Dans les coulisses des courses hippiques
Partons à la découverte de l’univers des courses hippiques, à l’hippodrome de la Solle, au milieu de la forêt de Fontainebleau. Installées dans un écrin de verdure, les tribunes attirent de nombreux parieurs. Un reportage au pas de course !
Jeudi 18 mai, 11h30. L’hippodrome de la Solle commence déjà à se remplir. Une journée de courses attend les propriétaires d’écuries, les professionnels de l’élevage et les locaux venus assister à un spectacle dans le cadre champêtre de la forêt de Fontainebleau. Plus de 200 personnes sont attendues pour la première course amateur, un 2000 mètres plat. Une cinquantaine de jockeys venus de toute l’Europe vont se relayer tout l’après-midi, sur les 25 ha de gazon.
La question du poids
Alors que les parieurs sont occupés à miser leurs pièces jaunes ou leur PEL, les propriétaires échauffent leurs chevaux, à petit galop, sur une piste sablonneuse. Les selliers, véritables hommes de l’ombre d’une organisation archi-orchestrée, préparent sangles casques et bottes. Ce sont eux qui supervisent l’intendance et transportent les 2 tonnes de matériel. Les jockeys vêtus de casaques en soie aux couleurs flashy de leurs écuries sont attentifs aux dernières instructions des entraîneurs sur le parcours. Pesée des cavaliers avant de se rendre devant les stèles de départ. « On vérifie si le poids est bien respecté chez les 7 premiers arrivants, explique Eric Behuet, le
secrétaire principal. Le jockey se présente avec la selle, l’étrier, les sangles. Le poids est important car on équilibre les chances en rajoutant du plomb dans des sacoches placées sur le dos du cheval pour les jockeys les plus légers. » Ainsi, entre le cavalier et le matériel, un cheval peut avoir à porter entre 51 et 62 kg en plat et entre 61 et 72 kg pour une course d’obstacles. « En cas d’écart de plus de 400 grammes, entre le départ et l’arrivée, le jockey est pénalisé d’une amende et d’une mise à pied », poursuit Eric Behuet. Aux courses, on est très à cheval sur le règlement. Il faut dire que d’importantes sommes sont en jeu : 13,5 millions d’euros pour le Tiercé, 9 millions pour le Quinté. Même la course amateur s’est jouée pour quelque 500 000 euros.
Les quatre commissaires de course et les deux juges aux arrivées portent une lourde responsabilité sur leurs épaules. « La France entière joue sur cette course mythique, c’est là où il
y a le plus d’argent en jeu », pointe Gilles Uhel, le directeur de l’hippodrome depuis 1983.
Alors, perchés sur les balcons du Pavillon datant de Napoléon, les jumelles vissées au visage, trois commissaires, un radar dans les yeux, suivent le déroulement de la course, pendant qu’une quatrième personne reste au rez-de-chaussée, scotchée devant les écrans. À la fin de la course, Stéphanie Daburon visionne le départ au ralenti afin de s’assurer que toutes les portes se sont bien ouvertes au même moment. En tout, 8 caméras permettent de suivre la course sous des angles différents. La caméra
de face, pour les changements de ligne. Les caméras latérales pour vérifier les écarts entre les chevaux. C’est aussi à ce moment-là que les commissaires comptent les coups de cravache.
« Les claquettes, en mousse, servent à stimuler, explique
Stéphanie Daburon. On n’est pas là pour battre les chevaux, on les aime, c’est même notre philosophie. Mais au-delà de six coups de cravache, le jockey est puni, dans le cadre de la protection animale. »
Enchères
À l’issue de la course, ça s’agite devant à l’entrée de l’hippodrome. Un clone de Louis Sarkozy, chemise d’un blanc immaculé sur pantalon beige infroissable, une coupe de cheveux mi-longue, digne d’une pub pour shampooing Aulbran, cherche « la boîte à bulletin ». Il s’agit, en effet, d’une course « à réclamer » où les partants sont mis aux enchères à bulletins secrets déposées dans une urne. « Des personnes extérieures vont pouvoir acheter les chevaux, explique, entre deux poignées de main, Micheline Leurson, trois fois championne européenne et douze fois cravache
d’or, « la plus grande cavalière amateur de tous les temps en France », dixit Gilles Uhel. L’As est à vendre à partir de 8000 euros, au plus
offrant. » Micheline Leurson, du pep’s à revendre, semble être une véritable institution à elle seule dans cet hippodrome. L’ancienne commissaire a ses entrées. Elle nous fait pénétrer dans l’antre très fermé des juges aux arrivées, au plus haut étage de l’observatoire. Christophe Lussigny et Cédric Boudet, un ancien jockey d’obstacles reconverti car victime d’un accident en 2007, se préparent à la troisième course. Stéphane Pasquier, 39 ans, « l’un des meilleurs
jockeys de France », d’après Micheline Leurson, dans sa bulle, se concentre sur la victoire. Le départ prend du retard. « Le
numéro 9 est déferré », explique Christophe Lussigny. Un maréchal-ferrant est dépêché sur le champ et arrive en trombe. Le problème est vite réglé mais la course est déjà retardée de 7 minutes.
Tintement de la cloche qui annonce le début de la course. Dans le haut-parleur la voix urgente du commentateur observe
« un beau départ pour Constantinople » et « un bel effort de Pando qui se rapproche sous l’impulsion du
numéro 10 ». Fracas des sabots qui se rapprochent à vitesse grand V. Sur la dernière ligne droite, Pando remporte finalement la course en 2’08’’. Constantinople s’est fait distancer et arrive en 5e position. Cri des spectateurs qui reprennent leur souffle. Le favori arrive 2e, Stéphane Pasquier n’est que 3e et espère se rattraper sur les prochaines courses. Son adversaire était de taille. Le vainqueur, Pierre Charles Boudot, a, en effet, battu le record des gagnants, 300 fois en 2016, et compte deux cravaches d’or.
Anciens champions
« Quand les chevaux ont passé le panneau, on compare nos arrivées, photo finish à l’appui et on prend les longueurs pour vérifier
les écarts », remarque Cédric Boudet. Le photographe confiné dans un bureau exigu, c’est Antoine Richard, des allures de Monsieur Tout-le-Monde, et ancien médaillé de bronze aux 4 fois 100 mètres aux JO en 1980.
En tout, l’hippodrome de la Solle compte 5 salariés permanents et embauche entre 30 et 40 vacataires, sans oublier la quarantaine de bénévoles, tous passionnés par les courses. Une grande famille qui côtoie les plus grands de ce monde. À l’instar de Philippe Demercastel, un formateur de l’école des apprentis venu encourager certains de ses anciens élèves, aujourd’hui classés parmi les meilleurs jockeys de France. « Il a reçu les félicitations de la reine d’Angleterre en personne, dévoile Micheline Leurson, des étoiles dans les yeux. C’est un très bon entraîneur dont le cheval a été monté aux États-Unis. » La triple championne européenne parvient encore à s’émerveiller. Il faut dire que la cavalière est tombée dans la marmite alors qu’elle portait encore des couches-culottes. « Je suis une enfant de la balle, raconte-telle. Mon père était jockey. Le virus s’est propagé tôt. »
Et d’ajouter : « C’est un sport qui m’a beaucoup fait vibrer. Le moment le plus émouvant c’est lorsque j’ai entendu résonner la Marseillaise en Allemagne où mon père avait été fait prisonnier pendant 5 ans à la Seconde guerre. »
Précision
Alors, aujourd’hui encore, Micheline Leurson est de toutes les courses, côté gradins. « On
vient ici pour l’ambiance. » La journée se termine autour de pâtisseries maison. Reste encore à reboucher les trous du terrain. Six personnes seront missionnées pendant deux jours. Le gazon, tondu à 12 cm pour garder de la souplesse afin d’amortir les chevauchées, bénéficie d’un système d’arrosage automatique. D’une précision millimétrée, une tige de métal enfoncée dans le sol indique un indice pénétrométrique de 3,5, ce qui équivaut à terrain très souple. Le terrain sera prêt pour la prochaine réunion de courses, jeudi 1er juin.
« Une course mythique »