Le Pays Briard

Inspiré de Tchekov ou imprégné des Romanov

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Nikita, de la librairie-maison de la presse Les Deux Muses, à Coulommier­s, s’est penchée sur le dernier Patrick Modiano, Nos débuts dans la vie. Quant à Chloé, de la librairie Au Chapelier lettré, à Faremoutie­rs, elle a choisi d’amorcer l’année 2018 avec Kamarades, une BD en trois tomes qui prend place dans les contrées glaciales russes du XXe siècle. de Patrick Modiano

Elle sort du théâtre et elle s’agrippe à mon bras… Elle me dit que le metteur en scène, Savelsberg, est venu à l’entracte dans sa loge pour lui proposer le rôle de Nina dans La Mouette, la saison prochaine… Elle ne comprend pas… Savelsberg se déplaçant pour la voir, elle, une débutante, dans une reprise de Noix de coco et lui proposant de jouer Tchekov ? Nous montons la rue Blanche sous cette couche de neige… Comme dans un rêve…

« Pour Patrick Modiano, c’est du théâtre cette fois ! Autobiogra­phie ou fiction, telle est la question. Nous suivons Jean, 20 ans, qui ne rêve que de devenir écrivain et de terminer son manuscrit qu’il chérit tant, et Dominique, une jeune femme qui se rêve actrice. Il y a aussi Elvire, la mère de Jean qui voudrait elle aussi jouer « la Mouette » de Tchekov, comme son fils, et que Jean s’efforce de fuir et d’autres encore qui prêtent leur voix aux souvenirs de ce jeune homme…

Illusions, rêves, désirs, un petit livre qui, grâce à son contenu peu épais, permet une lecture puis une relecture, encore et encore jusqu’à épuisement. Encore un bravo Monsieur Modiano ! »

Nos débuts dans la vie

Kamarades

de Benoît Abtey, JB Dusséaux & Goust Mayalen

1917. La Russie est à un tournant de son Histoire : le règne des Romanov est fragile, les bolcheviqu­es menacent, la foule gronde… Volodia, soldat de l’armée impériale, ne tarde pas à rejoindre le camp des révoltés aux côtés de Staline. C’est sans compter sur son amour pour la belle Ania qui se révèle être Anastasia, la princesse cadette du Tsar Nicolas II…

« Les Romanov et leur sort tragique ont, de tout temps, fasciné. Peut-être parce que leur fin macabre à la Villa Ipatiev était-elle trop cruelle et brutale pour être acceptée, nombreux sont les artistes à avoir imaginé la survie du tsar et sa famille. Les studios de la Fox avec le dessin animé culte Anastasia, John Boyne avec Ne m’appelle plus Anastasia, Steve Berry avec Le Complot Romanov…

Dans Kamarades, une fois encore, Anastasia échappera au massacre, luttera pour survivre et aimera - passionném­ent. Rien de bien original me direz-vous. Pourtant, la trilogie tire réellement son épingle du jeu !

En premier lieu, sur la forme : le trait abstrait de Goust Mayalen fait des merveilles ! Le style est délicat, épuré ; l’illustratr­ice effectue aussi un véritable travail de couleurs à chaque planche : sur des teintes résolument froides, glaciales ou ternes presque en noir et blanc (les murs, la neige, les uniformes), le rouge tranche de façon visible (la chevelure d’Ania, le rouge des communiste­s, le sang). Tout cela est d’une beauté à couper le souffle, Mayalen réussit l’exploit à sublimer chaque scène, y compris les plus sombres.

Ces scènes qu’elle illustre sont celles de Benoît Abtey et JeanBaptis­te Dusséaux, les auteurs de Kamarades. Le duo a pris le parti de nous conter la révolution à échelle humaine et surtout, à travers le regard d’un couple amoureux et très attachant. Volodia et Ania n’ont rien des amants niais que nous délivre parfois la littératur­e : pour être ensemble, ils ne vont pas hésiter à aller à l’encontre de leurs conviction­s, à mentir, à s’exiler et enfin, à tuer. Abtey et Dusséaux dressent des portraits en clairobscu­r, complexes - un ton qu’ils adopteront pour l’ensemble de leur oeuvre. Ainsi, très vite, l’intrigue ne souffre d’aucun manichéism­e : les blancs comme les rouges ne sont pas épargnés et les pérégrinat­ions de Volodia à travers l’Europe seront la source de nombreuses rencontres, positives ou non.

Fascinés par l’Histoire qu’ils explorent avec talent, Abtey et Dusséaux ont aussi pris un malin plaisir à truffer leurs récits de personnage­s réels. Le lecteur croise ainsi Staline (principal antagonist­e de Kamarades), Lénine, le général Kornilov, Adolf Hitler, l’auteur André Malraux, le peintre Boris Kustodiev.

L’introducti­on de cette trilogie, La fin des Romanov, est si parfaite en termes de rythme, de personnage­s et de souffle historique que ses suites, d’avantage axées sur la fiction, semblent légèrement en dessous. C’est surtout le cas pour la conclusion, Terre Promise : le dénouement paraît forcé, d’un idéalisme de mauvais goût face au ton volontiers réaliste adopté dans le tome I… De plus, l’intrigue se veut inutilemen­t alambiquée et un énième retourneme­nt de situation n’aide en rien.

Kamarades reste néanmoins une belle bande dessinée, sur le fond comme sur la forme, porté par le couple Ania/Volodia. D’ailleurs, comme l’affirme ce dernier : Mais vous le savez bien, tout est permis, même l’invraisemb­lable… pourvu qu’il soit crédible. »

■ Kamarades, série en 3 tomes : scénario de Benoît Abtey & Jean-Baptiste Dusséaux, dessin de Goust Mayalen aux Éditions Rue de Sèvres (60 pages, 13,50 €)

■ Nos débuts dans la vie, de Patrick Modiano, édition Gallimard (96 pages, 12 €)

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Nikita avec, en mains, le dernier Patrick Modiano, et Chloé, qui s’est mise aux couleurs de Kamarades !

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