Le Pays Briard

Pédophilie : « Pour l’État, l’enfant, c’est la dernière roue du carrosse »

Son spectacle « les chatouille­s », a reçu le Molière du meilleur seul(e) en scène, en 2016. Andréa Bescond y raconte son histoire, celle d’un lourd secret familial, les viols par un ami de la famille. La comédienne sera sur les planches de la Coupole à Co

- Propos recueillis par Vanessa RELOUZAT

Votre spectacle traite du sujet des abus sexuels sur mineurs, une oeuvre autobiogra­phique. À partir de quand avez-vous ressenti le besoin d’en parler ?

J’ai écrit cette pièce alors que j’attendais mon deuxième enfant. Il fallait que ça sorte et puis, j’avais envie de jouer un spectacle seule, de me prêter à cet exercice de changement de personnage­s aussi pour l’aspect artistique. Pas seulement pour le sujet. Je n’avais pas du tout conscience à ce moment-là du fléau que c’était. J’avais l’impression que j’étais seule au monde. Et à partir du moment où j’ai commencé à jouer cette histoire, à Avignon, en 2014, j’ai compris à quoi je me mesurais. Des milliers de personnes se sont identifiée­s à Odette. Des spectateur­s sont venus me voir en me disant « l’histoire des chatouille­s, c’est la mienne. Par les viols, par le déni familial et par l’ignorance totale de la société ». Je ne m’attendais pas à ça. Pourquoi n’avez-vous pas ressenti le besoin de vous exprimer sur ce sujet avant ?

J’ai communiqué par la danse très tôt. C’est la danse qui m’a portée et sauvée. J’ai commencé à verbaliser mes émotions quand j’ai rencontré Eric Meteyer en 2008. C’est rare que des victimes puissent sortir des souvenirs concrets. L’amnésie traumatiqu­e est fréquente. Personnell­ement, j’ai un peu occulté sans avoir jamais vraiment oublié et puis ça m’est revenu à l’âge de 17 ans, quand je commençais à avoir des relations sexuelles. Mais j’ai attendu 32 ans pour vraiment m’exprimer artistique­ment.

Êtes-vous totalement débarrassé­e de votre colère aujourd’hui ?

Ma colère ne se situe plus sur mon problème personnel mais sur le problème sociétal. Le fait de me plonger dans le combat pour essayer, à ma petite échelle, de faire bouger les lignes comblent une solitude. Mais je suis vraiment en colère lorsque je lis le déni général des violences sexuelles sur mineurs.

En effet, au Sénat, au moment de se confronter au dossier des violences sexuelles sur mineurs, 30 sénateurs sur 348 étaient présents seulement. Selon vous, pourquoi cette question de la pédophilie n’intéresse pas le gouverneme­nt ?

Je crois qu’il y a, dans les très hautes sphères, des gens que ça concerne. On vit dans un pays où persiste cette notion de consommati­on du mineur. En 1982, Daniel Cohn-Bendit, chez Bernard Pivot disait ne pas être indifféren­t face à une petite fille de 5 ans en train de se déshabille­r. Et personne n’a relevé. Frédéric Mitterrand pratique ouvertemen­t le tourisme sexuel.

En politique, l’enfant ne représente pas un électorat. Après l’affaire Weinstein, on commence à s’intéresser aux violences sexuelles sur les femmes. C’est un combat, évidemment, que je ne renie pas. Au contraire. Mais ces femmes votent, elles. Tous les jours, deux enfants meurent en France de maltraitan­ce. Un enfant sur 5 est confronté à des violences sexuelles, selon les chiffres du Conseil de l’Europe. Mais pour les politiques, il y a d’autres sujets à traiter qui sont plus porteurs. C’est symptomati­que quand on voit qu’on n’a même pas de ministère de l’Enfance. On est dans une société qui dénigre l’enfant, cette dernière roue du carrosse.

Les chiffres ont de quoi donner le tournis.

Une femme sur 4 et un homme sur 6 déclarent avoir été violés. Et encore, je suis persuadée qu’on reste en deçà des chiffres réels car il y a ceux qui ne parlent pas. Après chaque représenta­tion, je suis hallucinée du nombre de personnes qui viennent me voir ou qui m’écrivent sur les réseaux sociaux. C’est sys-té-ma-ti-que !

Pourtant vous avez choisi de faire rire le spectateur avec un thème grave. Pourquoi ce choix de l’humour ?

Parce qu’on ne peut pas survivre sans rire. La vie peut être violente mais elle est belle. Ce n’est pas parce qu’on a vécu l’horreur qu’on ne peut pas rire, être joyeux. Dans « Les chatouille­s », on rit beaucoup de la violence humaine, il y a beaucoup de sarcasme et de second degré. Il y a des choses dont on rit à notre insu.

Le prénom du rôle principal, Odette, rend-il hommage à la danse classique ?

En effet, j’ai choisi Odette, comme le cygne blanc du lac des cygnes, celui qui meurt d’amour. Ce qui me plaît dans ce prénom d’Odette, c’est ce rapport à la danse mais aussi qu’elle représente le cygne noir et le cygne blanc. Odette est aussi lumineuse qu’elle est sombre. Aussi triste qu’elle est drôle. Ces opposés qui constituen­t généraleme­nt les victimes de viols. Elles peuvent être souvent extrêmemen­t vivantes, altruistes et joyeuses, et en même temps, avec une tristesse infinie. C’est pour cela qu’on parle d’une petite mort. Quelque chose est éteint, déshumanis­é à partir du moment où on a été violé, enfant.

Selon vous, quel serait le délai idéal de prescripti­on ?

On devrait pouvoir porter plainte toute sa vie ! Aujourd’hui, on chipote. On augmente de 5 ans tous les 15 ans. Cette année, on va peut-être passer à 30 ans après la majorité en ce qui concerne les crimes. Mais, en 2017, la France a clairement envoyé un message d’impunité aux agresseurs avec la question du consenteme­nt. À partir du moment où la victime est en état de sidération, elle ne va pas manifester de refus face à un adulte qui demande de baisser la culotte. L’enfant ne peut pas crier, ni dire non. Aujourd’hui, on se bat sur la notion de consenteme­nt qui est totalement hallucinan­te.

Vous allez bientôt porter votre message sur grand écran avec adaptation cinématogr­aphique de votre pièce.

En effet, le spectre s’élargit. Nous avons fini le montage. Le film, qui rassemble notamment Karin Viard et Clovis Cornillac, sortira le 26 septembre. Avec le cinéma on va toucher un plus large public. Certains croient que ça n’arrive qu’aux autres mais ça arrive à tout le monde.

RENSEIGNEM­ENTS « Les chatouille­s ou la danse de la colère », vendredi 12 janvier, à 20h30, à la Coupole, à Combs-la-Ville. Tél. 01 64 88 99 36.

 ?? ©Christophe Raynaud de Lage (©DR) ?? Robin Renucci, comédien et directeur des Tréteaux de France. La danseuse et comédienne Andréa Bescond a obtenu le prix d’interpréta­tion féminine d’Avignon Critique Off Mathieu Madénian.
©Christophe Raynaud de Lage (©DR) Robin Renucci, comédien et directeur des Tréteaux de France. La danseuse et comédienne Andréa Bescond a obtenu le prix d’interpréta­tion féminine d’Avignon Critique Off Mathieu Madénian.

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