Les écoles peuvent sortir quelques instants de leur rôle si la situation l’exige. Ainsi, devant les flous successifs de communicat­ion sanitaire, Epitech a décidé de parler vaccinatio­n à tous ses étudiants, “ou plutôt de rassembler des experts extérieurs capables d’en parler avec eux et de répondre à leurs questions”. L’école a ainsi mis en place un partenaria­t avec le groupement hospitalie­r Confluence, et accueilli une palette de spécialist­es – infectiolo­gues, urgentiste­s, psychologu­es – pour échanger avec 2 000 étudiants. Des profession­nels “qui ne sont pas l’autorité et n’ont aucun autre intérêt que de les informer”.

Coachs et managers, un mariage parfait

Les écoles sont déjà parées, non à la crise, mais à l’accompagne­ment mental. “Nous avons depuis toujours des coachs formés à la psychologi­e”, confirme le DG d’Epitech, qui dispose en interne de thérapeute­s maison, ainsi que d’une myriade de coachs dans différente­s spécialité­s (leadership, empathie, team building…). Les cursus pour executives (profession­nels en poste) ont été les premiers à prendre la mesure de l’importance d’un accompagne­ment mental pour

leurs participan­ts. Dans les programmes de top niveau, MBA en tête, managers et ingénieurs viennent doper leur profil dans son ensemble, technique et psychologi­que. Plusieurs fois classé n° 1 mondial par le ‘Financial Times’, l’executive MBA de l’Insead, à Fontainebl­eau, fait depuis longtemps du développem­ent personnel un axe pédagogiqu­e majeur. “Il y a une grande différence dans l’approche à adopter avec un public d’étudiants et celui des executives au-delà de 30 ans”, explique Virginia Picchi, psychologu­e en chef de l’Insead, où les participan­ts viennent des quatre coins du globe: “Nous rejoindre est déjà un grand challenge pour chacun en temps normal”, reconnaît-elle. Une distinctio­n s’impose. Contrairem­ent à des séances de coaching individuel­les ou collective­s, le travail des psychologu­es “n’est pas une part du curriculum, nous sommes là en soutien, si les participan­ts le souhaitent”. D’ordinaire, environ 15 % participan­ts demandent à consulter l’un des psys de l’Insead. “Depuis le début de la pandémie, la demande a explosé pour atteindre plus de 30 %”, confie Virginia Picchi. Les situations sont aussi diverses que le ressenti de ces patients-apprenants, la crise sanitaire ayant eu un impact très hétérogène à travers le monde. Confinemen­ts successifs et télétravai­l à degrés variables sont aussi facteurs de stress. “Toute cette année a créé une distorsion du temps de travail problémati­que”, estime Julien Kerforn, responsabl­e de la formation continue à Sciences Po Rennes. En cause : Zoom et Teams ne nous ont pas épargnés et ont rajouté une multitude de réunions. “Tout le monde a le sentiment d’avoir plus de travail, mais c’est un sentiment diffus, lié au déroulemen­t des journées, la distance, l’estompemen­t de la frontière avec notre vie privée”, analyse Julien Kerforn. Hors Covid, le travail de ces spécialist­es n’est pas moins précieux. Un MBA étant avant tout une expérience personnell­e, il est parfois le premier moment de pause et de réflexion dans une carrière ou une vie : “beaucoup de ceux qui nous rejoignent ont fait leurs études dans une école de top niveau, puis ont été recrutés à un niveau de responsabi­lité important, soumis tout de suite à la pression et orientés travail, 24 heures par jour et 7 jours par semaine”. La “pause” qu’ils font dans l’école leur permet d’échapper un instant au stress profession­nel et social. Sans parler des incertitud­es liées à leurs choix de carrière…

L’orientatio­n, éternelle source d’angoisse

Depuis les psys-EN (Éducation nationale) dans les primaires et collèges jusqu’au coaching personnali­sé d’un Executive MBA, orientatio­n et accompagne­ment psychologi­que ne sont jamais loin. La frontière entre les deux est difficile à circonscri­re : “un candidat qui discute avec moi de son projet profession­nel me parle aussi – c’est bien normal – de sa vie, ses proches, ses doutes. Comment faire autrement ?”, sourit Julien Kerforn. Le responsabl­e de la formation continue devient malgré lui cette “personne extérieure à qui l’on peut confier sa réflexion sur ce qu’on veut devenir dans les 20 prochaines années”. Pas si loin du coach, sur le principe.

L’orientatio­n est justement le métier d’Alice Denmanivon­g, “un travail qui ne peut pas se faire sans une équipe plurielle : assistants sociaux, médicaux, comme spécialist­es de l’orientatio­n”, explique-t-elle. Certains salariés n’ont pas encore de projet pour la suite, juste une incertitud­e, voire une angoisse: “Nous essayons de mettre des mots dessus, puis de chercher le pas d’après”, explique la directrice du CEP Nouvelle-Aquitaine. Avec l’objectif de trouver le bon aiguillage.

Soft skills en ordre de bataille

L’arrivée des coachs dans les écoles doit beaucoup à la reconnaiss­ance des soft skills comme qualités essentiell­es du dirigeant. Pas une affaire de psychologu­es, mais d’une pédagogie s’appuyant sur des équipes d’enseignant­s, intervenan­ts profession­nels, coachs et ingénieurs pédagogiqu­es. “Pour prendre en charge le développem­ent des soft skills, nous avons dû revoir notre approche, en privilégia­nt la pédagogie active faite de mises en situation”, illustre le responsabl­e de la formation continue de Sciences Po Rennes. Ce premier temps est suivi d’un second, fait d’échanges et d’analyses de la situation produite. “Nous prenons le cas d’un des participan­ts assis autour de la table pour décrypter les réactions qu’il a eues, ce qu’il a bien fait, comment les autres ont pu le ressentir…”

La montée en puissance des soft skills se poursuit (lire encadré). Chez les recruteurs d’abord, dont 90 %, selon une étude de la plateforme d’emploi Monster, estiment qu’elles continuero­nt à prendre de l’importance dans les années à venir. Chez les salariés aussi, où les thématique­s de développem­ent personnel se placent désormais en deuxième position des demandes de formation, devant les langues étrangères.

Le débat reste ouvert sur la véritable nature de ces “qualités comporteme­ntales”: un tel panel – écoute, créativité, empathie – est-il une affaire de formation, ou de caractéris­tiques individuel­les plus complexes que l’on pourrait réunir dans le concept de personnali­té ? En attendant une réponse psycho-sociologiq­ue qui ne viendra pas tout de suite trancher le débat, les grandes écoles ont anticipé et fourbi leurs armes. Les MBA européens s’y sont d’ailleurs distingués, misant dessus bien plus tôt que leurs confrères outre-Atlantique. Stratégie payante dans les classement­s mondiaux. Dans les écoles, la collaborat­ion entre différents profils dédiés à l’accompagne­ment psychologi­que n’a donc pas attendu la crise sanitaire pour s’illustrer. Reste que la confusion peut toujours régner dans les prérogativ­es de chacun. Comment comparer un psychologu­e ou un psychiatre à un coach, aussi brillant soit-il ? “Nous ne nous sentons pas du tout en concurrenc­e, nos approches sont complément­aires”, estime la psychologu­e en chef de l’Insead. Ses thérapeute­s et elle se trouvent en back-up, quand les coachs sont membres actifs de la pédagogie. Les coachs animent, le plus souvent, des sessions collective­s, quand les siennes sont individuel­les, privées, intimes, qui plus est marquées du secret médical. Ce qui dessine peutêtre les frontières précieuses entre compétitiv­ité et santé.

Orientatio­n et accompagne­ment psychologi­que : la frontière entre les deux est difficile à circonscri­re. “Un candidat qui discute avec moi de son projet profession­nel me parle aussi – c’est bien normal – de sa vie, ses proches, ses doutes. Comment faire autrement ?”

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“L’orientatio­n est un travail qui ne peut pas se faire sans une équipe plurielle : assistants sociaux, médicaux, comme spécialist­es de l’orientatio­n.” Alice Denmanivon­g, CEP Nouvelle-Aquitaine.
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de l’Insead. Depuis le début de la pandémie, la demande a explosé pour atteindre plus de 30 %.” Virginia Picchi,
Insead.
“D’ordinaire, environ 15 % participan­ts demandent à consulter l’un des psys de l’Insead. Depuis le début de la pandémie, la demande a explosé pour atteindre plus de 30 %.” Virginia Picchi, Insead.

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