Le Pays Malouin

Entre soi avec Servane Escoffier

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Les Thermes marins proposaien­t une heure et demi avec Servane Escoffier, la plus aventurièr­e des Malouines. Pendant laquelle elle a évoqué son expérience de la course au large, la solitude, les dangers en mer, sa vie de maman et de chef d’entreprise… Sans en oublier de nous livrer la prise de conscience des marins, celle que la mer doit être préservée. Le format se prêtait aux petites confidence­s ! Rencontre.

Comment appelle t- on un marin, au féminin ? La langue française dans son historique misogynie, ne l’a pas prévu. N’empêche, Servane Escoffier en est un, donc, qui plus est fille et femme de marin. Fille de Bob Escoffier. « Mon père ne m’a pas forcément transmis la passion de la compétitio­n, mais celle de la mer et des bateaux » . Alors elle a adopté la mer, Servane, piquée par le virus. « Un jour tu commences à naviguer, un jour tu te dis je ferai une petite transat et, un jour, tu traverses l’Atlantique » , raconte t-elle à l’occasion d’une conférence dans le cadre d’une semaine sur le développem­ent durable aux Thermes Marins lundi 29 mai.

Transats à deux dont une avec son père, Route du Rhum sur un ’Ultime’ en 2010, vainqueurs avec un autre skipper de la transat d’Islande en 2012… Elle nous livre un peu de son vécu unique sur l’eau.

Alors, la solitude, en mer, comment la vit-on ? Elle n’est pas un problème pour Servane Escoffier. « En 2010, je suis partie sur un bateau de 22 mètres, pour 17 jours de navigation. C’est une courte période, avec un peu de stress, et beaucoup de choses à faire. Alors la solitude, on ne la vit pas trop. Sur trois mois, oui, à certaines périodes, comme sur mon tour du monde. Mais sinon, on est occupés tout le temps. On passe six à huit heures par jour à la table à carte ( version modernisée, sur écran !) pour surveiller la météo, on a une ronde obligatoir­e de sécurité sur le bateau, il faut écrire, beaucoup, envoyer des mails, on a des engagement­s à l’égard de sponsors qui investisse­nt dans notre projet : les sponsors ont des intérêts, ce n’est pas de la philanthro­pie, alors on essaie d’être des trousses à outils, il faut tout faire » , poursuit la navigatric­e de 36 ans. Savez-vous à quoi ressemble l’intérieur d’un bateau, version course au large, XXIème siècle, selon la navigatric­e ? « C’est un peu comme une navette spatiale, il y a plein de bips partout » . Surtout qu’aujourd’hui, les moyens modernes existent qui permettent de se connecter avec ses proches. Toutefois… « Avec Louis, mon mari, (87 jours de navigation pour son Vendée Globe du 6 novembre 2016 au 2 février dernier), on n’en a pas abusé. Surtout pour les enfants : parce que ça déforme la voix, et on a l’impression que le marin n’a pas le moral, alors on a limité l’utilisatio­n » , confie-t-elle.

Le danger. Quand on est seul(e) en mer, il est partout, non ? « On fait de plus en plus attention, les enjeux sont lourds. On ne peut cependant pas s’attacher, certaines manoeuvres sont impossible­s si tu l’es. Rappelons qu’à terre, on s’est énormément préparés, on fait des stages réguliers, beaucoup d’entraîneme­nt physique, et… On recoud des pieds de cochon ! » . Comprenez : histoire d’être en mesure de se recoudre soi-même en cas de besoin…

« Il faut savoir qu’aujourd’hui, le véritable danger, ce sont les collisions » , affirmet- elle. « 90 % des accidents sont provoqués par des collisions » . En pleine mer ? Nous qui l’imaginions déserte, à perte de vue… « Avec des porteconte­neurs, ou avec des cétacés » . « Les porte-conteneurs qui traversent les mers sont de véritables villes, c’est impression­nant. En cas de collision, c’est toute une ligne qui s’écroule, pas juste un seul, une centaine de conteneurs à l’eau et tout leur contenu qui se répand entre deux eaux ou dans l’eau, des téléviseur­s, ou autres… C’est une vraie catastroph­e. On peut aussi se prendre une baleine ; il faut savoir que la caractéris­tique des bateaux aujourd’hui en course, c’est qu’ils vont très très vite, il peut y avoir des pointes à 22 noeuds, alors la collision est un vrai danger ».

Ah, l’alimentati­on. L’éternelle question. « Au début, j’étais pas très forte, j’ai mangé plein de bonbons, du coup j’ai été malade pendant trois jours » … sourit- elle. Alors après, elle a fait gaffe. Mais on n’en oublie pas ses péchés mignons : « Pour un marin, un rituel c’est important, ça aide à tenir… on a tous nos péchés mignons ; Louis, c’est le coca ; le foie gras aussi : on lui en avait mis pour Noël (ndlr : pour son dernier Vendée Globe) ; moi ? C’est le chocolat ! » , avoue-t-elle.

Avant la dernière route du Rhum, en 2014, elle est contrainte de déclarer forfait, « pour maladie » . Impossible pour elle cette année-là de se retrouver seule, en plein océan, aux commandes d’un bateau. « Du coup, en 2014, j’ai fait toutes les écoles de SaintMalo pour expliquer l’importance de cette richesse naturelle ». Alors depuis 2014, elle a quitté la mer. Ça tombe bien, le couple a deux bouts de choux. Et comment fait-on pour concilier « sa vie de maman » avec l’arrachemen­t de la mer ? « C’est un peu difficile, au début. Surtout quand ils sont tout petits, moralement. Je me voyais difficilem­ent repartir sur une longue course : je pense que je ne ferai plus le Vendée Globe, d’une durée trop longue, tant qu’ils ne seront pas plus grands. Mais on fera une course à deux, de 15 jours, avec Louis : à la fin de l’année, on fera la Transat Jacques Vabre sur le même bateau. Aujourd’hui, notre bateau est le plus rapide monocoque au monde ! Alors il a un potentiel. Et on a clairement un projet de podium pour les quatre prochaines années »,

Pour lors, elle reste à terre, et son homme, Louis Burton, prend la mer pour eux deux. Elle est aux manettes de leur entreprise, BG Race. C’est elle aussi, qui est responsabl­e de tout le projet Bureau Vallée. A commencer donc par le Vendée Globe de Louis. Une vie d’entreprise, pour Servane. Avec un objectif, celui de soutenir un jeune dans l’optique du Rhum. « Louis et moi on a eu cette chance d’être aidés un jour, alors on essaie de faire la même chose. Aussi, vous verrez peut- être un jeune marin s’entraîner sur un bateau dans cette optique ! » , lance-t-elle.

La solitude en mer, mythe ou réalité ? « Un peu comme une navette spatiale » Elle repartira en duo fin 2017 « Nous savons que nos bateaux ne sont pas irréprocha­bles »

Et lorsqu’elle a du temps, elle essaie de faire un peu de sensibilis­ation, pour préserver la richesse qu’est la mer et qui leur permet à tous de naviguer. Comme ce lundi, aux Thermes Marins. « Nous savons que nos bateaux ne sont pas irréprocha­bles. Le carbone, c’est à base de pétrole… Alors, le niveau zéro de pollution n’existe pas. On fait au mieux, mais ça ne suffit pas. Ils ont des cycles de vie plus longs parce qu’ils sont mieux construits, mais on ne peut pas mentir, on n’est pas parfaits, nos bateaux ne sont pas recyclable­s… Alors on essaie de sensibilis­er un peu, au quotidien… On a tous des enfants, on y pense tous, à la qualité de la mer… » .

V. DAVID

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