Le Pays Malouin

« Une première tour peut en cacher bien d’autres… »

La future tour de la gare n’en finit pas de faire réagir. L’ancien maire, René Couanau, apporte ainsi son point de vue.

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« Une large unanimité s’était faite jusqu’ici, dans le Plan d’Urbanisme actuel, comme dans les réflexions sur l’urbanisme à venir, sur le fait qu’il convenait de respecter, à Saint-Malo, un « épannelage », c’est-à-dire des volumes et des hauteurs d’immeubles, ne créant ni hiatus ni barrière visuelle entre la ceinture verte agricole et le littoral de la côte d’Emeraude.

[…] C’est pourquoi nous avions refusé, en son temps, le projet de constructi­on d’une tour près de la gare, projet qui resurgit aujourd’hui. Le maire, Mr Renoult, adopte donc une position différente. Il engage, par cette décision, une toute autre évolution de la ville.

Sur ce terrain municipal, il annonce qu’il va autoriser des promoteurs privés à construire une tour de 17 étages et il en a présenté lui-même la maquette, comme pour en revendique­r l’initiative.

Est-elle justifiée ?

[…] La nécessité de « trouver » des recettes justifie-t-elle cette opération ? Car la question de fond est celle-là : la constructi­on d’une tour de 17 étages sur ce site est-elle justifiée ?

« Modernité » répond le maire. Refrain connu (surtout par ces temps macronique­s) : « Vous n’êtes pas d’accord avec mes innovation­s, vous êtes des conservate­urs vieillissa­nts et attardés. Je ne veux pas vous entendre. Circulez, il n’y a rien à voir… »

Outre le fait qu’une tour n’est plus synonyme de modernité depuis près d’une centaine d’années, au moins, pourquoi faudrait-il faire « plus moderne » dans ce quartier et cette ville aux proportion­s raisonnabl­es ?

« Il faut un signal fort, » nous disent en choeur le maire et ses urbanistes officiels. Pourquoi ? Saint-Malo manque-telle de « signaux architectu­raux forts » ?

Tout cela est-il « bon à jeter » ?

A commencer par ceux qui font son image dans le monde entier : remparts, château, Tour Solidor, Petit et Grand Bés, plage du Sillon, cité d’Alet, pointe de la Varde, iles et ilots de sa Baie, barrage de la Rance, et les clochers de ses « quartiers » et la modestie rayonnante de ses malouinièr­es. Et la Briantais. Et même l’architectu­re récente de la médiathèqu­e, conçue justement pour être un « signal culturel », dont les proportion­s ont été longuement étudiées pour être en harmonie avec l’ensemble de ce quartier nouveau. Tout cela est-il « bon à jeter », au nom de la « modernité » ?

Modernité, signal… Si tout cela n’est rien, alors il reste l’argument massue : la démographi­e… Il faut construire pour « ramener des jeunes à SaintMalo ».

Mais alors, si c’est de cela qu’il s’agit, pourquoi ne consacrer que 25% des logements de cette tour aux jeunes ménages accédant à la propriété ? Le quart de l’immeuble. Le reste sera vendu ou loué, en logements ou bureaux, et cher, à des résidents secondaire­s ou à des sociétés.

Où est l’argument démographi­que ?

Où est l’argument démographi­que ? Pourquoi ne pas se contenter de construire le quart de l’immeuble, alignant alors sa hauteur sur celle du quartier ? Alors, pourquoi ne pas se contenter de construire le quart des étages, et ne pas réduire le projet à 4, voire 5 étages ?

Faut-il rappeler qu’il n’y a pas pénurie de terrains à bâtir en ville. On dispose de 7 hectares dans les environs de la Gare, côté Aristide Briand, de 8 hectares, à Lorette, de 12 hectares, en face de la Découverte, de plusieurs hectares près du Port. Et de bien d’autres emplacemen­ts à rénover.

Motivation­s financière­s

Alors, au bout du compte, quelles nécessités justifient ce projet ? La réponse est simple : les motivation­s sont exclusivem­ent financière­s. Pour la Ville, sans doute… Encore que… Mais pour les investisse­urs, à coup sûr. Et, après tout, comment leur en faire reproche, si les décideurs municipaux leur tendent une oreille complaisan­te et les y autorisent. Les promoteurs proposent. Le maire dispose…

On ne peut même plus compter sur l’Etat, autorité de tutelle des communes, pour demander la réduction du projet. Et pour cause. Ses services n’ont plus qu’une doctrine en matière d’urbanisme : densifier, densifier, encore et encore dans les villes.

D’ailleurs la loi ALUR de Mme Duflot, adoptée en 2014 par la majorité de gauche à l’Assemblée dispose que, désormais, les Plans d’Urbanisme ( P.L.U.) ne doivent plus mettre de limites à la constructi­bilité d’un terrain. Sous certaines conditions, quand même, dont le juge administra­tif est le garant.

Quant à l’Architecte des Bâtiments de France, il n’est pas compétent en la matière (sic), alors qu’il peut imposer, dans d’autres quartiers, le matériau et la couleur des volets…

C’est au maire de décider…

C’est donc au maire de décider combien de mètres carrés et d’étages on construira désormais, au coup par coup, sur les terrains à bâtir. Lourde responsabi­lité, que l’on ne peut exercer en solitaire. Mr Renoult a donc décidé. Jusqu’ici sans consultati­on. Certes une commission, constituée en majorité de sa… majorité, l’a conforté dans sa décision.

Mais le quartier ? Les autres quartiers ? Les riverains ? Les associatio­ns ? Les urbanistes extérieurs à l’administra­tion municipale ? Les spécialist­es indépendan­ts de l’aménagemen­t urbain ? Personne n’a été consulté.

Pourquoi aucune étude d’impact n’a-t-elle été prescrite, aucune enquête publique ouverte ?

Il y a un autre risque, qui n’a pas encore été évoqué : c’est celui de créer un précédent. Comment le maire pourra-t-il dire non, demain, à un particulie­r désireux, avec un promoteur qui lui aura fait miroiter le… pactole, de valoriser son terrain en construisa­nt une tour identique ou similaire ? Son refus ne manquera pas d’être annulé, alors, par un tribunal qui estimera qu’on ne peut avoir deux poids deux mesures, pour un terrain public et pour un terrain privé. Une autorisati­on en entraînera une autre, et les arguments seront toujours les mêmes.

Ce précédent aurait, à l’évidence, des conséquenc­es considérab­les, et l’équilibre de la Ville s’en trouverait profondéme­nt bouleversé.

En signant ce permis de construire, Mr Renoult ne fait pas seulement acte d’innovation, comme il dit. Il ouvre, pour SaintMalo, un avenir vertical vertigineu­x.

Peut-être est-ce le souhait de certains. Est-il partagé par tous ? Ceux et celles qui vivent ici n’ont-ils pas leur mot à dire ? Cela mérite bien une consultati­on. De la part du maire, il serait là, le vrai signal… Et la vraie modernité… »

René Couanau

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