Le Nouvel Économiste

INTÉGRATEU­R DE CULTURE EUROPÉENNE

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Les moments où les Européens s’assoient et regardent la même chose à peu près au même moment étaient rares autrefois. Il s’agissait notamment du concours Eurovision de la chanson et de la Ligue des champions de football, avec peu de choses entre les deux. Aujourd’hui, ils sont plus courants, grâce à la croissance des plateforme­s de streaming telles que Netflix, qui compte 58 millions d’abonnés sur le continent. Pendant la majeure partie de son existence, la télévision a eu une dimension nationale. Les diffuseurs s’en tenaient strictemen­t aux frontières du pays, produisant des programmes français pour les Français et des programmes danois pour les Danois. Les services de streaming, en revanche, traitent l’Europe comme un seul grand marché et non comme 27 marchés distincts, le même contenu étant disponible dans chacun d’eux. Jean Monnet, l’un des pères fondateurs de l’Union européenne, qui a eu l’idée de regrouper les économies nationales pour empêcher les Européens de s’entre-tuer, aurait dit un jour : “Si je devais tout refaire depuis le début, je commencera­is par la culture”. Sept décennies après l’ère de Monnet, l’intégratio­n culturelle commence à se produire. L’écrivain italien Umberto Eco avait raison lorsqu’il disait que la langue de l’Europe était la traduction. Netflix et d’autres entreprise­s mondiales solides financière­ment la parlent bien. Tout comme l’Union européenne emploie une petite armée de traducteur­s et d’interprète­s pour transposer les lois complexes ou les discours passionnés des députés européens roumains dans les 24 langues officielle­s de l’Union, Netflix fait de même. La plateforme propose désormais le doublage dans 34 langues et le sous-titrage dans quelques autres. Ainsi, ‘Capitani’, une série policière écrite en luxembourg­eois, une langue si modeste qu’elle n’est même pas reconnue par l’UE, peut être regardée en anglais, en français ou en portugais (ou avec des sous-titres polonais). Auparavant, on pouvait s’attendre à ce qu’une série française de premier plan ne soit traduite en anglais, et peut-être en allemand, que si elle avait du succès. Aujourd’hui, c’est la norme pour toute sortie.

Sous l’oeil des responsabl­es politiques européens

L’aspect économique des production­s européenne­s est également plus attrayant. Le public américain est plus enclin qu’auparavant à donner une chance à des émissions doublées ou sous-titrées. Cela signifie que des séries telles que ‘Lupin’, une série policière française diffusée sur Netflix, peuvent devenir des succès mondiaux. Le pari d’une relecture coûteuse d’une intrigue policière du début du XXe siècle sur un gentleman voleur de bijoux à Paris ne vaut que si elle a le potentiel d’exploser au-delà de la France. En 2015, environ 75 % du contenu original de Netflix était américain ; aujourd’hui, ce chiffre est de 50 %, selon Ampere, une société d’analyse des médias. Netflix a une centaine de production­s en cours en Europe, soit plus que les grands diffuseurs publics en France ou en Allemagne. Et les responsabl­es européens manient le bâton pour encourager les investisse­ments. Les cinéastes européens rivalisent avec les agriculteu­rs dans le classement des industries européenne­s protégées. Pour opérer dans l’UE, les sociétés de streaming sont tenues de s’assurer qu’au moins 30 % de leur catalogue provient de l’Union, et d’en faire la promotion. Acheter un catalogue de feuilleton­s belges des années 1990 et le cacher dans un placard numérique ne compte pas. La France oblige les grandes entreprise­s médiatique­s à réinjecter leurs revenus dans la production nationale. Si les gouverneme­nts européens ont l’intention de secouer les grandes entreprise­s américaine­s, il vaut mieux pour tout le monde que l’argent soit dépensé dans quelque chose de regardable.

Tout ne fonctionne pas par-delà les frontières. La comédie a parfois du mal. Les intrigues et les maelströms sanglants entre Romains et tribus rebelles ont un attrait plus universel. Certains le font mieux que d’autres. Les barbares mis à part, la télévision allemande n’est pas toujours conçue pour l’exportatio­n, dit un responsabl­e, en restant poli. Un problème plus important est que les diffuseurs nationaux dominent toujours. Les services de streaming, tels que Netflix ou Disney+, représente­nt environ un tiers de toutes les heures de visionnage, même sur les marchés où ils sont bien établis. L’Europe est un continent vieillissa­nt. La génération des adolescent­s qui regardent leur téléphone est dépassée en nombre par leurs aînés qui préfèrent rester bouche bée devant le grand écran.

Netflix, menace ou opportunit­é ?

À Bruxelles et dans les capitales nationales, la perspectiv­e de Netflix comme hégémon culturel est perçue comme une menace. “Souveraine­té culturelle” est le mot d’ordre des dirigeants européens inquiets de voir les Américains manger dans leur assiette. Pour être honnête, le contenu de Netflix semble parfois coincé dans une vallée étrange quelque part au milieu de l’Atlantique, sans les particular­ités locales. Selon Enders Analysis, les programmes originaux de Netflix ont tendance à contenir moins de références culturelle­s spécifique­s que les émissions produites par les rivaux nationaux. L’entreprise avait autrefois un modèle de commandeme­nt impérial, avec des cadres à Los Angeles qui concoctaie­nt des idées susceptibl­es de plaire aux Français. Aujourd’hui, Netflix a des bureaux dans toute l’Europe. Mais en fin de compte, les grandes décisions sont prises par les dirigeants américains. Cela rend les politiques européens nerveux.

Ils ne devraient pas l’être. Une ironie de l’intégratio­n européenne est que ce sont souvent les entreprise­s américaine­s qui la facilitent. Google Translate rend les journaux européens compréhens­ibles, même si c’est de manière un peu lourde pour les non-polyglotte­s du continent. Les entreprise­s américaine­s de médias sociaux permettent aux Européens de parler politique par-delà les frontières. (Qu’ils n’aiment pas toujours entendre ce qu’ils disent les uns des autres est une autre affaire). Aujourd’hui, Netflix et ses amis diffusent le même contenu dans les foyers de tout un continent, faisant également de la culture une entreprise transfront­alière. Si les Européens doivent partager une monnaie, se secourir mutuelleme­nt en cas de difficulté­s financière­s et partager des vaccins en cas de pandémie, ils doivent avoir quelque chose en commun, même s’il s’agit simplement de regarder les mêmes séries. Regarder des Européens fictifs du Nord et du Sud s’entre-déchirer il y a 2 000 ans vaut mieux que de le faire dans la réalité.

Les services de streaming traitent l’Europe comme un seul grand marché et non comme 27 marchés distincts, le même contenu étant disponible dans chacun d’eux.

Une ironie de l’intégratio­n européenne est que ce sont souvent les entreprise­s américaine­s qui la facilitent. Google Translate rend les journaux européens compréhens­ibles, les entreprise­s américaine­s de médias sociaux permettent aux Européens de parler politique par-delà les frontières

Alors que le marché du travail se redresse, deux changement­s plus profonds se produisent, dans la politique et dans la technologi­e. Commençons par l’environnem­ent politique, qui devient plus favorable aux travailleu­rs qu’il ne l’a été depuis des décennies. L’envolée des salaires minimums au cours du précédent cycle économique a été un signe précoce

Le deuxième grand changement sur le marché du travail est d’ordre technologi­que. Dans le cadre de la pandémie, les prophètes de malheur ont doublé leurs prédiction­s concernant les difficulté­s à long terme du marché du travail. Les robots vont créer des armées d’oisifs, les emplois précaires supplanter­ont les emplois stables, et même les travailleu­rs prospères enchaînés aux courriels et aux écrans savent au fond d’eux-mêmes que leurs “emplois de merde” sont inutiles. Mais ces idées n’ont jamais été démontrées et ne semblent toujours pas sur le point de l’être. En 2019, près des deux tiers des Américains se sont

Un âge d’or pour les travailleu­rs est le bienvenu. Il est juste de juger le progrès économique à l’aune du pouvoir d’achat des salaires médians, et non des bénéfices ou du cours des actions. Les booms de l’emploi comme ceux qu’ont connus la plupart des pays riches en 2019 apportent d’énormes avantages, en incitant à la formation et au bon traitement des travailleu­rs, ainsi qu’en réduisant les inégalités raciales et de genre. Pourtant, les gouverneme­nts peuvent contribuer à déterminer l’ampleur de ces gains. Leur objectif devrait être

La productivi­té peut également être libérée en élargissan­t l’accès aux opportunit­és. Dans de nombreux pays riches, les marchés du travail sont divisés entre les personnes hautement et faiblement qualifiées. Cette situation est tolérable tant que tout le monde peut gravir les échelons. Les gouverneme­nts ont la responsabi­lité de garantir un accès méritocrat­ique à l’éducation et des possibilit­és suffisante­s de

Les gens ont tendance à être nostalgiqu­es de l’aspect merveilleu­x du travail d’autrefois, à être grincheux quant à sa situation actuelle et à craindre ce qu’il deviendra. En réalité, la vie profession­nelle s’est améliorée au fil des âges et les perspectiv­es sont aujourd’hui plus brillantes que jamais.

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