Jean-Yves Bordier, passion beurre salé

(1/3) Cet été, le Pays Malouin vous propose une série de portraits de ceux qui portent haut et loin les couleurs de la gastronomie malouine. Cette semaine place à Jean-Yves Bordier artisan beurrier à Saint-Malo.

Jean-Yves Bordier a la jovialité et la gouaille propre aux artisans. Quand on le retrouve ce matin-là devant la Maison du beurre fief de l’entreprise familiale, IntraMuros c’est en compagnie des commerçants de la rue dont Gilles le poissonnier, l’ami de toujours qu’on retrouve JeanYves Bordier en train de prendre son p’tit noir avant de commencer sa journée. « Par quoi voulez-vous qu’on commence ? ». Par le début.

Les halles de paris

Tout commence donc dans la fromagerie familiale à SaintMaur en région parisienne. Il se rappelle accompagner son père à l’âge de six ans dans les halles de Paris le matin : « Ca grouillait, ça discutait. Il y avait des chaises de coiffeurs alignés. Les gens se faisaient couper les cheveux là entre deux rendez-vous et les putes venaient prendre un café entre deux passes, c’était vivant et on donnait à manger à ceux qui étaient dans la rue. A cette époque personne ne mourrait de faim », se souvient-il.

Artisanat fait maison

De cette époque il a gardé la passion de l’artisanat et du fait maison. Pourtant il ne se destinait pas à ça. Ce parisien qui passait ses vacances à Bénodet chez sa grand-mère voulait naviguer. Il s’inscrit donc dans une école de la marine marchande mais à cette époque, il découvre « la bière et les filles ». Il rate donc naturellement son examen. Il décide de reprendre le flambeau familial et de devenir fromager comme son père. Il part ouvrir une fromagerie à Lannion pour suivre une femme dont il était tombé amoureux.

Un beurre avec du goût

Et puis direction Saint-Malo pour reprendre la crèmerie de la rue de l’Orme ouverte en 1927. Il décide alors de faire du beurre. Du vrai. Le beurre Bordier est fait maison. Il faut près de 72h pour préparer un beurre baratte quand il est fait en moins de 6h dans l’industrie. « On reconnaît un beurre baratte aux petites gouttes d’eau qui ressort de la plaquette. Ça, ça veut dire que c’est un bon beurre ». Quel est son préféré ? le beurre doux, celui qui sort avant qu’on ne le sale. La matière première. Le produit brut. Un beurre qu’il ne sale qu’avec du sel fin. « Les industriels qui vendent du sel au beurre de Guérande, c’est pour masquer un manque de goût », sourit-il.

Très vite, les beurres aromatisés sont arrivés. Comme toutes les bonnes idées, celle-ci lui est venue autour d’une bonne tablée et entouré de ses copains. « Un soir, mon copain poissonnier a ramené un barbu de la pêche. Dans la caisse, il y avait encore les algues. J’ai haché l’algue et je l’ai mélangé au beurre ». Les beurres aromatisés Bordier étaient nés.

Beurre au fenouil, à la vanille…

Aujourd’hui on en trouve de toutes sortes : à la framboise sur une tartine pour le goûter, au sarrazin dans une tarte aux pommes, au sel fumé pour accompagner un poisson, à la vanille, au fenouil, ail et fines herbes et poivre de Sichuan ou encore au yuzu.

10 millions d’euros de CA

Aujourd’hui la petite crèmerie malouine a bien grandi. Un chiffre d’affaires annuel de 10 millions d’euros. Un beurre revendu auprès de 1300 clients (revendeurs et restaurateurs) dont… à l’étranger. Une notoriété qui dépasse les frontières. Le savoir-faire, lui, est resté local. Jean-Yves Bordier a fait du beurre un produit noble. Le beurre ce n’est pas juste fait pour assaisonner des pommes de terre. « Je ne comprends pas les magazines féminins qui diabolisent le beurre dans leur numéro sur les régimes et qui pourtant reprennent volontiers la sémantique : « crème de jour », « beurre de karité », « lait hydratant » ; « c’est drôle non ? »

Il a fait du beurre un produit noble et chez lui la motte de beurre a un petit goût de madeleine de Proust : sa mère lui préparait une tartine de beurre parsemée de copeaux de chocolat. Et quand on lui demande quel est son plat préféré, la réponse est jolie comme tout : « Du pain beurre ».