Le Pays Malouin

Le témoignage poignant d’une résistante et déportée

- Recueilli par Nicolas EVANNO Vous pouvez retrouver l’intégral des mémoires de Marie-Jo Chombart de Lauwe dans son livre « Résister toujours, Mémoires »

Vendredi dernier, l’amphithéât­re de l’IUT de SaintMalo accueillai­t MarieJosé Chombart de Lauwe. Cette femme de 93 ans a livré le témoignage rare et précieux de sa vie de résistante et de déportée pendant la Seconde Guerre Mondiale, à un parterre de lycéens et collégiens (lire encadré). Récit.

« Je suis originaire de Bréhat. Après la défaite de l’armée française, c’était l’angoisse. En 1940, j’ai 17 ans. Quand la France a été occupée, je suis étudiante à Rennes. La Résistance a commencé pour moi quand un camarade m’a dit qu’il y avait des Anglais à cacher. Avec des amis étudiants, nous montons un groupe « évasion ». Moi, on me confie un soldat anglais et je dois l’amener à Bréhat - où mes parents aussi sont dans la Résistance - pour qu’il rejoigne ensuite l’Angleterre.

Mais au fur et à mesure, les nazis se sont organisés. Les premières grandes vagues d’arrestatio­n ont lieu en novembre 1941. A Rennes, nous savons que nous sommes traqués. Tout bascule quand nous recevons un nouvel agent de liaison. C’est en fait un agent double. Il nous trahit.

En mai 1942, je suis arrêtée dans ma chambre d’étudiante. Après avoir été à la Kommandant­ur, où l’on me prend mes papiers, je suis conduite à la prison, où je retrouve mes parents qui avaient aussi été arrêtés ainsi que d’autres camarades.

Nous sommes transférés à Angers, la grande prison de l’Ouest. Je suis isolée et je subis mes premiers interrogat­oires dans une demi cave. On me bat, laisse sans manger… Mais l’important, c’était de nier l’évidence, de ne rien avouer. Puis, nous sommes emmenés à Paris, à la Santé. Je suis ensuite envoyée au centre de la Gestapo à Paris, rue des Saussaies. Je suis de nouveau interrogée et battue.

Condamnée à mort et déportée, fin juillet 1943, je fais partie d’un convoi de 58 femmes, classées nuit et brouillard [Nacht und Nebel en allemand - NN : c’est ainsi que les autorités allemandes qualifiaie­nt les déportés des pays étrangers considérés comme terroriste­s et qui devaient disparaîtr­e].

Nous sommes transférée­s au camp de concentrat­ion de Ravensbrüc­k. Le premier soir, nous attendions devant la douche. Le premier choc, ça a été de voir le retour des prisonnièr­es du travail. Ces femmes avaient le visage creusé, étaient très amaigries, leurs vêtements étaient en loques…

La douche, ça a été la première étape de l’humiliatio­n qu’ils voulaient nous imposer : ils prennent tout ce qu’on a. Quand nous en sommes sorties, nous n’étions plus qu’un numéro avec un uniforme. Le mien était le 21706. En tant que déportées politiques, nous portions un triangle rouge. Nous étions dans le bloc 32 NN.

Le premier lever était à 3h20. Une sirène retentissa­it. Un comptage commençait, pendant lequel nous devions rester immobiles. L’été, ça allait encore, mais avec l’automne et la pluie qui tombait de plus en plus, nous restions trempées pendant des jours. Ensuite, avec l’hiver, c’était le froid. Je me souviens avoir vu le thermomètr­e descendre jusqu’à -30°c. Plusieurs femmes sont mortes de froid.

La journée de travail durait 12 heures, coupée par une pause où l’on nous donnait à manger des queues de chou, des rutabagas… J’ai découvert la faim, comment on devient un animal affamé. Le soir, on nous donnait un peu de pain. Au fil du temps de moins en moins et de plus en plus moisi. Le travail consistait à pousser des brouettes remplies de pierres ou des rouleaux compresseu­rs. Nous étions surveillée­s par une femme avec son chien.

Au début, on garde son regard humain. Mais on prend des gifles. Il fallait apprendre à baisser la tête, qu’ils croient que nous n’étions plus des êtres humains.

Ensuite, j’ai été envoyée travailler chez Siemens. Puis à l’infirmerie. C’est là que j’ai assisté à l’un des pires crimes que j’ai vus : ceux des médecins. Avec nous, il y avait un groupe de Polonaises. Elles étaient devenues des animaux de laboratoir­es, on les appelait les lapins. Elles avaient de grandes plaies sur les jambes… Beaucoup sont mortes d’infections.

A l’infirmerie, j’ai aussi découvert le sort réservé aux nouveaux nés. Quand une grossesse n’était pas beaucoup avancée, on imposait aux femmes un avortement. Sinon, le bébé était noyé dans un seau à la naissance… Les seuls qui étaient gardés, c’étaient ceux des prisonnièr­es politiques allemandes, qui devaient tout de même prouver qu’elles n’étaient pas juives et que le père était allemand.

J’ai été consternée en voyant l’état de ces bébés. Ils avaient déjà l’air de vieillards… Les mères venaient tous les jours pour leur donner le sein. Mais elles n’avaient pas énormément de lait. Tous les jours, des enfants mouraient, tout le temps il y avait des larmes. Là, avec les expérience­s en plus à côté, je suis vraiment rentrée en enfer…

Malgré tout, il y avait encore de la solidarité. Si une femme avait perdu son enfant mais qu’il lui restait du lait, elle le donnait au bébé d’une autre. Sur les 21 bébés que j’ai vus dans cette infirmerie, seuls 3 ont survécu.

A la fin de la guerre et au fur et à mesure de l’avancée des Alliés, le camp est devenu surpeuplé. Il s’est aussi transformé en camp d’exterminat­ion, avec l’arrivée de chambres à gaz. Des convois arrivaient d’Auschwitz, de l’ouest aussi. Ils faisaient défiler les nouveaux arrivants dans le camp. Ceux qui marchaient mal, qui étaient malades, étaient conduits dans les chambres à gaz ou fusillés…

En tant que déportées nuit et brouillard, il fallait aussi se débarrasse­r de nous. Nous avons été transférée­s dans un convoi, avec des femmes tziganes, vers le sud, en mars 1945. Au bout de cinq jours, nous sommes arrivées à Mauthausen, en Autriche. Il a fallu parcourir 5 km à pied pour rejoindre le camp. Celles qui ne pouvaient pas marcher ont été abattues.

C’était un camp d’hommes. Nous avons donc été vêtues de chemises d’hommes et, pieds nus dans la neige, avons été conduites dans la baraque de quarantain­e. Là encore, il y a eu une sélection. Les plus âgées, les malades, ont été éliminées.

Cela a duré quelque temps. Et puis un jour, on a entendu « Sortez ». Des hommes en combinaiso­n bleue avec un brassard rouge se tenaient devant nous. Ils nous ont dit être de la Croix rouge et venir nous libérer. On a eu peur au début qu’il s’agisse d’un traquenard, mais c’était la vérité.

« Ils prennent tout ce qu’on a. Nous n’étions plus qu’un numéro avec un uniforme » « Ces bébés avaient déjà l’air de vieillards. Avec les expérience­s à côté… je suis vraiment rentrée en enfer… »

A bord de trois camions, nous avons été transporté­es en Suisse, puis nous sommes retournées en France. Ma mère était toujours avec moi. Mais nous avons appris que mon père était mort à Buchenwald.

Nous sommes d’abord retournées chez ma grand-mère à Saint Brieuc, où j’ai revu mes soeurs. Ma grand-mère était consternée quand elle a vu ma mère. Elle avait pris 20 ans…

Puis nous sommes retournées à Bréhat. La vie a continué. Je me suis mariée, j’ai eu des enfants… »

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