Les politiques victimes racontent
Sur les réseaux sociaux, les témoignages de femmes ayant subi du harcèlement sexuel se sont multipliés depuis une semaine. Nombreuses sont celles à avoir réagi au hashtag #balancetonporc sur Twitter, parmi lesquelles des politiques.
« Un maire qui me saute dessus dans sa voiture, sur un parking, en me disant qu’« il faut changer d’herbage de temps en temps ». » Suivi du désormais fameux mot-dièse #balancetonporc, Aude Luquet, en moins de 140 signes, a elle aussi franchi le pas.
Après l’affaire Harvey Weinstein, du nom du célèbre producteur de cinéma américain accusé d’agressions sexuelles et de viol, la députée (MoDem) de la 1ère circonscription de Seineet-Marne a relaté son expérience pour la première fois en public pour dénoncer le harcèlement dont elle a été victime. Elle rejoint ainsi le mouvement viral lancé sur Twitter il y a plus d’une semaine maintenant.
« Ça s’est passé il y a 15 ans, j’en avais 33, raconte-t-elle. Je n’étais pas encore élue mais je travaillais déjà dans le monde politique. À l’époque, je n’en avais parlé à personne, car en tant que femme, il y a toujours un sentiment de culpabilité quand ce genre de choses nous arrive. J’ai tellement été choquée que je n’ai rien dit, même à mon compagnon d’alors, avec qui j’ai mis du temps à finalement évoquer cet épisode. Il a tout de même fallu, un moment après les faits, que je menace de déposer plainte auprès de mon agresseur qui commençait à balancer des ragots à mon encontre. »
Pour Roseline Sarkissian, conseillère régionale (PS) et élue d’opposition à Fontainebleau, c’était il y a un peu plus de 10 ans. Alors jeune étudiante, elle est victime de « propos salace », « voyeurisme » et « violation de domicile ». « Cette libération de la parole est positive, pour les personnes elles-mêmes et parce qu’elle permet de mesurer collectivement l’ampleur du problème, dit-elle. Je me félicite qu’elle entraîne une recrudescence des prises de contact auprès des organismes et associations dédiés qui vont leur permettre de qualifier les actes décrits et de les accompagner dans leurs démarches en particulier quand ceux-ci relèvent du pénal ou sont sanctionnés par le Code du travail. »
Aude Luquet avoue avoir été l’objet d’autres faits de harcèlement, mais celui qu’elle décrit sur Twitter reste « le plus marquant » selon elle. Et constitue un symbole des relations « peu
évidentes » entre hommes et femmes, notamment dans le milieu politique.
« Lorsque l’on entretient des rapports sympathiques et cordiaux avec eux, les hommes politiques ont tendance à se dire qu’ils ont une ouverture pour que ça aille plus loin alors que ça n’est pas le cas, analyse-t-elle. Le parfum du pouvoir et le complexe de supériorité qui émanent de notre milieu tendent à accentuer tout ça. Et lorsqu’une femme tient tête en refusant les avances, son interlocuteur va tout de suite penser qu’elle n’est pas sympa et va le lui faire payer, aussi bien par les actes que par les mots. D’où le sentiment de culpabilité. »
« Libération de la parole » « Omerta »
De quoi faire dire à Aude Luquet qu’il est « très difficile » pour une femme politique de « trouver la bonne posture » pour se faire respecter et « éviter toute ambiguïté ». Et si elle a décidé de faire partie des milliers de témoignages d’anonymes ou de personnalités publiques qui affluent sur la Toile, c’est aussi pour « briser l’omerta ». « Il faut dénoncer coûte que coûte quand on est victime, même si l’on a peur des représailles, affirme la députée MoDem. Il faut aussi dire qu’avec le temps qui passe et les années qui s’accumulent, on apprend à se défendre. S’il m’arrivait aujourd’hui ce qu’il s’est passé il y a 17 ans, j’aurais réagi immédiatement. »
Roseline Sarkissian, avoue, elle, avoir eu à connaître des pratiques de harcèlement en politique, sans être visée personnellement. « J’ai dispensé des conseils. L’auteur n’a plus, à ma connaissance, poursuivi ses agissements. »
Mais comment le législateur peut-il influer sur le sujet ? « Nous sommes au début de la réflexion, assure Aude Luquet, alors qu’un projet de loi contre les violences sexistes et sexuelles est en préparation par le gouvernement. Le harcèlement de rue, sur lequel il est compliqué de légiférer, doit être clairement verbalisé juridiquement. Mais il ne faut pas non plus oublier tout ce qui est du ressort de l’inceste psychique par exemple, qu’on ne sait pas traiter en France. »
« Nous disposons d’un arsenal pénal important, insiste Roseline Sarkissian. Mais il n’est pas assez utilisé et quand les femmes déposent plainte cela débouche encore trop souvent sur des classements sans suite, faute de preuves matérielles. »