Le Nouvel Économiste

“Évaluer tout investisse­ment sous le prisme de l’arbitrage internatio­nal”

- PROPOS RECUEILLIS PAR CHARLES ANSABÈRE, EN COLLABORAT­ION AVEC DLA PIPER

Les traités bilatéraux d’investisse­ment offrent un cadre jjuridique­q aux investisse­urs souhaitant se pprotégerg des risques q découlant d’actions de l’État étranger où ils opèrent. Mais sur fond de bouleverse­ments géopolitiq­ues majeurs, il convient plus que jamais de les analyser en amont de toute opération, explique Michael Ostrove, associé et co-responsabl­e mondial de la pratique arbitrage internatio­nal du cabinet DLA Piper, et vice-président de la Cour internatio­nale d’arbitrage de la CCI.

Quiconque envisage de procéder à un investisse­ment à l’internatio­nal doit systématiq­uement en mesurer l’équilibre bénéfices/risques. Avant de finaliser toute acquisitio­n d’une société ou d’actifs, il est essentiel de prendre en considérat­ion et d’évaluer les moyens dont on dispose pour se protéger d’une expropriat­ion ou d’une nationalis­ation – ou de toute autre interféren­ce sévère initiée par le gouverneme­nt du pays cible. Dans ce cadre, il convient en particulie­r d’étudier les possibilit­és de recourir à l’arbitrage internatio­nal, dans la mesure où l’on se trouve potentiell­ement exposé à un risque lié au pays de destinatio­n.

En la matière, les pratiques ont sensibleme­nt évolué depuis une trentaine d’années. Par le passé, la seule option dont disposait tout investisse­ur ou acquéreur s’estimant lésé par une action gouverneme­ntale, à part se trouver devant les tribunaux locaux, consistait à recourir à la protection diplomatiq­ue. Il s’agissait de solliciter son pays pour intervenir auprès du gouverneme­nt de l’État du pays en question – avec toute la complexité qu’une telle voie politique pouvait présenter. Les chances de voir aboutir une telle demande étaient encore plus faibles lorsqu’elle émanait d’un “petit” investisse­ur. Désormais, les traités bilatéraux d’investisse­ment (TBI) offrent la possibilit­é d’une voie d’accès direct d’arbitrage contre l’État hôte.

L’Espagne condamnée à plusieurs reprises

Il serait ici erroné de croire que cette question n’est opportune que pour des pays en développem­ent. Actuelleme­nt, l’État le plus visé est l’Espagne. Il a fait l’objet d’une cinquantai­ne de demandes d’arbitrage invoquant le Traité sur la charte de l’énergie (TCE), entré en vigueur en 1998. En effet, de nombreux investisse­urs ont fait valoir que leurs opérations concernant la production d’énergies renouvelab­les avaient été planifiées (et rendues possibles) sur la base de tarifs attractifs, les incitant à investir en Espagne, et qu’ils ont été mis en difficulté en raison de la baisse de ces tarifs décrétée par l’État espagnol, lequel considérai­t que l’économie de ce secteur ne justifiait plus les prix envisagés à l’origine. Résultat : l’Espagne a été condamnée à de multiples reprises, pour un montant total bien au-delà du milliard d’euros.

Les exemples de procédures d’arbitrage internatio­nal sont nombreux dans ce secteur d’activité. On se souvient de l’affaire Ioukos, pour laquelle l’État russe a été condamné à verser 50 milliards de dollars d’indemnités aux actionnair­es de ce géant pétrolier ayant fait l’objet d’une expropriat­ion. Mais il ne faut pas penser, non plus, que les investisse­urs gagnent toujours. À titre d’exemple, notre cabinet vient de remporter l’affaire Komstroy devant la Cour d’appel de Paris, laquelle a annulé une sentence arbitrale de 49 millions de dollars visant la République de Moldavie – après avoir posé des questions préjudicie­lles à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE). La Cour d’appel, en s’alignant sur la position de la Cour de justice, a jugé que la société en question n’avait pas réalisé d’investisse­ment aux termes du TCE, et ne pouvait donc pas bénéficier de la protection offerte par le traité bilatéral d’investisse­ment.

Quoi qu’il en soit, analyser en amont un dossier sous le prisme de l’arbitrage internatio­nal est recommandé pour tout secteur d’activité caractéris­é par des investisse­ments importants. La présence de nombreux actifs sur le territoire du pays étranger augmente d’autant la perspectiv­e de subir une expropriat­ion ou un traitement inéquitabl­e ou discrimina­toire, à un

moment donné. C’est notamment pourquoi, outre les secteurs de l’énergie et minier, le domaine des télécoms est particuliè­rement concerné. À titre d’exemple, nous intervenon­s actuelleme­nt pour le compte d’un investisse­ur basé en Azerbaïdja­n qui a subi une expropriat­ion d’un actif dans les télécoms en Géorgie.

Une palette d’instrument­s pour réduire les risques

Dès lors qu’un étranger dispose d’un investisse­ment dans un pays, le droit internatio­nal de protection des investisse­ments joue, pour le protéger des interféren­ces de l’État qui vont à l’encontre de ce droit. On comprend donc la nécessité d’identifier et de passer en revue l’ensemble des traités permettant de protéger les investisse­ments dans un État, avant d’y enclencher une opération. Et ce même s’ils ne constituer­ont qu’une protection de dernier ressort, dans la mesure où le lancement de procédures sur la base de ces traités prendra de nombreuses années…

En parallèle de cette approche, notre rôle en amont consiste à réfléchir à tous les outils à la dispositio­n des investisse­urs. Il peut s’agir des clauses contractue­lles – si l’investisse­ment repose sur un contrat noué avec l’État – telles que des clauses de stabilisat­ion ou de non-expropriat­ion. Il faut aussi réfléchir à la lumière d’éventuelle­s garanties présentes dans le droit du pays cible, en mesurant si celui-ci offre les mêmes garanties que les traités de protection d’investisse­ments. Tel est d’ailleurs souvent le cas, étant donné que la Banque mondiale a, dès les années 1970, encouragé la mise en place de codes d’investisse­ment dans les législatio­ns internes. Enfin, il existe des contrats d’assurance visant à couvrir les risques politiques, mais aussi des garanties comme celles proposées par l’Agence multilatér­ale de garantie des investisse­ments (MIGA), membre du groupe de la Banque mondiale.

Cette palette d’instrument­s vise à réduire les risques, au cas où des problèmes surviendra­ient pendant la durée de vie de l’investisse­ment. Il convient donc de s’en informer en amont de toute opération, afin de disposer de toutes les options possibles pour éviter de devoir recourir à des procédures arbitrales longues, relativeme­nt coûteuses et à l’issue incertaine – notamment à la lumière du délai souvent nécessaire pour toucher une réparation après la condamnati­on d’un État.

Examiner le contexte géopolitiq­ue

Le contexte géopolitiq­ue actuel donne évidemment une nouvelle dimension à ces réflexions. Ainsi, la guerre en Ukraine engendre des problémati­ques juridiques très complexes, alors que des territoire­s changent de mains. Au moins une dizaine d’affaires de ce type ont d’ailleurs déjà été jugées au sujet de la Crimée. Mais il faut aussi envisager cette problémati­que dans le cas de pays connaissan­t un changement profond de régime politique, comme on a pu le voir en Amérique latine ou en Afrique, si le nouveau gouverneme­nt prend des mesures inverses de celles de son prédécesse­ur.

Cela étant, sur l’échiquier internatio­nal, une jurisprude­nce récente, poussée par la Commission européenne, s’est inscrite à contre-courant des pratiques habituelle­s au sein même de l’Europe. À deux reprises, la CJUE a décidé que la clause d’arbitrage qui permet aux investisse­urs d’attaquer directemen­t un État n’est pas valable lorsqu’elle concerne des opérations conduites par des investisse­urs d’États membres de l’UE à l’intérieur d’autres États de l’UE. Son raisonneme­nt, qui consiste à dire que l’offre d’arbitrage conclue par des États de l’Union serait contraire au Traité sur le fonctionne­ment de l’Union européenne, a été consacré dans les affaires Achmea, pour ce qui concerne les TBI, et Komstroy, pour ce qui concerne le TCE.

Il devient donc très difficile pour les investisse­urs concernés de lancer une procédure d’arbitrage internatio­nal et, pour ceux déjà engagés dans cette voie, le problème reste entier. Toutefois, beaucoup de tribunaux arbitraux CIRDI [Centre internatio­nal pour le règlement des différends relatifs aux investisse­ments, ndlr] ont indiqué ne pas se sentir liés par cette jurisprude­nce européenne et ont continué à condamner des États dans des affaires intra-UE. Ce qui donne lieu à une grande controvers­e au sein de la profession juridique !

Le contexte géopolitiq­ue actuel donne évidemment une nouvelle dimension à ces réflexions”

Un atout sur lequel s’appuyer

On ne saurait donc recommande­r, encore plus que d’ordinaire, d’être prudent et d’analyser ces sujets d’arbitrage internatio­nal. Les TBI demeurent un formidable atout sur lequel s’appuyer. L’ouverture d’une procédure arbitrale s’avérant préjudicia­ble à l’image d’un État, on comprend aisément que celui-ci réfléchiss­e à deux fois avant de prendre une décision l’exposant de la sorte.

C’est notamment la raison pour laquelle il est essentiel de veiller à disposer de cette possibilit­é. En cas d’absence d’accord entre les pays d’origine et de destinatio­n, par exemple, il peut être judicieux de structurer un investisse­ment via un autre pays où il existe un traité, de sorte à bénéficier d’une telle protection.

Des traités internatio­naux constituen­t à n’en pas douter un avantage dont il ne faut pas négliger la portée. Et ce même si l’Union européenne affiche son souhait de mettre fin à l’arbitrage d’investisse­ment, en essayant de remplacer l’arbitrage par un nouveau système qui aura peu de chances de prospérer – et qui forcera les investisse­urs à se reposer sur les contrats d’assurance, voire même… la protection diplomatiq­ue.

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“Les traités bilatéraux d’investisse­ment offrent la possibilit­é d’une voie d’accès direct d’arbitrage contre l’État hôte.”
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“En cas d’absence d’accord entre les pays d’origine et de destinatio­n, il peut être judicieux de structurer un investisse­ment via un autre pays où il existe un traité.”

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