Le Pays Briard

Une agoraphobe qui en sait long et le témoignage d’une femme du siècle

Deux choix très différents pour nos deux libraires briardes cette semaine. Pour Nikita, un thriller à dévorer ; pour Chloé, le témoignage sans tabou - Shoah, survivance et sexualité - d’une rescapée des camps de concentrat­ion.

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de AJ Finn

Séparée de son mari et de leur fille, Anna vit recluse dans sa maison de Harlem, abreuvée de merlot, de bêtabloqua­nts et de vieux polars en noir et blanc. Quand elle ne joue pas aux échecs sur internet, elle espionne ses voisins. Surtout la famille Russell – un père, une mère et un adorable ado – qui vient d’emménager en face. Un soir, Anna est témoin d’un crime. Mais comment convaincre la police quand on doute soi-même de sa raison.

Avec son premier roman, l’Américain A.J. Finn fait une entrée fracassant­e dans le monde du thriller.

Vendu dans plus de trentehuit pays en un temps record, La Femme à la fenêtre s’annonce comme le phénomène éditorial de 2018. La Fox est déjà en train de l’adapter pour le grand écran.

Dans ce roman, « un mélange entre un bon Hitchcock et Une incroyable Histoire de William Irish, selon Nikita, de la librairie-maison de la presse les Deux Muses de Coulommier­s, Anna va devenir la seule témoin d’un drame, d’un crime affreux, alors qu’elle est agoraphobe et ne peut et ne veut pas sortir de sa maison sous aucun prix !

Mais comment pourra-t-elle convaincre le reste du monde qu’elle dit la vérité quand on est perçu, à juste titre, comme une alcoolique droguée ?

Pour le savoir, il faut dévorer ce roman sans plus attendre ! »

de Marcel ine Loridan- Ivens avec la collaborat­ion de Judith Perrignon

A bientôt 90 ans et presque aveugle, Marceline Loridan-Ivens se remémore son retour au quotidien après avoir subi adolescent­e l’horreur des camps… Par le prisme d’une valise contenant quelques centaines de lettres et de photograph­ies d’amis et d’amants, elle retrace son parcours. Car comment vivre, aimer, désirer et prendre du plaisir lorsque la nudité est irrémédiab­lement associée à l’abjection nazie…

« L’amour après est un portrait de femme, l’un des plus beaux qu’il nous ait été donné de lire ; un portrait de corps et de coeur, avertit Chloé, de la librairie Au Chapelier Lettré située à Faremoutie­rs. L’adolescenc­e et la puberté, Marceline Loridan-Ivens les vit derrière des barbelés, à Birkenau. Elle a quinze ans. Dès lors, l’image de son corps est détruite, la mise à nue « à jamais associée […] à l’ordre d’un nazi, à son regard humiliant tandis qu’on [leur] rasait la tête et le sexe, à son verdict : la mort ou le sursis. »

À la Libération, comment se reconstrui­re ? Le corps n’existe plus, le désir est totalement nié dans le cercle des survivants… Marceline Loridan-Ivens décide, elle, de prendre le contre-pied de ce que sa famille et la société exigent d’elle : un mariage et de la discrétion. Elle couche pour désobéir, revendique­r son indépendan­ce, reprendre possession de son corps. Le sexe se fait pragmatiqu­e, sans plaisir, un moyen de brandir sa liberté de corps, alors que la tête aspire à la romance, au prince charmant. Elle a soif de tout : de savoir, de liberté, de sexe, de vivre, tout simplement. Éviter la malédictio­n familiale qui semble empoisonne­r sa famille entre un père jamais revenu des camps et une fratrie autodestru­ctrice, alors qu’elle-même réchappe à deux tentatives de suicide.

La plume de l’auteur ressemble à Marguerite Duras : il y a ce style vif et incisif, les confession­s sans concession aucune et pourtant si pudiques. Son témoignage n’est ni larmoyant ni dans la surenchère. Il y a beaucoup de respect lorsqu’elle évoque ses amants, même si elle avoue en avoir oublié certains, et ceux sur lesquels elle s’attarde plus volontiers, qui marque sa vie ou son oeuvre, parfois les deux : le réalisateu­r Jean-Pierre Sergent, amant et ami de toujours ; l’au- teur Georges Perec ; Francis Loridan, mari qui ne veut rien savoir de sa part d’ombre. Et enfin, son grand amour en la personne du réalisateu­r de documentai­res Joris Ivens, de trente ans son aîné, celui qui lui donnera des «axes», salutaire.

Avec nous, Marceline LoridanIve­ns se remémore les courriers, retrouve des fragments de son passé dans une vieille valise (sa valise d’amour comme elle se plaît à l’appeler) - ses souvenirs, des lettres qu’on lui a écrites ou qu’elle a rédigées sans les envoyer. Lettres où la déportatio­n n’est pas mentionnée, tabou comme le plaisir - l’horreur et l’extase semblent devoir disparaîtr­e totalement du quotidien des survivants, comme si leurs existences devaient se résumer à vivoter sans jamais pleinement affronter les sentiments les plus forts. Marceline Loridan-Ivens choisit de mener une existence opposée : ni enfant, ni ménage tranquille, elle vit au jour le jour et sans concession, quitte à en rajouter, pour dissimuler sa peur farouche, sa haine de son corps et son manque de confiance en elle.

Entre le chemin de ses amants et le sillage houleux de sa reconstruc­tion, entre ses combats politiques et personnels, il y a aussi ses amies, soutiens de toujours, éloignées par la vie ou inexorable­ment liées : Bébé et Caramel, jeunes filles égarées tout comme elle ; Jacqueline Wolf, amie et auteure également ; et bien sûr l’inoubliabl­e Simone Veil. Des amies qui l’accompagne­nt, tant bien que mal, avec leurs propres blessures. Portrait d’une époque, portrait de moeurs, portrait de survivante, portrait de la complexité sexuelle, portrait de femme, tout simplement. Et quelle femme ! »

■ Aj Finn : La femme à la fenêtre, aux éditions des Presses de la Cité. 528 pages. 21,90 €.

■ Marceline Loridan-Ivens & Judith Perrignon : L’amour après aux Éditions Grasset. 162 pages. 16 €i

La Femme à la fenêtre

L’amour après

 ??  ?? Nikita, des Deux Muses, et le premier thriller d’Aj Finn, La Femme à la fenêtre.
Nikita, des Deux Muses, et le premier thriller d’Aj Finn, La Femme à la fenêtre.
 ??  ?? Chloé, du Chapelier Lettré, avec son coup de coeur du moment, L’amour après.
Chloé, du Chapelier Lettré, avec son coup de coeur du moment, L’amour après.

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