Coachs et thérapeutes, des piliers de la formation
Le nécessaire développement des soft skills les avait fait entrer dans les écoles, la crise sanitaire prouve leur caractère incontournable
Les cursus pour executives (professionnels en poste) ont été les premiers à prendre la mesure de l’importance d’un accompagnement mental pour leurs participants.
La dimension psychologique est inséparable de celle de la formation professionnelle. Qu’ils préparent une reconversion, une montée en responsabilité ou leur rebond après un licenciement, les “apprenants” de la formation continue sont toujours en questionnement.
Les programmes spécialisés n’ont pas attendu la Covid pour prendre en charge cet aspect déterminant d’une carrière. Le coaching, personnel et collectif, est devenu la norme dans les MBA (masters of business administration) et les MS (mastères spécialisés), quand le renforcement des soft skills a supplanté la technique au rang des priorités. Du coup, une question se pose : quelles compétences les écoles doivent-elles abriter pour prendre en charge ce développement personnel, sans devenir des cabinets de psychologues ?
“Les uns sont sous pression dans leur métier, et celui des autres n’est pas essentiel. Cela pousse à la remise en question”, résume Alice Denmanivong, directrice du CEP Nouvelle-Aquitaine (Conseil en évolution professionnelle). Pour elle, qui conseille et oriente les salariés et indépendants dans leur reconversion, le premier confinement en particulier “a déclenché un profond questionnement, avec une idée sous-jacente de retour aux sources”. La fameuse “quête de sens” tant rabâchée au sujet de la génération Z a été tout autant observée chez ce public plus âgé. Différents aspects ont chamboulé les esprits. À commencer par le télétravail, “et la possibilité entrevue d’une vie de famille plus riche, d’un autre équilibre vie professionnellevie privée”.
Beaucoup d’angoisse, aussi, selon les situations, dues aux licenciements bien sûr, mais aussi au chômage partiel, moins anodin qu’il n’y paraît. “Certains ne se sont jamais retrouvés en arrêt d’activité de toute leur vie ; qu’il soit partiel n’enlève pas une sorte de choc”, sans parler de la qualification de “non essentielle” dont se sont brusquement retrouvés affublés des millions de professionnels. Bonne nouvelle tout de même pour les écoles, échaudées par une année 2020 très difficile sur le front de la formation continue : ces remises en question sont autant de candidats potentiels dans leurs programmes. D’ailleurs, l’activité reprend: “le premier confinement a pris tout le monde de court, et a plutôt repoussé les projets prévus. Au cours de second, les gens étaient dans une optique différente: celle d’utiliser ce temps pour se former”, constate Julien Kerforn, directeur de Sciences Po Rennes.
Coeur de crise
Qu’ils soient en formation initiale ou continue, les étudiants sont surveillés de près par les établissements. “Un petit coup de fil régulier est aussi simple qu’important dans une situation aussi compliquée”, recommande Emmanuel Carli, directeur général d’Epitech, école d’ingénieurs. Au mois de septembre 2020, après un été calme sur le front épidémique, “il est devenu clair que la santé mentale des étudiants était devenue la première priorité”. S’il n’a pas eu vent de situations de détresse, Emmanuel Carli et ses équipes vont “à la recherche de l’information”, avec une cellule dédiée, composée de “coachs confidentiels, à qui les étudiants peuvent parler quand ils le souhaitent”. Au-delà de l’accompagnement psychologique proprement dit, Epitech a aussi repensé sa pédagogie. “Cela passe par davantage de temps ludiques dans les enseignements, mais aussi des changements de programme pour créer des cassures dans le rythme quotidien”, explique Emmanuel Carli.
Les écoles peuvent sortir quelques instants de leur rôle si la situation l’exige. Ainsi, devant les flous successifs de communication sanitaire, Epitech a décidé de parler vaccination à tous ses étudiants, “ou plutôt de rassembler des experts extérieurs capables d’en parler avec eux et de répondre à leurs questions”. L’école a ainsi mis en place un partenariat avec le groupement hospitalier Confluence, et accueilli une palette de spécialistes – infectiologues, urgentistes, psychologues – pour échanger avec 2 000 étudiants. Des professionnels “qui ne sont pas l’autorité et n’ont aucun autre intérêt que de les informer”.
Coachs et managers, un mariage parfait
Les écoles sont déjà parées, non à la crise, mais à l’accompagnement mental. “Nous avons depuis toujours des coachs formés à la psychologie”, confirme le DG d’Epitech, qui dispose en interne de thérapeutes maison, ainsi que d’une myriade de coachs dans différentes spécialités (leadership, empathie, team building…). Les cursus pour executives (professionnels en poste) ont été les premiers à prendre la mesure de l’importance d’un accompagnement mental pour
leurs participants. Dans les programmes de top niveau, MBA en tête, managers et ingénieurs viennent doper leur profil dans son ensemble, technique et psychologique. Plusieurs fois classé n° 1 mondial par le ‘Financial Times’, l’executive MBA de l’Insead, à Fontainebleau, fait depuis longtemps du développement personnel un axe pédagogique majeur. “Il y a une grande différence dans l’approche à adopter avec un public d’étudiants et celui des executives au-delà de 30 ans”, explique Virginia Picchi, psychologue en chef de l’Insead, où les participants viennent des quatre coins du globe: “Nous rejoindre est déjà un grand challenge pour chacun en temps normal”, reconnaît-elle. Une distinction s’impose. Contrairement à des séances de coaching individuelles ou collectives, le travail des psychologues “n’est pas une part du curriculum, nous sommes là en soutien, si les participants le souhaitent”. D’ordinaire, environ 15 % participants demandent à consulter l’un des psys de l’Insead. “Depuis le début de la pandémie, la demande a explosé pour atteindre plus de 30 %”, confie Virginia Picchi. Les situations sont aussi diverses que le ressenti de ces patients-apprenants, la crise sanitaire ayant eu un impact très hétérogène à travers le monde. Confinements successifs et télétravail à degrés variables sont aussi facteurs de stress. “Toute cette année a créé une distorsion du temps de travail problématique”, estime Julien Kerforn, responsable de la formation continue à Sciences Po Rennes. En cause : Zoom et Teams ne nous ont pas épargnés et ont rajouté une multitude de réunions. “Tout le monde a le sentiment d’avoir plus de travail, mais c’est un sentiment diffus, lié au déroulement des journées, la distance, l’estompement de la frontière avec notre vie privée”, analyse Julien Kerforn. Hors Covid, le travail de ces spécialistes n’est pas moins précieux. Un MBA étant avant tout une expérience personnelle, il est parfois le premier moment de pause et de réflexion dans une carrière ou une vie : “beaucoup de ceux qui nous rejoignent ont fait leurs études dans une école de top niveau, puis ont été recrutés à un niveau de responsabilité important, soumis tout de suite à la pression et orientés travail, 24 heures par jour et 7 jours par semaine”. La “pause” qu’ils font dans l’école leur permet d’échapper un instant au stress professionnel et social. Sans parler des incertitudes liées à leurs choix de carrière…
L’orientation, éternelle source d’angoisse
Depuis les psys-EN (Éducation nationale) dans les primaires et collèges jusqu’au coaching personnalisé d’un Executive MBA, orientation et accompagnement psychologique ne sont jamais loin. La frontière entre les deux est difficile à circonscrire : “un candidat qui discute avec moi de son projet professionnel me parle aussi – c’est bien normal – de sa vie, ses proches, ses doutes. Comment faire autrement ?”, sourit Julien Kerforn. Le responsable de la formation continue devient malgré lui cette “personne extérieure à qui l’on peut confier sa réflexion sur ce qu’on veut devenir dans les 20 prochaines années”. Pas si loin du coach, sur le principe.
L’orientation est justement le métier d’Alice Denmanivong, “un travail qui ne peut pas se faire sans une équipe plurielle : assistants sociaux, médicaux, comme spécialistes de l’orientation”, explique-t-elle. Certains salariés n’ont pas encore de projet pour la suite, juste une incertitude, voire une angoisse: “Nous essayons de mettre des mots dessus, puis de chercher le pas d’après”, explique la directrice du CEP Nouvelle-Aquitaine. Avec l’objectif de trouver le bon aiguillage.
Soft skills en ordre de bataille
L’arrivée des coachs dans les écoles doit beaucoup à la reconnaissance des soft skills comme qualités essentielles du dirigeant. Pas une affaire de psychologues, mais d’une pédagogie s’appuyant sur des équipes d’enseignants, intervenants professionnels, coachs et ingénieurs pédagogiques. “Pour prendre en charge le développement des soft skills, nous avons dû revoir notre approche, en privilégiant la pédagogie active faite de mises en situation”, illustre le responsable de la formation continue de Sciences Po Rennes. Ce premier temps est suivi d’un second, fait d’échanges et d’analyses de la situation produite. “Nous prenons le cas d’un des participants assis autour de la table pour décrypter les réactions qu’il a eues, ce qu’il a bien fait, comment les autres ont pu le ressentir…”
La montée en puissance des soft skills se poursuit (lire encadré). Chez les recruteurs d’abord, dont 90 %, selon une étude de la plateforme d’emploi Monster, estiment qu’elles continueront à prendre de l’importance dans les années à venir. Chez les salariés aussi, où les thématiques de développement personnel se placent désormais en deuxième position des demandes de formation, devant les langues étrangères.
Le débat reste ouvert sur la véritable nature de ces “qualités comportementales”: un tel panel – écoute, créativité, empathie – est-il une affaire de formation, ou de caractéristiques individuelles plus complexes que l’on pourrait réunir dans le concept de personnalité ? En attendant une réponse psycho-sociologique qui ne viendra pas tout de suite trancher le débat, les grandes écoles ont anticipé et fourbi leurs armes. Les MBA européens s’y sont d’ailleurs distingués, misant dessus bien plus tôt que leurs confrères outre-Atlantique. Stratégie payante dans les classements mondiaux. Dans les écoles, la collaboration entre différents profils dédiés à l’accompagnement psychologique n’a donc pas attendu la crise sanitaire pour s’illustrer. Reste que la confusion peut toujours régner dans les prérogatives de chacun. Comment comparer un psychologue ou un psychiatre à un coach, aussi brillant soit-il ? “Nous ne nous sentons pas du tout en concurrence, nos approches sont complémentaires”, estime la psychologue en chef de l’Insead. Ses thérapeutes et elle se trouvent en back-up, quand les coachs sont membres actifs de la pédagogie. Les coachs animent, le plus souvent, des sessions collectives, quand les siennes sont individuelles, privées, intimes, qui plus est marquées du secret médical. Ce qui dessine peutêtre les frontières précieuses entre compétitivité et santé.
Orientation et accompagnement psychologique : la frontière entre les deux est difficile à circonscrire. “Un candidat qui discute avec moi de son projet professionnel me parle aussi – c’est bien normal – de sa vie, ses proches, ses doutes. Comment faire autrement ?”