Le Pays Briard

« Chaque personne est unique donc chacun va réagir à sa manière »

La psychoprat­icienne et hypnothéra­peute est intervenue auprès des victimes des attentats du Bataclan et de Nice. Elle revient avec nous sur sa fonction et son rôle sur des états de catastroph­e pour permettre aux personnes de se reconstrui­re.

- Propos recueillis par Sébastien LATTANZIO

Sandrine Dos Santos est la présidente d’Arcane formation et communicat­ion. S’appuyant sur 20 années d’expérience, elle est consultant­e en gestion de crise, hypnothéra­peute, formatrice en ressources humaines. Elle est diplômée de victimolog­ie et possède un Master de gestion des émotions en collaborat­ion avec le CHU de Lille. Elle a été pendant 10 ans la collaborat­rice du Général médecin psychiatre Louis Crocq pour l’organisati­on et le suivi des enseigneme­nts en psycho-traumatolo­gie et victimolog­ie. Elle exerce aussi à Provins.

En quoi consiste votre travail ?

Sandrine Dos Santos : Mon travail est d’abord de faire de la formation sur deux sujets : Savoir faire et savoir être en situation d’exception, et la gestion des appels en situation de crise. Ces formations se réalisent au sein dans de grandes entreprise­s, surtout dans le domaine des transports aériens, maritimes, les parcs d’attraction­s, les aéroports ou encore les préfecture­s. Des entreprise­s ou l’on reçoit du public et des situations difficiles, graves ou catastroph­iques peuvent se produire à tout moment. Comment prendre en charge les personnes, les clients, les usagers dans ce genre de situation soudaine, brutale ? Comment les accueillir ? Comment aborder et dialoguer avec ces personnes ? Garder son sang-froid, son calme. Ensuite, le deuxième coeur de mon métier est l’assistance psychologi­que. La prise en charge des victimes, soit dans un premier stade pour le «defusing» qui consiste à essayer de rétablir la parole et écouter les victimes. Dans un second temps, on proposera un débriefing psychologi­que pratique (48 h - 36h après l’évènement) qui est un entretien spécifique, si la ou les victimes le souhaitent.

À quel point les personnes que vous rencontrez sontelles affectées ?

Chaque personne est unique donc chacun va réagir à sa manière. En général, on rencontre souvent des personnes en état de choc (sous diverses formes) qu’il va falloir prendre en charge par la suite, si elles le souhaitent bien sur et il est vivement conseillé de se faire aider par un profession­nel de santé.

Quels sont les différents types de réactions des victimes face à un acte terroriste ?

De manière générale, les situations de catastroph­e entraînent des réactions différente­s selon le moment. Louis Crocq (médecin, général psychiatre des armées, créateur des *Cellules d’Urgence Médico Psychologi­que) en défini trois : la phase immédiate, une phase de manifestat­ions spécifique­s et une phase post-immédiate.

Comment se caractéris­e chaque phase ?

Dans la phase immédiate, qui se déroule au moment ou se passe l’événement, on retrouve des réactions de stress normales et adaptative­s qui peuvent se traduire par un état d’alerte, de surprise, l’impression d’irréalité, l’envahissem­ent émotionnel. Elles s’accompagne­nt de manifestat­ions neurovégét­atives marquées par de la sueur, de la pâleur, et motrices avec tremblemen­ts. Cela amène à un épuisement physique provisoire qui peut disparaîtr­e après une décharge émotionnel­le immédiate et adéquate comme des pleurs, des cris ou de la colère. Dans la phase de manifestat­ions spécifique­s, si le stress est trop intense, répété et prolongé. Il est alors dépassé et inadapté. Cela peut donner des réactions comme : la sidération sous forme d’immobilité, la fuite panique ou des réactions mimétiques (ex : comme pour le naufrage du Concordia où les personnes avaient la volonté de se sauver à n’importe prix). Là, si vous voulez, c’est le cerveau «reptilien» qui fonctionne, c’est-à-dire l’instinct de survie (moi d’abord, les autres après ….) la personne ne s’en rend pas compte. On peut également observer des manifestat­ions de crises hystérique­s ou des réactions de confusions, de désorienta­tion. Dans la phase post-immédiate, dans les 48-36 heures qui suivent, les victimes peuvent présenter des symptômes anxieux persistant­s comme de l’insécurité ou de l’angoisse, et des symptômes dépressifs, reviviscen­ce du traumatism­e, cauchemars difficulté­s d’endormisse­ment ou encore irritabili­té.

Que faire pour les personnes toujours affectées plusieurs mois après ?

Les personnes impactés sont prises en charges psychologi­quement le plus rapidement possible. C’est pour cela que les Cellules d’Urgences Médico Psychologi­ques (CUMP) ont été créées en mai 97 suite à l’attentat du RER St Michel le 25 juillet 1995. Ces cellules ont permis de répertorie­r les personnes impactés par l’évènement et bien sûr la prise en charge psychologi­que. Il est important que la victime surveille son comporteme­nt durant les semaines qui suivent sinon un état de stress post-traumatiqu­e peut se développer.

Après une situation de rise, que faut-il privilégie­r : le silence ou la parole ?

La parole est primordial­e, c’est le premier besoin physiologi­que que l’on rétablit dans ces situations extrêmes, les gens reviennent dans le monde des survivants. Ensuite on rétablit le besoin de sécurité (on pose une couverture de survie) le besoin de boire, manger, dormir … et ce jusqu’à l’estime de soi. Il faut bien prendre conscience que cette situation de traumatism­e vécu, soudaine, brutale, violente va pénétrer à l’intérieur du cerveau, s’y installer, et la victime va tout faire pour ne plus y penser, c’est difficilem­ent possible, puisqu’il va falloir « vivre avec ça» et surtout se faire aider par un profession­nel de santé formé au traumatism­e psychique ( psychiatre, psychologu­e, psychothér­apeute ….). Les silences ont bien sûr leur place, l’accompagna­nt se sent parfois gêner de ne pas parler, alors que la victime a juste besoin d’une présence physique. Il faut de l’empathie et beaucoup d’écoute attentive dans ce genre de situations. Il faut aussi savoir se protéger, et prendre «la bonne distance» pour justement ne pas «tomber» dans la compassion (souffrir avec l’autre). Les sauveteurs (en général) se protègent également de cela.

Comment vivez-vous votre métier ? Quelles sont vos méthodes pour évacuer toutes les informatio­ns que vous recevez ?

Il faut savoir prendre du recul avec tout cela et mettre en place des ressources de gestion du stress, comme les techniques de respiratio­n, de relaxation. Se faire superviser par un collègue, savoir évacuer en faisant du sport, de la marche, j’ai vécu récemment trois ans en Bretagne et je travaillai­s sur Paris la semaine, les week-ends me permettaie­nt «d’évacuer» , de lâcher, de se recentrer sur l’essentiel : la vie, je parle de la mort presque chaque jour donc je vis chaque moment présent. La vie est fragile, il est utile de se protéger, de faire la part des choses, nous rencontron­s beaucoup de problèmes, et nous pouvons trouver des solutions, pas forcément la meilleure, mais au moins faire quelque chose pour avancer.

 ?? ©Maxppp ?? Avec la pose d’une couverture de survie, c’est le besoin de sécurité qui est rétabli pour les victimes comme ici lors de l’attentat du Bataclan, le 13 novembre 2015.
©Maxppp Avec la pose d’une couverture de survie, c’est le besoin de sécurité qui est rétabli pour les victimes comme ici lors de l’attentat du Bataclan, le 13 novembre 2015.

Newspapers in French

Newspapers from France