Le Pays Malouin

L’enfance de Jean-Baptiste Charcot

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Cet été, en collaborat­ion avec l’associatio­n « Histoire et Patrimoine du Pays de Dinard - Rance Emeraude », Le Pays Malouin publie chaque semaine une tranche de la vie de l’explorateu­r et scientifiq­ue Jean-Baptiste Charcot, en hommage au 80e anniversai­re du naufrage du « PourquoiPa­s ? », survenu le 16 septembre 1936. Retour cette semaine sur son enfance.

Né le 15 juillet 1867, à Neuilly-sur-Seine, où vit encore aujourd’hui dans la maison familiale sa petite-fille Anne-Marie Vallin-Charcot, Jean-Baptiste, Etienne, Auguste Charcot est le fils du professeur Jean-Martin Charcot, célèbre neurologue et petits-fils de charron.

A l’été 1869, Jean-Baptiste Charcot apprend que son oncle Eugène, le marin, a subi un naufrage (funeste présage !) dont il réchappe. Le 8 juillet 1869, membre de la colonne expédition­naire du Cayor, au Sénégal, il disparaît au cours d’une charge endiablée trouvant une mort glorieuse. Un Charcot, marin naufragé et patriote compte désormais parmi les conquérant­s français de l’Afrique. Jean-Baptiste Charcot a deux ans.

Pendant la Guerre de 1870, les Charcot ne veulent pas rester dans Paris infesté de rats et ont à Londres des amis d’origine italienne, les Casella, qui les pressent de venir chez eux. Ainsi la traversée de la Manche sera la première vision de la mer qui, plus tard, fascinera le jeune Charcot.

En 1871, Jean-Baptiste n’a que quatre ans et déjà il a entendu maudire les Prussiens, exalter les Irlandais, il a traversé la mer, il n’a pas pleuré devant les grandes vagues vertes de la Manche ; il a vu Londres et ses cabs, parlé allemand, anglais, français avec sa famille. Quelle somme d’expérience­s pour un si jeune enfant !

Monsieur Pourquoi Pas

M. Casella, l’ami de Londres, lui donne le goût de la marine. Le jeu favori du petit Jean consiste à faire naviguer pendant des heures un bateau jouet sur le minuscule bassin tortueux de Neuilly.

On entend ses rires heureux dans tout le jardin. « Seras-tu donc marin petit Jean ? » - « Pourquoi Pas ? » répond-t-il avec assurance.

« Quand j’étais enfant, je raisonnais sans arrêt et avec l’esprit le plus rebelle, toutes les fois que l’on me disait de ne pas faire quelque· chose, je me dressais sur mes petits ergots et je demandais agressivem­ent : pourquoi pas ? Bientôt, je ne fus plus connu dans ma famille que sous le nom ironique de Monsieur Pourquoi Pas. De là le nom de mon bateau. »

Un matin, le jeune JeanBaptis­te Charcot, âgé de 8 ans, armé d’une vieille caisse à savon, sur le côté de laquelle il a peint les mots qui bravent le destin : « Pourquoi Pas ». En tapinois, il franchit d’une enjambée l’avenue et le voici au lac St James à Neuilly. Le Petit Jean met sa caisse à l’eau, y grimpe et vogue. La navigation commence parmi les nénuphars, mais la caisse fait eau. L’expédition risque de mal finir. Jean est déjà tout trempé. Il en sera quitte pour une solide fessée. Personne ne se doute d’ailleurs qu’il s’agit de la première croisière d’un illustre navigateur, mais aussi son premier naufrage.

« Je veux être marin »

« Papa, je veux être marin », clame-t-il à son illustre père ; mais sous un abord un peu sévère, le professeur cache un coeur tendre, il ne souhaite pas voir son fils unique quitter la maison pour des randonnées lointaines. « Trève d’enfantilla­ges, tu seras médecin. Tant que tu n’auras pas ton diplôme en poche tu m’obéiras, ensuite tu feras ce que tu voudras ». Cruel dilemme !

Mais tandis que le Professeur Charcot, absorbé par ses études, dédaignait les avantages corporels, son fils, Jean, taillé en athlète, avait la fierté de sa force, il la cultivait, il la dépensait généreusem­ent, par plaisir, pour lui-même, pour les autres ou mieux encore pour une idée. À juste titre, on a souligné la simplicité de ses goûts. Elle pouvait surprendre, en effet, car il avait été élevé dans un entourage luxueux, mais chez les Charcot, « la simplicité était de règle dans la famille et on nous l’inculquait ».

Le 4 octobre 1876, Charcot entre à l’Ecole Alsacienne fondée en 1874. Cette école réputée va le forger ; il y sera extrêmemen­t attaché car on y professe une grande tolérance religieuse. Jean-Baptiste ne sera pas un élève moyen, mais il aura le prix de camaraderi­e.

L’idée dominante de sa jeunesse et de toute sa vie est de porter dignement le nom glorieux dont il est héritier. « En médecine, je ne serai jamais que le fils du Grand Charcot », disait-il à ses amis. « Etant le fils de Papa, je n’ai pas voulu être le fils à Papa », écrit-il plus tard à son ami Vaudremer.

Mascarades et charades

Chaque mardi soir, les Charcot reçoivent boulevard SaintGerma­in le Tout-Paris politique, scientifiq­ue, intellectu­el. La jeune bande des amis de Jean-Baptiste demeure passé minuit et s’en donne à coeur joie : mascarades, charades. Jean est le plus ardent à ces parties. Grand mystificat­eur, il ne craint pas d’épater le bourgeois. Un jour, il installe dans un pousse-pousse que lui a donné Savorgnan de Brazza un épouvantai­l et le promène à l’heure élégante dans l’avenue des Acacias. Ou bien, déguisé en cow-boy, il la parcourt au grand galop, effrayant les cavaliers tirés à quatre épingles.

Déjà, il a cette horreur du snobisme qu’il gardera toute sa vie.

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