Le Pays Briard

Les politiques victimes racontent

- Nicolas FILLON

Sur les réseaux sociaux, les témoignage­s de femmes ayant subi du harcèlemen­t sexuel se sont multipliés depuis une semaine. Nombreuses sont celles à avoir réagi au hashtag #balanceton­porc sur Twitter, parmi lesquelles des politiques.

« Un maire qui me saute dessus dans sa voiture, sur un parking, en me disant qu’« il faut changer d’herbage de temps en temps ». » Suivi du désormais fameux mot-dièse #balanceton­porc, Aude Luquet, en moins de 140 signes, a elle aussi franchi le pas.

Après l’affaire Harvey Weinstein, du nom du célèbre producteur de cinéma américain accusé d’agressions sexuelles et de viol, la députée (MoDem) de la 1ère circonscri­ption de Seineet-Marne a relaté son expérience pour la première fois en public pour dénoncer le harcèlemen­t dont elle a été victime. Elle rejoint ainsi le mouvement viral lancé sur Twitter il y a plus d’une semaine maintenant.

« Ça s’est passé il y a 15 ans, j’en avais 33, raconte-t-elle. Je n’étais pas encore élue mais je travaillai­s déjà dans le monde politique. À l’époque, je n’en avais parlé à personne, car en tant que femme, il y a toujours un sentiment de culpabilit­é quand ce genre de choses nous arrive. J’ai tellement été choquée que je n’ai rien dit, même à mon compagnon d’alors, avec qui j’ai mis du temps à finalement évoquer cet épisode. Il a tout de même fallu, un moment après les faits, que je menace de déposer plainte auprès de mon agresseur qui commençait à balancer des ragots à mon encontre. »

Pour Roseline Sarkissian, conseillèr­e régionale (PS) et élue d’opposition à Fontainebl­eau, c’était il y a un peu plus de 10 ans. Alors jeune étudiante, elle est victime de « propos salace », « voyeurisme » et « violation de domicile ». « Cette libération de la parole est positive, pour les personnes elles-mêmes et parce qu’elle permet de mesurer collective­ment l’ampleur du problème, dit-elle. Je me félicite qu’elle entraîne une recrudesce­nce des prises de contact auprès des organismes et associatio­ns dédiés qui vont leur permettre de qualifier les actes décrits et de les accompagne­r dans leurs démarches en particulie­r quand ceux-ci relèvent du pénal ou sont sanctionné­s par le Code du travail. »

Aude Luquet avoue avoir été l’objet d’autres faits de harcèlemen­t, mais celui qu’elle décrit sur Twitter reste « le plus marquant » selon elle. Et constitue un symbole des relations « peu

évidentes » entre hommes et femmes, notamment dans le milieu politique.

« Lorsque l’on entretient des rapports sympathiqu­es et cordiaux avec eux, les hommes politiques ont tendance à se dire qu’ils ont une ouverture pour que ça aille plus loin alors que ça n’est pas le cas, analyse-t-elle. Le parfum du pouvoir et le complexe de supériorit­é qui émanent de notre milieu tendent à accentuer tout ça. Et lorsqu’une femme tient tête en refusant les avances, son interlocut­eur va tout de suite penser qu’elle n’est pas sympa et va le lui faire payer, aussi bien par les actes que par les mots. D’où le sentiment de culpabilit­é. »

« Libération de la parole » « Omerta »

De quoi faire dire à Aude Luquet qu’il est « très difficile » pour une femme politique de « trouver la bonne posture » pour se faire respecter et « éviter toute ambiguïté ». Et si elle a décidé de faire partie des milliers de témoignage­s d’anonymes ou de personnali­tés publiques qui affluent sur la Toile, c’est aussi pour « briser l’omerta ». « Il faut dénoncer coûte que coûte quand on est victime, même si l’on a peur des représaill­es, affirme la députée MoDem. Il faut aussi dire qu’avec le temps qui passe et les années qui s’accumulent, on apprend à se défendre. S’il m’arrivait aujourd’hui ce qu’il s’est passé il y a 17 ans, j’aurais réagi immédiatem­ent. »

Roseline Sarkissian, avoue, elle, avoir eu à connaître des pratiques de harcèlemen­t en politique, sans être visée personnell­ement. « J’ai dispensé des conseils. L’auteur n’a plus, à ma connaissan­ce, poursuivi ses agissement­s. »

Mais comment le législateu­r peut-il influer sur le sujet ? « Nous sommes au début de la réflexion, assure Aude Luquet, alors qu’un projet de loi contre les violences sexistes et sexuelles est en préparatio­n par le gouverneme­nt. Le harcèlemen­t de rue, sur lequel il est compliqué de légiférer, doit être clairement verbalisé juridiquem­ent. Mais il ne faut pas non plus oublier tout ce qui est du ressort de l’inceste psychique par exemple, qu’on ne sait pas traiter en France. »

« Nous disposons d’un arsenal pénal important, insiste Roseline Sarkissian. Mais il n’est pas assez utilisé et quand les femmes déposent plainte cela débouche encore trop souvent sur des classement­s sans suite, faute de preuves matérielle­s. »

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(© Capture d’écran Twitter) Les élues seine-et-marnaises Aude Luquet et Roseline Sarkissian ont participé au mouvement viral du hashtag #balanceton­porc sur Twitter.

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