La simple étoffe d’un héros
Tout commence il y a quatre mois, avec un vieux carton que la fille de Dominique Cheenne lui ramène chez elle. Un carton abandonné derrière elle, suite à plusieurs déménagements. Elle entreprend alors de l’ouvrir : sous ses doigts, de vieux papiers, des dossiers la plongent avec une fulgurance incroyable 73 ans en arrière. Et la ramènent aux alentours de 1943, en pleine Seconde Guerre mondiale, à Saint-Malo, dans les arcanes de la vie de son père Guy, et de sa mère, Odette. D’arrache-pied, depuis ce jour, Dominique n’a de cesse de reconstituer le puzzle de ces vies disparues, d’un père et d’une mère lorsqu’ils avaient 20 ans. L’histoire bouleversante de ses parents pendant la guerre. « Jusqu’à ce jour, et pendant tout ce temps, j’étais comme endormie. Ma mère en parlait souvent, à grands traits, mon père jamais. J’ai toujours vécu pour l’avenir, et pas pour le passé » .
Le réseau Jade Fitzroy
Premier choc : son père était un résistant. Elle ne le savait pas. A travers les lettres et les recherches qu’elle effectue, elle découvre que Guy Cheenne, âgé de 21 ans au début de la guerre, faisait partie du réseau Jade Fitzroy. Un vaste réseau de résistants, ayant compté jusqu’à 708 agents, représenté dans le pays de Saint-Malo par quelques figures qui furent fusillées au Mont Valérien.
Les lettres qu’elle trouve dans le carton lui donnent à voir un père, porteur de messages à destination des gens du Maquis de Broualan, qu’il cachait dans son vélo de course, en contact avec un certain Louis Pétri, alias Loulou. Quel rôle le jeune Guy Cheenne jouera-til véritablement au sein de ce réseau ? Elle peine à le déterminer. Toutefois, elle est émue lorsqu’elle entend un témoin de l’époque encore vivante aujourd’hui répondre à sa question : « Mon père étaitil un simple messager de la Résistance ? » : « Plus que ça, madame, plus que ça » …
Son père a été arrêté par des gendarmes français, le 3 août 1943. Gendarmes à qui il demande de le laisser partir, n’ayant aucun ordre de la police française pour opérer son arrestation. Mais les gendarmes refuseront. Il subit un interrogatoire à la gendarmerie de Combourg, avec un autre jeune homme arrêté également. Qu’ils indiquent où se trouvent d’autres résistants de la région et on les libérera ! Les deux hommes refusent : on les fit alors monter en voiture en compagnie des Allemands…
Le rôle d’une certaine Colette B.
Dominique apprend alors un peu plus que ce qu’elle savait jusque-là : le rôle trouble d’une certaine Colette B. (voir encadré), dont sa mère lui avait déjà parlé. Et dont elle se dit qu’elle est sans doute à l’origine du fait que son père fut déporté. « C’était une belle femme, aux multiples noms de code. Elle s’était rapprochée de deux membres du réseau Jade Fitzroy, elle était leur secrétaire, et plus… Et sur l’oreiller, l’un d’eux, qui n’aurait jamais dû parler a parlé… Et c’est ainsi que les membres du réseau malouin sont tombés, ont été arrêtés, et ont été fusillés au Mont Valérien. On a l’étoffe d’un espion ou on ne l’a pas, surtout à cette époque ! Il a parlé, et tout le réseau a été arrêté » , déplore en boucle Dominique.