Le Pays Malouin

Ils cherchaien­t à nous avilir

-

« J’avais 18 ans quand la guerre s’est déclarée. Je travaillai­s comme dactilo dans une entreprise en région parisienne. Adhérente du Parti Communiste, je suis entrée en résistance dès l’arrivée de l’occupant. Je jetais des tracts devant les bistrots bien pourvus de clients. Avec mes camarades, on voulait pousser les gens à réagir, à ne pas subir…

Le 9 août 1944, quelques jours avant la Libération, j’ai été mise dans un train, direction l’Allemagne où on avait besoin de main-d’oeuvre…

On a fait quelques haltes durant le trajet, dont une de 3-4 jours où l’on a tous été enfermés dans une même pièce aux volets fermés. C’était l’été. Il faisait une chaleur terrible. La pièce était infectée de puces. Mais on transpirai­t tellement qu’elles ne pouvaient pas nous piquer, elles glissaient sur notre peau.

On nous a ensuite parqués dans un autre train. Ils nous ont entassés dans un wagon à bestiaux. Au milieu, il y avait une grosse cuve dans laquelle tout le monde faisait ses besoins. L’odeur était épouvantab­le. Après quelques jours, la cuve était pleine et s’est mise à couler dans le wagon. À chaque soubresaut du train, tous ceux qui étaient autour de la cuve étaient éclaboussé­s. Les Allemands faisaient tout pour nous humilier et nous avilir. Mais nous, on s’était jurés de rester en vie et de rentrer pour témoigner de ce qu’on vivait.

Je n’étais plus une femme

Notre voyage s’est terminé à l’entrée du camp de concentrat­ion de Ravensbrüc­k. Làbas, les soldats étaient pour la plupart de vraies brutes et nous criaient dessus tout le temps. On nous a fait mettre entièremen­t nues, puis on a regardé nos mains et nos dents pour vérifier qu’on était bien aptes à travailler.

On nous a ensuite conduits sous la douche. En arrivant dans la pièce, je n’espérais qu’une chose, que ce soit de l’eau tiède qui sorte et non du gaz !

Après ça, on m’a donné une seule culotte que j’ai dû porter pendant 8 mois. On m’a aussi remis une blouse rayée sur laquelle était cousue un triangle rouge. Ça voulait dire que j’étais une déportée politique. Je portais le numéro 52 598. Je n’avais plus d’identité, je n’étais plus une femme mais seulement ce numéro que je devais énoncer en Allemand pour me présenter.

Je suis restée en quarantain­e à Ravensbruc­k avant d’être internée à Holleische­n où je devais travailler 12 heures par jour pour une usine d’armement…

Je ne pesais plus que 38 kg

… J’ai ressenti la plus grande émotion de ma vie, le jour de ma libération, après 9 mois d’enfermemen­t… Quand je suis arrivée à Paris, à l’hôtel Lutetia qui accueillai­t les déportées, je ne pesais plus que 38 kg.

On m’a emmené chez moi. Je retrouvais enfin ma famille. On a tous pleuré de bonheur. La guerre était enfin finie pour moi.

Pour les Parisiens, elle l’était depuis plusieurs mois maintenant. La vie avait repris son cours. Personne ne voulait entendre ce qu’on avait vécu. Mes propres parents ne voulaient pas m’écouter. On me demandait de ne plus y penser, de ne pas en parler. Mais comment vouliez-vous que j’oublie tout ça ? Ça hantait mes nuits. Je ne pouvais plus dormir, je faisais des cauchemars épouvantab­les. Il m’est même arrivé de faire une crise de nerfs dans un restaurant tout simplement parce que les serveuses étaient vêtues d’un gilet rayé…

Je me suis tue pendant 50 ans

Alors je me suis tue. Pendant 50 ans, je n’ai rien raconté. Il a fallu que je revienne vivre à St-Malo pour me remémorer cette tragédie. On m’a demandé de témoigner devant des scolaires. J’avais un trac fou. Et puis, tout m’est revenu. C’était enfoui dans ma mémoire mais je n’avais rien oublié. J’en ai pleuré mais j’étais enfin soulagée…

Je ne veux pas voir l’Histoire se répéter. Surtout par les temps qui courent ou quand j’entends Le Pen comparer les chambres à gaz à « un point de détail de la Seconde guerre mondiale ». J’en serai malade de voir un parti d’extrême droite prendre un jour le pouvoir ».

Newspapers in French

Newspapers from France