Le Pays Malouin

Yves Desgués, le dernier meunier de la Rance

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Il fut le dernier meunier de la Rance : Yves Desgués, 75 ans, toujours bon pied bon oeil, n’a pas oublié ce 31 décembre 1980. Le jour où son moulin de Beauchet, le dernier en activité sur la Rance, a arrêté de tourner. Rencontre.

31 décembre 1980. Le dernier moulin encore en activité sur la Rance ferme définitive­ment ses portes. Ce moulin, c’est celui de Beauchet, à Saint-Suliac. Un édifice multisécul­aire : les premières traces écrites mentionnan­t son existence datent du 16e siècle. Jadis en bois, il fut reconstrui­t en pierre en 1882, après un incendie. Il dresse sa silhouette sur la digue que l’on peut apercevoir quand on se rend à St Su. Un de ces nombreux moulins à marée qui ont fleuri le long de la Rance…

Un temps aujourd’hui révolu. Mais dont se souvient encore avec ferveur et émotion Yves Desgués. Ce fils et petit-fils de meunier a toujours baigné dans cet univers. Sa famille possédait un moulin à Acigné. En 1947, son père a acheté celui de Beauchet. D’abord exploité par son oncle, Yves Desgué l’a remplacé à partir de 1959. Il avait 17 ans. « J’ai commencé par balayer le moulin et à porter des sacs, comme tout le monde. Mon père avait modernisé le moulin, donc on pouvait le faire fonctionne­r seul ».

En 1959, il ne reste plus que quatre moulins en activité sur la Rance. Le moulin de Beauchet est le plus petit et le seul à encore utiliser la marée comme force motrice. Les deux roues du moulin, dont on distingue encore bien les emplacemen­ts, ont été remplacées par une turbine. A cette époque, le moulin dispose déjà d’un moteur diesel et la force marémotric­e va être définitive­ment abandonnée avec la constructi­on du barrage, en 1962.

Mais à l’intérieur du moulin, le travail reste le même. Un univers complexe et passionnan­t. Il faut écouter Yves Desgués raconter cette vie, au milieu des détacheurs, de l’ensachoir, de la chambre à farine, de l’extracteur, des tamis, de la brosse épointeuse, des broyeurs, des boisseaux et du trieur à blé, des plansichte­rs…

« Un moulin, c’est quelque chose de vivant ! »

Au milieu de toutes ces machines, qui communique­nt entre elles sur quatre niveaux, via de multiples courroies et élévateurs, le profane se sent perdu. Il comprend mieux le savoir et la science du meunier, capable de faire tourner tout seul cet assemblage de mécanique. Sa ferveur aussi : « Un moulin, c’est quelque chose de très attachant, de vivant ! »

Mais ce magicien des rouages est aussi un infatigabl­e travailleu­r. Car s’il aimait plus que tout rester dans son moulin, et regarder la Rance à travers une fenêtre pendant les quelques moments de calme, Yves Desgués devait aussi aller chercher son blé puis livrer les boulangeri­es, jusqu’à 30 km à la ronde.

On imagine le crève-coeur que cela a dû être quand il a dû fermer les portes de son moulin, plus assez rentable. « J’ai mis des années à y revenir », confie-t-il. Il a ensuite rejoint son frère au moulin d’Acigné, où, aujourd’hui, son fils et son neveu perpétuent cette tradition familiale.

Mais le moulin de Beauchet n’a pas dit son dernier mot. Avec l’aide de l’associatio­n des Amis des moulins de la Rance, des visites sont organisées, notamment pendant les journées du patrimoine. La première, en 2016, avait attiré 650 curieux !

Il faut dire que le moulin de Beauchet est inscrit au patrimoine historique, car toute sa machinerie a été conservée. Des écriteaux indiquent le nom des machines et Yves Desgués a transmis son savoir à deux personnes « qui racontent ça très bien ». Tant mieux, car il serait dommage qu’un tel vestige tombe dans l’oubli…

Nicolas EVANNO

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