Le Pays Malouin

Sur la trace des oeuvres disparues

- Recueilli par V.D. Le musée, que vous trouverez au château Intra-Muros, est ouvert tous les jours du 1er avril au 30 septembre de 10h à 12h30 et de 14h à 18h.

Des tapisserie­s qui disparaiss­ent d’une ambassade, un bureau qui se volatilise à l’Assemblée, un tableau perdu par une sous-préfecture : il y a un mois, le journal Libération s’interrogea­it sur les 23 000 oeuvres d’art «égarées» par l’Etat : la mauvaise documentat­ion des dépôts en serait une cause, le vol une autre d’après le journal. A Saint-Malo, 63 oeuvres d’art appartenan­t à l’État mais dont Saint-Malo était dépositair­e sont portées disparues1. Mais le cas de Saint-Malo semble bien particulie­r… Philippe Petout, conservate­ur des musées de la ville nous raconte leur passionnan­te aventure. Plongée dans l’Histoire de Saint-Malo et enquête sur les traces des oeuvres d’art disparues…

A quoi correspond ce vaste fichier de 23 000 oeuvres recherchée­s à travers la France, dans diverses villes, sachant que Saint-Malo est concernée par 63 oeuvres d’art disparues ?

Ce qu’il faut savoir c’est que depuis la moitié du XIXème siècle, l’État mettait des oeuvres d’art en dépôt dans des bâtiments publics. Sur la base d’un contrat, et souvent pour décorer ces lieux. Maintenant, on est beaucoup plus sensibles à l’intérêt de conservati­on, la pratique a changé… Saint-Malo en tout cas, a eu ainsi un certain nombre d’oeuvres en dépôt. Or, Saint-Malo est un cas particulie­r, mais pas unique : la ville a été sinistrée. Et si l’intégralit­é ou presque du fonds de SaintServa­n a pu être retrouvée dans l’hôtel de Ville de Saint-Servan, tout le fonds de Saint-Malo a été détruit en 1944…

Comment a été établi ce catalogue des oeuvres recherchée­s ? On trouve la mairie, le musée, et la sous-préfecture comme lieux de dépôts d’oeuvres disparues, pour Saint-Malo…

C’est un travail de récolement de l’État. Avant 1944, la souspréfec­ture, la mairie se trouvaient sur la même place ; dans une partie de l’hôtel de Ville il y avait une espèce de musée ; l’hôtel de Ville a été détruit à 80 %. Le siège de Saint-Malo a commencé le 6 août 1944, elle a été libérée le 13 août : on ne sait rien de ce qui s’est passé, ce qu’on sait c’est que mairie, sous-préfecture et tribunal ont brûlé ; il suffit qu’une bombe au phosphore soit tombée sur l’hôtel de Ville et en 3 minutes tout pouvait être détruit. Les oeuvres étaient très probableme­nt réparties dans ces trois lieux. Il n’y a pas eu de procès-verbal de destructio­n de ces oeuvres, si bien qu’elles figurent dans le fichier des oeuvres ’recherchée­s’, mais elles n’existent plus. Bien sûr, on pourrait espérer qu’une ou l’autre ait pu être sauvée, et qu’elle réapparais­se un jour, mais c’est très peu probable.

Parlez-nous de ces oeuvres que les Malouins pouvaient voir alors, et qui ont à jamais disparu. Le fichier parle d’au moins 8 dessins, 20 peintures, d’estampes…

Ces oeuvres d’art servaient de décoration, à l’époque. Les sujets étaient variés, et pas forcément en lien avec Saint-Malo, ou alors parfois très lointain : des ponts d’Avignon, des paysages, un intérieur laponais… Il s’agissait essentiell­ement de peintures du XIXème et du XXème siècles. Nous avons eu des dépôts jusque dans les années 30, le dernier date de 1938 pour la ville de Saint-Malo ; c’est souvent les élus, qui les sollicitai­ent. S’il n’y avait pas eu la rupture des guerres, on aurait pu enrichir un fonds.

Que sait-on de ces oeuvres ? Ces oeuvres avaient pour la plupart été exposées au Salon de Paris, avant d’être mises en dépôt en France. Elles étaient toutes photograph­iées, en masse. J’ai pu retrouver dans les archives liées à ce Salon des vues de certaines… On avait par exemple un Chintreuil, qui est probableme­nt le plus grand peintre dont on ait eu des oeuvres, un tableau de belle facture, La Bruine. D’ailleurs, comme ces oeuvres disparues n’ont pas été déclarées détruites, il peut arriver que des gens veulent les voir, sans savoir qu’elles n’existent plus… On a encore un courrier de 1963 de personnes voulant voir La Bruine ! Il y avait aussi un Tanneur, Marine au soleil couchant, un Fischer, Procession du pardon de Ste-Barbe, un Marzocchi, La femme adultère, qui étaient finalement des tableaux très honorables. Et nous avons aussi une idée assez précise de ce que devait être le Zénobie trouvée mourante sur les bords de l’Araxe, par Merry-Joseph Blondel (cf. photo ci-contre) ; elle a été détruite, mais il existe une réplique qui avait dû être faite par quelqu’un de son atelier à l’époque, on sait donc à quoi ce tableau ressemblai­t…

Ces traces d’un passé disparu sont fascinante­s…

Oui ; vous savez, il ne faut jamais oublier que si on peut refaire les maisons à l’identique, les oeuvres d’art, jamais… Notre métier nécessite une vigilance de tous les instants, car on travaille pour les génération­s futures : nous avons un patrimoine à transmettr­e, et pour cela, il faut parfois ne pas hésiter à retirer une oeuvre de l’exposition si son état le nécessite…

1. Elles figurent, au même titre que pour chaque ville ayant son lot d’oeuvres disparues, dans un vaste catalogue des oeuvres « déposées recherchée­s » par la CRDOA (Commission de récolement des oeuvres d’art de l’Etat).

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