« Annuler l’élection ? En droit pur, c’est possible »
Le maire de Samois-sur-Seine, Didier Maus est le président émérite de l’Association française de droit constitutionnel. Il nous livre son regard de juriste sur l’affaire Fillon.
Didier Maus, qui a participé à la commission de réflexion sur le statut pénal du Président de la République en 2002 voit dans la convocation par les juges du candidat Fillon un côté positif, qui permettra à un « procès équitable » de se dérouler. NDLR : cette interview a été réalisée le jeudi 2 mars.
Comment analysez-vous la convocation par les juges de M.Fillon ?
Il y a évidemment le côté négatif dénoncé par M. Fillon, mais il y a aussi le côté positif. Si M. Fillon est mis en examen, cela ne peut intervenir qu’à la suite d’un débat contradictoire dans lequel les avocats sont présents et remplissent leur office. Il s’agit de la première étape du débat à charge et à décharge, donc du procès équitable. Il est évident qu’il y a une concurrence des calendriers. L’échéance de l’élection présidentielle est une épée qui pèse sur toute la procédure. En tout état de cause, la présomption d’innocence fait que M. Fillon demeure juridiquement innocent, même après une mise en examen.
Juridiquement, une annulation des élections par le conseil constitutionnel estelle possible ?
Il faut distinguer le report qui peut intervenir avant l’élection et l’éventuelle annulation qui interviendrait après la tenue du scrutin. Le report est strictement encadré par la Constitution, mais le Conseil constitutionnel a une mission générale de «veiller à la régularité de l’élection présidentielle». Cela peut le conduire à innover et à donner des interprétations extensives de ses pouvoirs.
Chacun s’accorde à considérer qu’une élection présidentielle dans laquelle aucun candidat ne se réclamerait de la droite et du centre serait anormale et contraire aux exigences de la démocratie. Que faire si une telle situation se présente ?
Je pense qu’il y aura une forte pression pour trouver une solution juridique qui permette un report. A posteriori le Conseil constitutionnel proclame les résultats et tranche le contentieux. Dans ce cadre, il peut naturellement juger que des fraudes ont été commises et qu’elles sont été suffisamment fortes pour mettre en cause la sincérité des résultats.
Ceci étant, il faudrait que les fraudes et manoeuvres soient vraiment considérables. Annuler une élection présidentielle déboucherait sur un vide constitutionnel et l’obligation de recommencer l’élection, donc de dépenser à nouveau beaucoup d’argent, qu’il s’agisse des dépenses des candidats ou des budgets de l’Etat.
En droit pur, c’est possible.
Politiquement, pensez-vous que M.Fillon va pouvoir mener sa campagne jusqu’au bout ?
Personne ne peut répondre à cette question de manière certaine. Depuis quelques semaines la campagne présidentielle s’apparente à un chambouletout, ce jeu de fête foraine qui consiste à faire tomber toutes les boites d’une pyramide. M. Fillon est coincé entre l’obligation de se défendre dans une procédure judiciaire et celle de mener une campagne de promotion de ses idées. Même si je considère qu’une grande partie des charges énoncées publiquement à l’encontre de M. Fillon ne résiste pas à l’analyse juridique, le candidat est d’abord obligé de se défendre sur le terrain judiciaire. L’aspect politique pur ne peut passer la rampe que si le débat judiciaire est purgé. Il ne peut pas l’être avant l’élection présidentielle.
« Une campagne chamboule-tout »