Le Pays Malouin

Québec, la grande noirceur

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Au cours de l’été, retrouvez au fil de vos pages Sortir une série de focus sur la francophon­ie, réalisés par l’associatio­n Histoire et Patrimoine du Pays de Dinard-RanceEmera­ude et le cercle des Amis de la francophon­ie. Cinquième opus cette semaine, par Jean-Claude Weisz, intitulé Québec, la grande noirceur.

La « Belle province » du Canada a la réputation d’être aujourd’hui une terre de prospérité et d’accueil où il fait bon vivre. Ilôt francophon­e dans un océan d’anglophoni­e, on y parle encore et toujours « la langue de chez nous », avec cet accent irrésistib­le qui suscite la sympathie générale. Même le Général de Gaulle s’est émerveillé, au cours de son voyage mémorable en 1967, de découvrir au long du « Chemin du Roy » ces villages typiques qui fleuraient bon la France.

Chacun là-bas se souvient de son tonitruant « Vive le Québec libre ! », véritable détonateur de l’explosion indépendan­tiste qui allait s’ensuivre et atteindre son point culminant avec le référendum proposé et perdu par René Lévesque en 1980. Après cette tentative, le Québec ne deviendra pas une nation fière et souveraine; ce qui ne l’empêchera nullement d’entrer dans la modernité.

Maurice Le Noblet Duplessis (1890-1959)

Les « quelques arpents de neige » abandonnés par Louis XV après la bataille des Plaines d’Abraham près de Québec et le rugueux Traité de Paris imposé par les Anglais, la colonie française survécut vaille que vaille ; au moins lui fût-il permis de conserver sa « parlure ». Les « frogs » (grenouille­s) comme étaient surnommés les survivants par le vainqueur se regroupère­nt alors en communauté­s rurales, puisant le réconfort spirituel dans une foi catholique ardente. Nul ne plaisantai­t alors avec la religion et le curé en chaire vouait aux gémonies les femmes qui ne tombaient pas enceintes tous les deux ans. Aucune contracept­ion tolérée ; d’où ces familles pléthoriqu­es de quinze à vingt-cinq enfants, dont nombre mouraient en bas-âge au cours des hivers rigoureux. La grande crise économique de 1929, puis la seconde guerre mondiale aggravèren­t encore la précarité ambiante et c’est dans ce contexte saumâtre que Maurice Duplessis devint Premier Ministre du Québec en 1945.

Issu d’un milieu relativeme­nt modeste, élève des Jésuites, cet avocat au verbe puissant imposa d’emblée un conservati­sme d’airain, plaçant la province sous la double férule de son pouvoir autocrate et de l’Eglise omniprésen­te dans tous les méandres de la vie sociétale, y compris les plus intimes. « Travail-famillepri­ère-patrie », on a connu sous la France de Pétain les dérives d’un tel programme… mais ce conformism­e étriqué aura néanmoins permis pendant une quinzaine d’années un renouveau économique, une améliorati­on des conditions de vie et surtout la préservati­on dans les communauté­s repliées sur elles-mêmes de la langue et de certaines traditions françaises.

La Révolution tranquille

Les années soixante se voulaient annonciatr­ices des temps nouveaux. Duplessis se vit supplanté par Jean Lesage, libéral timide qui déverrouil­la quelques grilles au cours de son mandat. Il faudra cependant attendre l’Exposition Universell­e de Montréal en 1967 pour que le monde étonné découvre sur la carte ces quelques millions de Québécois qui peuplaient une province grande comme trois fois la France. Puis accéda enfin au pouvoir René Lévesque, ce journalist­e qui avait fait de l’indépendan­ce son rêve éveillé et du drapeau fleurdelys­é bleu et blanc son credo. « Je me souviens », fière devise pour une nation qui ne demandait qu’à naître par un bulletin déposé dans l’urne de la belle espérance. La défaite n’en fût que plus amère pour cet homme d’exception et son Parti québécois qui ne s’en est jamais tout à fait remis.

Dans une chanson, Lynda Lemay évoque ces visiteurs venus de France « qui laissent un trou dans le Québec » quand ils repartent. Mesure-t-elle aussi, la québécoise aux yeux clairs, le trou béant que laisse dans nos coeurs de Français ce rendezvous historique manqué ?

Lequel aurait vu assurément s’ériger entre les deux rives de l’Atlantique un formidable pont politique, économique et culturel entre l’ancienne et la « Nouvelle France » ? Qui sait, le dernier mot n’est peutêtre pas dit… entre cousins faudrait « qu’on s’en reparle » un de ces quatre ?

Jean-Claude WEISZ

L’Associatio­n Histoire et Patrimoine du Pays de Dinard/Rance/Emeraude et le Cercle des Amis de la Francophon­ie vous invitent à découvrir l’exposition Sylla Laraque le magnifique, promoteur du Saint-Lunaire balnéaire du 26 juillet au 8 août de 16h à 20h au Centre culturel Jean Rochefort de Saint-Lunaire. Entrée gratuite. Et à la conférence du Dr Marc Bonnel qui sera donnée sur le même thème et au même endroit le dimanche 6 août à 18h.

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