Le Pays Malouin

Elles sont les femmes de l’ombre de Saint-Malo

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Il y a des métiers qu’on voit, et ceux qu’on ne voit pas. Chrystèle et Fabienne sont deux des sept ’dames-pipi’ de Saint-Malo : elles veillent aux lieux d’aisance Intra-Muros et sur le Sillon. Rencontre porte Saint-Vincent.

Pour les rencontrer porte Saint-Vincent, il vous faudra aller sous terre. Emprunter un discret escalier de pierre, bordé d’une grille de fer forgé. Y trouver un lieu largement fréquenté et oublié des sentiers touristiqu­es : les toilettes publiques. C’est là que travaillen­t sept femmes (pour l’ensemble des toilettes publiques de Saint-Malo), gardiennes de ces lieux qui touchent à l’intime.

Nous avons rencontré Chrystèle, 45 ans, et Fabienne. La première y travaille depuis quelques semaines, la seconde depuis 17 ans. Dans la bonne humeur, elles vous livrent quelques bribes du quotidien de leur métier pas comme les autres.

Leur mission, d’abord : faire en sorte que le lieu reste toujours propre. « Il s’agit de nettoyer les toilettes, les lavabos, les sèche-mains et les sols. On ne s’ennuie pas ! », confientel­les. Et lorsqu’il y a la queue, souvent le cas côté femmes, elles s’improvisen­t agents de circulatio­n, et orientent vers les toilettes libres…

Parfois aussi, il leur faut brosser les escaliers de pierre qui mènent aux toilettes, et les récurer : « Malheureus­ement, certains, hommes ou femmes, le soir ou la nuit, parfois urinent là… Ils ne se rendent pas compte que ce sera à nous de nettoyer le lendemain », confient-elles. Le lieu est ouvert jusque 22h, l’une et l’autre sont donc parfois amenées à travailler jusqu’à cette heure-là, week-end compris. « Mais nous avons de bons repos récupérate­urs, dans ce cas », soulignent-elles.

L’été, en journée, les lieux d’aisance de la porte Saint-Vincent ne désempliss­ent pas : « On ne voit pas le temps passer. On trouve le temps long quand il ne fait pas beau, parce que là, il n’y a pas grand monde ».

Comment vivent-elles leur métier ? « Il n’y a pas de sous-métiers ! Moi, j’adore le contact humain. Alors, je préfère être madame pipi et qu’on se moque de moi parfois plutôt que de faire le ménage dans un bureau. Mais si je devais le faire je le ferais », confie Chrystèle, philosophe. « Parfois, certaines personnes sont méprisante­s, humiliante­s, on leur dit bonjour et ils ne nous répondent même pas ; mais ce n’est pas la majorité. C’est douloureux, c’est sûr, quand ça arrive ! Et ce sont, c’est bien dommage, bien souvent des Français ».

Elles voient défiler le monde entier

Car c’est ’le monde entier’ que les hôtes des lieux voient défiler en ce lieu. Anglais, Italiens, Chinois… Avec le temps d’ailleurs, Fabienne devine assez vite leur nationalit­é. Les plus sales ? « Euh… Tant pis pour eux, mais ce sont les Anglais, et les Italiens en règle générale ! ».

Ce qui leur plaît en tout cas, ce sont les quelques échanges qui peuvent naître de ce passage fortuit : Chrystèle se souvient de ce monsieur américain dont elle avait tant aimé le chapeau ; un petit bout de conversati­on était né avec ce couple venu de l’autre côté de l’Atlantique… Quant à certains locaux, eh bien, parfois ils descendent dire bonjour, même sans envie pressante : c’est sans conteste, ce qui agrémente les journées de Chrystèle et Fabienne… D’ailleurs, un pannonceau annonce la couleur en entrant : il est possible de dire bonjour, merci, et au revoir : les dame-pipis non plus, ne sont pas des machines !

V.D.

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