Vins et spiritueux
Isautier, qui dirige la marque éponyme leader sur le segment des arrangés.
Mais les années 2010 furent aussi le théâtre d’une explosion des pays producteurs de rhums. Ainsi, aux côtés des traditionnels rhums de Jamaïque, de la Barbade de Cuba, du Venezuela, ou des Philippines, on vit apparaître sur les rayonnages des rhums de Thaïlande, du Japon, de Madère, du Cambodge, de l’île Maurice, de Polynésie française… Et ce n’est pas tout, car des spiritueux cousins du rhum comme la cachaça brésilienne, le grogue cap-verdien ou le clairin haïtien, commencèrent eux aussi à attiser la curiosité des amateurs.
Une réglementation à géométrie variable
Cette diversité incroyable peut parfois compliquer la compréhension de l’univers du rhum, mais elle se double d’une réelle volonté de la part des acteurs du rhum de clarifier les choses concernant la provenance des rhums et leur mode de production. “L’Union européenne a défini très précisément ce que doit être un rhum dans le règlement européen 2019/787 du 17 avril 2019. Ensuite, les différentes régions productrices ont mis en place des règles allant plus loin dans le but de sauvegarder leur typicité, via une appellation d’origine contrôlée en Martinique et une indication géographique en Guadeloupe par exemple”, explique Nicolas Legendre, qui dirige Spiribam et distribue les rhums guadeloupéens Damoiseau.
Dans les grandes lignes, voici ce que demande la législation européenne : un rhum doit titrer au minimum 37,5° d’alcool, sa matière première doit être issue de la canne à sucre (jus de canne ou mélasse), l’ajout d’arômes est interdit, le taux de sucre est limité à 20 g par litre, et dans un assemblage de rhums vieux, c’est la goutte la plus jeune qui figure dans le compte d’âge sur la bouteille… À Cuba, beaucoup de ces règles sont en vigueur, mais il y a aussi des spécificités. Par exemple, tous les rhums doivent être distillés à partir de mélasse (pas de jus de canne donc), ils doivent contenir à la fois du “ron” léger (distillé à plus de 90° donc peu aromatique) et de l’aguardiente, souvent en part infime (distillé autour de 75° et très aromatique). “Dans notre rhum Eminente Reserva, que nous avons élaboré avec le jeune maître rhumier César Marti, la part d’aguardiente est de 70 %, ce qui est unique et nous permet d’obtenir un véritable rhum de dégustation cubain”, explique Briac Dessertenne, cofondateur de la marque Eminente.
Dans la zone Wirspa (Sainte-Lucie, la Barbade, la Jamaïque…, en gros les anciennes colonies britanniques), si le rhum doit impérativement être vieilli sur place, la matière première peut provenir d’ailleurs, tandis que le taux de sucre peut être supérieur à 20 g/litres. Au Venezuela, le rhum doit avoir été distillé à partir de sirop/miel de canne, doit avoir été vieilli (pas de rhum jeune donc), et le compte d’âge est différent (méthode Solera) …
La hype des embouteilleurs indépendants
Les choses se compliquent encore lorsque l’on prend en compte le phénomène des “rhums offshore”, c’est-à-dire fabriqués dans des endroits où la canne à sucre ne pousse pas, par des distilleries qui importent la matière première. Par exemple, le jus de batterie ou la mélasse pour la distillerie parisienne Julhès, le jus de canne congelé pour la
Les embouteilleurs indépendants vont acheter des rhums de différentes origines et les assembler pour créer des cuvées spéciales, originales et très appréciées des amateurs
distillerie Baptiste au sud de Clermont-Ferrand. Dans un autre style, les Ti arrangés de Ced vont faire venir de rhums des Antilles, et pour faire macérer des fruits de saison… de la métropole (notamment). Il faut aussi prendre en compte la mode du double vieillissement. Par exemple, la marque Plantation fait vieillir ses rhums de la Jamaïque, Trinidad, ou de la Barbade (vieillissement tropical) sur place, avant de les envoyer en Charentes pour un vieillissement sous climat tempéré.
Mais ce n’est pas tout. “En ce moment, il y a une vraie tendance avec les embouteilleurs indépendants, c’est-à-dire des gens qui vont acheter des rhums de différentes origines et les assembler pour créer des cuvées spéciales, originales et très appréciées des amateurs”, précise François-Xavier Dugas, qui dirige le distributeur de spiritueux Dugas. Exemple avec Navi, lancé en début d’année par deux copains : Baptiste Bochet et Alexandre Beudet. “C’est un assemblage de rhums agricoles de la Martinique et de la Guadeloupe, avec des rhums de la Jamaïque et de la Barbade”, annonce Baptiste Bochet, également spécialiste des cocktails (Atelier Colada). “Ce rhum contient le meilleur des deux principales matières premières (mélasse et jus de canne), et le meilleur de deux aires d’influence (anglaise et française)”, précise son associé Alexandre Beudet, également dirigeant d’Excellence Rhum (une boutique et un site internet).
Une effervescence enthousiasmante, mais qui doit s’accompagner d’une plus grande transparence encore de la part des producteurs, afin que le consommateur sache précisément ce qu’il achète.