Les artisans démarchaient à domicile et fraudaient le RSA
Dix prévenus, 26 plaintes. Ces personnes issues de la communauté des gens du voyage gagnaient leur vie grâce au démarchage à domicile, mais n’en respectaient pas toutes les règles. Pire, ils ne déclaraient pas tous leurs revenus et percevaient le RSA.
Dix prévenus, dont quatre couples. Tous issus de la communauté des gens du voyage, basés dans les régions de Dinan et Lamballe, ils devaient comparaître au tribunal de grande instance de Saint-Malo pour non-respect des règles du démarchage à domicile, abus de faiblesse, travail dissimulé et escroquerie au RSA. Dans ce dossier assez complexe, que la défense qualifiera même de « confus », 26 plaintes ont été déposées à la suite des investigations des gendarmes. Ceux-ci, après avoir épluché les comptes bancaires des prévenus, avaient recueilli, par lettres, un total de 215 témoignages, pour des faits allant de 2011 à 2013.
Les prévenus proposaient des services de nettoyage de façades, de démoussage de toitures, de peinture ou d’élagage en Côtes d’Armor et en Ille-et-Vilaine. Ils déposaient leurs cartes de visites dans les boîtes aux lettres. Le hic, c’est que bien souvent ils ne fournissaient pas de devis aux clients (ou, quand il y en avait un, il ne comportait pas toutes les mentions obligatoires ou de formulaire de rétractation). Les travaux étaient généralement effectués dans la foulée, le paiement obtenu le jour même. Tout cela au mépris du délai de réflexion de 7 jours auquel ont droit tous les clients ayant été démarchés à domicile.
« On ne force pas les gens », répondront certains prévenus, qui sont cinq à s’être présentés au tribunal. D’ailleurs, la plupart des clients retrouvés ne se sont pas sentis floués par la suite. Parmi elles, cependant, sept personnes d’un certain âge, ou atteintes de la maladie d’Alzheimer, pouvaient apparaître comme vulnérables. Un nonagénaire en a eu pour 5.000 euros de travaux. À un client de 81 ans, il a été demandé 2.500 euros pour démoussage de toiture, puis 700 euros supplémentaires pour nettoyer les murs qui risquaient d’être abîmés par le produit utilisé pour le toit ! Un quinquagénaire, qui sera placé sous tutelle un an après les faits, s’est vu réclamer 9.870 euros de travaux. À Saint-Cast-le-Guildo, un homme de 94 ans a signé quatre chèques de 1.500 euros.
Des chèques, et des espèces
Dans bien des cas, le paiement d’une seule et même prestation se faisait en plusieurs chèques. « Les noms des bénéficiaires étaient ajoutés après coup pour ventiler les paiements sur différents comptes bancaires », constate le président du tribunal Guillaume Bailhache. D’où la difficulté, aussi, à démêler l’ensemble. Des clients témoignent, de plus, que les entrepreneurs insistaient pour avoir des paiements en espèces, au moins en partie.
Le président montre aux prévenus des devis non conformes reçus par certains clients, et des cartes professionnelles, que les intéressés ne reconnaissent pas. Seul le nom de famille est mentionné. « On est au moins 150 ou 200 à le porter en Bretagne, ça peut être n’importe qui », argue l’un des mis en cause.
Mais ce qui irrite le plus dans ce dossier, c’est que les revenus qu’ils déclaraient au fisc étaient largement minorés, voire inexistants, et que, sur la foi de déclarations trimestrielles mensongères, les prévenus percevaient le Revenu de solidarité active. Le Département des Côtes d’Armor, lésé, n’a cependant pas pu établir le montant exact du préjudice.
Un des couples ayant bénéficié du RSA avait, en trois ans, gagné au moins 53.000 euros. «C’est une estimation a minima de leurs revenus puisqu’il n’y a pas les sommes remises en liquide. Leurs déclarations, au fisc comme au Département, sont sans commune mesure avec ce montant », souligne la procureure Christine Le Crom.
Elle demande la fermeté du tribunal, et des peines allant jusqu’à 18 mois de prison ferme pour ceux ayant déjà un casier bien fourni. « Que les mêmes qui revendiquent le droit au RSA et à la solidarité nationale ne se sentent pas obligés de payer au pot commun, au prétexte qu’il ne va rien rester à la fin du mois… ça fait tousser, euphémise-t-elle. C’est la loi du chacun pour soi, et du tout pour moi. » Pour trois entrepreneurs, elle demande une interdiction définitive d’exercer du démarchage. Pour les conjointes ayant signé les déclarations mensongères au Département, elle demande des amendes jusqu’à 4.000 euros.
Me Bataille-Gédouin, qui défend deux des prévenus, dénonce les « lacunes » de l’instruction et déplore que la gendarmerie soit « allée à la pêche aux plaintes », un procédé selon elle « assez curieux ». « Quand on veut un procès exemplaire, il faut un dossier exemplaire. Or, ma cliente n’a pas été entendue, ni mon client alors qu’il est sédentarisé depuis longtemps à Lamballe. Ils ont de grandes difficultés à lire et à écrire, il faut tenir compte de ces difficultés sociales et culturelles. On lui a demandé de faire des devis, il fait des devis… Il comprend à peine ce qu’on lui reproche. On n’est pas dans le cas de riches escrocs qui ont mené grand train. » S’agissant des abus de faiblesse, le parquet lui-même a reconnu que certains étaient « difficiles à caractériser ». De plus, « il faut que l’état de vulnérabilité soit visible », ajoute Me Noël pour la défense de trois autres prévenus. Au bout du compte, plusieurs relaxes partielles ont été prononcées.
Pour le reste, trois des cinq femmes ont écopé d’amende de 2.000 ou 4.000 euros. Quant aux hommes, tous se voient interdire d’exercer du démarchage à domicile pendant un an. Quatre d’entre eux ont été condamnés à des peines de prison ferme, allant de 8 à 18 mois, selon la longueur de leur casier. L’un est reparti passablement énervé : « La prochaine fois, on va se mettre des gonds (sic) et vous allez nous courir après. »
« On ne force pas les gens »